Par Philippe Marie
Depuis son élection en mars 2013, le pape François s’est voulu, à l’image du poverello d’Assise dont il a pris le nom, le défenseur des pauvres, le chantre de l’environnement, l’apôtre d’une Église inclusive. Ce cap, le jésuite le fixe dès les premières heures de son pontificat, lorsque le cardinal brésilien Cláudio Hummes lui souffle à l’oreille : « N’oublie pas les pauvres. » Et c’est ce fil rouge qu’il va suivre, sans relâche. Louable sur le fond. Mais à quel prix ? Car lorsque cette priorité pastorale est conduite au détriment de la doctrine, c’est la mission surnaturelle de l’Église qui s’en trouve reléguée au second plan.
L’Église est là pour sauver les âmes. Non pour faire de la géopolitique ni pour singer les slogans de la société civile. Or, c’est ce que l’on a parfois perçu au fil des années : une Église davantage préoccupée de climat que de conversion, de frontières que de confession, de justice sociale que de justice divine. Le pape François s’est affiché comme le pape des pauvres, oui. Mais est-il encore, dans l’esprit de beaucoup, le pape qui sauve les âmes ?
Ses déplacements symboliques, comme celui à Lampedusa en juillet 2013, ont marqué les esprits. L’image est forte : celle d’un pape ému par la souffrance humaine, dénonçant « la mondialisation de l’indifférence ». Pourtant, ce qui a étonné – et parfois dérangé –, c’est le discours insistamment centré sur les migrants. Beaucoup ont évoqué sa naïveté ou sa mauvaise connaissance de la situation. Mais le pape savait ce qu’il disait. Il a promu avec constance l’accueil de millions de personnes ayant tout perdu, croyant trouver en Europe un eldorado. Sans toujours considérer l’impact culturel, religieux, ou même spirituel de cette mutation. Sans une réelle volonté d’enraciner ces populations dans le cadre de civilisation chrétienne, ce projet semble illusoire. Son insistance a suscité l’incompréhension.
De même, l’écologie intégrale – portée haut par l’encyclique Laudato si’ – a fait du pape François une référence dans les milieux militants. Mais n’est-ce pas là encore un renversement des priorités ? L’Église ne devrait-elle pas d’abord enseigner la loi divine, rappeler les fins dernières, appeler les cœurs à la pénitence ? Trop souvent, cette encyclique a pris les contours d’un manifeste politique, bien plus que ceux d’un appel à la sainteté.Le pape François s’est aussi voulu le pape du dialogue, des périphéries, des réformes. Mais là encore, certaines réformes attendues ont semblé se dégonfler comme une baudruche. Le synode sur l’Amazonie avait laissé entrevoir la possibilité de marier les prêtres, voire d’ordonner des femmes. Il n’en fut rien. Puis vint le synode sur la synodalité, vaste entreprise d’écoute et de débats. Et au final ? Une impression tenace d’avoir mobilisé des énergies colossales… pour des décisions molles. L’éléphant a accouché d’une souris.
La seule décision vraiment retentissante aura été Fiducia Supplicans, texte autorisant, sous conditions, la bénédiction de couples dits « irréguliers », y compris homosexuels. Une tempête s’est levée, des conférences épiscopales entières (Afrique, Pologne, Kazakhstan…) ont refusé de s’y plier. Loin de rassembler, cette déclaration a cristallisé les fractures. Le « synode pour la réforme » a débouché sur la confusion.
Et les traditionalistes ? Ceux-là ont été littéralement mis au ban. Traditionis Custodes, en 2021, a été vécu comme un apartheid liturgique. Une gifle pour des fidèles pourtant fervents, souvent jeunes, profondément engagés dans la vie de l’Église. Quelle urgence doctrinale motivait une telle sévérité ? Aucune. Un choix de gouvernance. Une volonté d’uniformité. Et un mépris affiché envers une sensibilité qui, depuis Benoît XVI, avait retrouvé sa place dans l’unité ecclésiale.Pourtant, il serait injuste de ne pas reconnaître la clarté du pape François sur certains sujets fondamentaux. Sur l’avortement, il n’a jamais transigé, parlant des médecins qui le pratiquent comme de « tueurs à gages ». Sur l’euthanasie aussi, il s’est montré ferme et sans ambiguïté. Sur ces points-là, François a été un formidable opposant à la culture de mort.
Mais alors, que restera-t-il de ce pontificat ? Une Église où les sensibilités ne se sentent plus respectées ? Un pontificat qui aura déçu les ultras progressistes, frustré les conservateurs, désorienté les fidèles ? Le pape François aura été celui qui voulait tout écouter, tout réformer, tout accueillir. Mais à force d’ouvrir toutes les portes, ne risque-t-on pas de ne plus savoir vers quel sanctuaire se tourner ?
La vocation première de l’Église n’est pas d’améliorer ce monde. Elle est de conduire les âmes au Ciel. Tout passe, seule l’éternité demeure. L’Évangile n’est pas un manifeste écologique. Ni un programme social. C’est un appel radical à la conversion, à la sainteté, à la vie éternelle. Le pape François a-t-il su le rappeler avec suffisamment de force ? À chacun d’en juger.