Par Anne-Marie Michel
Dans ce bourg normand, à la messe de semaine, ce mercredi 23 avril, seuls trois fidèles étaient présents. L’on y récita le gloria et le credo, en cette octave de Pâques. Combien de fois récitons-nous ces prières machinalement, sans penser à ce que nos lèvres proclament ? Et puis, d’ailleurs, certains râlent parce que « la messe est trop longue ». Et quand par malchance, le prêtre a la lubie de mettre un peu trop de latin, l’on s’impatiente ou l’on s’indigne.
Étonnant comportement humain frappé d’aboulie.
Inversement, début avril dernier, près de 2400 personnes étaient rassemblées pour écouter une messe, à Paris. Personne ne bougea, ni regarda sa montre pendant l’interminable chant du credo, personne ne cria au scandale parce que rien n’était en langue vernaculaire, l’assemblée était manifestement plongée dans une écoute profonde des mélodies harmonieuses. Cette messe dura pourtant 1h45 et personne ne cria au scandale du fait que le compositeur était protestant…
Le 8 avril 2025, l’Orchestre de Paris, sous la direction de Klaus Mäkelä, le chœur Le Concert d’Astrée et l’Académie du Chœur de l’Orchestre de Paris, ont interprété « ce qui est, indubitablement, l’un des plus beaux chefs-d’œuvre de l’histoire de la musique[1] » : la messe en si mineur de Jean-Sébastien Bach. Applaudissements nourris en reconnaissance pour l’immense talent au service de la sublimité de l’art.
Étonnante similitude de notre société contemporaine avec celle de Jérusalem qui acclama le Roi des rois aux Rameaux et hurla pour sa crucifixion quelques jours après.
On veut bien rester immobile pendant près de deux heures avec l’autorisation de tousser uniquement entre les morceaux, écouter pieusement le latin clamer la Gloire de Dieu et les articles de la Foi catholique dans un lieu parfaitement laïc, mais on dédaigne la vertu de religion et la messe dominicale. On laisse résonner les murs de la Salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris des sublimes mélodies spirituelles, mais on préfère pour nos messes la guitare ou le tamtam. Auditeurs et musiciens sont endimanchés, mais on vient à la messe en jean troué et mal coiffé. On accepte bien des contraintes de notre mode de vie contemporain, mais on méprise et refuse le joug doux et léger du Seigneur.
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« Un temps viendra où les gens ne supporteront plus l’enseignement de la saine doctrine ; mais, au gré de leurs caprices, ils iront se chercher une foule de maîtres pour calmer leur démangeaison d’entendre du nouveau.Ils refuseront d’entendre la vérité pour se tourner vers des récits mythologiques. » (2Tim4, 3-4)
Certes, des œuvres telles cette messe en si, le Messie de Häendel, le Gloria de Charpentier et tous ces monuments de l’art musical prêtent le flan à glisser de l’œuvre spirituelle à l’œuvre purement artistique, peut-être même dès leur création. Elles ont, en cela, plus leur place en concert qu’ailleurs. Il n’empêche qu’elles participent à la transmission d’un patrimoine spirituel qui n’est pas sans pouvoir évangélisateur. L’on peut ainsi profondément se réjouir de les voir incarner cette Parole du Seigneur : « Je vous le dis : si eux [les disciples] se taisent, les pierres crieront. » (Lc 19, 40) Parole prononcée précisément le jour des Rameaux. Les pierres de la Philharmonie de Paris ont en effet crié les Vérités de la Foi catholique, les violons et les bassons, les violoncelles et les hautbois, le clavecin et les trompettes, tous ont manifesté combien grande est la beauté objective de cette Foi.
Mais s’il est probable que les cœurs des hommes, interprètes accomplis comme mélomanes compétents, pouvaient être comme des pierres, dures, elles, et muettes restées laïquement insensibles au sens des mots pourtant si bien traduits par les notes de musique de Bach, il reste à espérer profondément que le triomphe du Christ vaincra la versatilité humaine des Rameaux et la violence aveugle du Vendredi Saint, car le Christ est ressuscité, Il est vraiment ressuscité. Alleluia !
[1] D’après Jérémie Szpirglas, livret explicatif de l’œuvre