Par Stéphane Brosseau
La cathédrale de Chartres est communément qualifiée de « Bible de pierre » ; d’aucuns pourraient contester
la pertinence d’une telle expression, notamment dans les milieux d’historiens ; mais, dans une logique de
symbologie, elle est absolument fondée, ne serait-ce que par le distinguo entre les références à l’Ancien
Testament au Nord, à l’Incarnation dans le transept, et au Nouveau Testament au Sud. Or, la Bible est d’origine à la fois humaine et divine…Je crois qu’il en est de même pour ce monument exceptionnel en de nombreux aspects ; l’homme a créé ce joyau, inspiré par l’Esprit. Summum à mon sens de la symbologie, la cathédrale est porteuse de 3 grands messages :
o La Présence du Christ, Lumière du monde dans la cité (face au soleil levant au solstice d’été)
o Elle est un sanctuaire pour le Dieu trinitaire et Marie
o Elle est un chemin de conversion.
Les lieux de culte ayant servi fréquemment à des religions différentes (aux païens puis aux chrétiens, puis de
nouveau parfois aux païens, avant de retrouver un culte catholique ou protestant etc.), il peut y avoir sur un
même lieu une accumulation de symboles correspondant à des logiques différentes. C’est le cas à Chartres.
Par ailleurs, des lectures versant dans l’ésotérisme sont très en vogue aujourd’hui, et ce depuis le XIXe
siècle, avec une recrudescence dans les années 1970, associant des sciences kabbalistiques à des sociétés de
pouvoir et des mythes séculaires, tels la quête du Graal ou l’alchimie.
Il est facile de tomber alors dans des thèses « complotistes » et fantaisistes, dont beaucoup d’écrivains de « bestsellers» sont friands. La cathédrale de Chartres a la particularité de contenir ces éléments. Mon propos se limitera sciemment dans les cinq articles consacrés à cette cathédrale à la vision chrétienne, plus précisément catholique de l’édifice, pour être cohérent, car elle correspond à mon sens le mieux à l’esprit des bâtisseurs. Pourtant j’évoquerai d’autres thèses, à des fins d’exhaustivité, en adoptant la plus grande réserve, car elles ont pu sans doute influencer certains codes, faisant partie de l’environnement culturel du moment.
Cette cathédrale suscite pour chaque visiteur une émotion, un émerveillement ; elle permet, si celui-ci le souhaite, de rencontrer Dieu, après un travail intérieur, une conversion, d’autres dirait une « transformation » ou « transmutation » . Elle n’est pas uniquement un témoin du passé, elle fait œuvre d’évangélisation.
La cathédrale Notre-Dame de Chartres, qui abrite un culte catholique et est siège du diocèse, a commencé à
être édifiée en 1145 pour sa partie romane et en 1194 pour sa composante gothique. Elle est en fait la 5 e et 6 e
cathédrales en ce lieu, et fut classée aux monuments historiques en 1862, puis au patrimoine mondial en 1979.Située à 80 kilomètres au Sud-Ouest de Paris, elle est un lieu de pèlerinage de première importance
dans l’Occident chrétien.
Elle est considérée comme la cathédrale gothique la plus représentative, la plus complète et la mieux conservée en France par ses sculptures, ses vitraux (dont les bleus sont réputés les plus beaux), et son dallage en grande partie d’origine. À la fois romane et surtout gothique, elle montre la continuité entre ces deux styles. L’actuelle cathédrale gothique fut quasiment achevée en trente ans, ce qui est exceptionnel et lui confère une cohérence remarquable.
Avant la cathédrale actuelle, il y eut des édifices et des mythes successifs
Certains ont pu entendre dire que la cathédrale de Chartres était « d’élection divine et mariale… ». Ces dires
remontent au XIVe siècle, sous l’impulsion des chanoines de la cathédrale. Vers 1420, d’aucuns ont évoqué une ancienne grotte occupée par des druides carnutes un siècle avant notre ère. Elle aurait été dédiée à « la
Vierge devant enfanter » car les premiers chrétiens y auraient trouvé une statue portant l’inscription Virgini
pariturae et auraient transformé cette grotte en sanctuaire. Ce mythe druidique abondait à l’époque car de
nouvelles thèses historiques rejetaient l’origine troyenne des Francs au profit d’une origine gauloise. Il fut
popularisé au XVIIe et progressivement intégré par l’historiographie locale. Cette « Vierge devant enfanter »
fut par la suite vénérée dans la chapelle de Notre-Dame de Sous-Terre, dans la crypte (ou plutôt l’église
basse, car il y a des fenêtres), sous la forme d’une statue romane datée du XIIe siècle.
Après la galerie arrondie donnant sur les chapelles absidales de la crypte, on peut voir dans le mur de gauche
une niche contenant l’ouverture d’un puits, l’élément le plus ancien de la cathédrale. Il est appelé puits des «
Saints Forts », autrefois « Lieux Forts », et a été probablement creusé à l’intérieur de l’enceinte de l’oppidum
carnute d’Autricum à l’époque gallo-romaine. Une légende du Xe siècle parle de saint Altin (donné comme
premier évêque d’Orléans et de Chartres, mais inconnu des listes épiscopales de ces diocèses) et de saint
Eodald, tous deux envoyés de Sens par saint Savinien et saint Potentien (du groupe des 72 disciples du
Christ), mais aussi de Quirinus, un magistrat romain, qui aurait fait massacrer ces premiers chrétiens, dont
sainte Modeste.
On aurait jeté leur corps dans le puits de la crypte, d’où le nom des « Saints-Forts ». Profond d’environ 33,55 mètres, il est alimenté par la nappe phréatique circulant sous la cathédrale et atteignant les courants qui rejoignent l’Eure. Cette caractéristique aurait des conséquences telluriques et parfois ésotériques que nous analyserons dans l’étude du sens et des symboles. Ce puits est resté en dehors de l’église jusqu’en 1020, date à laquelle l’évêque Fulbert, après avoir été guéri du « mal des ardents » (ergotisme) grâce à son eau miraculeuse, l’intégra dans la nouvelle église qu’il bâtit.
La crypte, contenant la statue de la Vierge et le puits, était au Moyen-Âge un lieu de pèlerinage au rayonnement surtout local, dans lequel se développaient toutes sortes de superstitions peu « catholiques » ; tant est si bien que le clergé décida de le combler au milieu du XVIIe siècle et de le dissimuler ; la crypte devint peu à peu une « grotte druidique ». Ce « caveau de Saint-Lubin » fut caché d’une épaisse maçonnerie. Or, le puits fut dégagé en 1900-1901 par l’historien local René Merlet ; il le compléta d’une niche et d’une ouverture en 1903, dans le cadre de travaux de restauration. Les sanctuaires chrétiens étant parfois construits sur de précédents lieux de cultes païens, la tradition locale affirma que ce puits votif était d’époque celtique, ce qui incitait les visiteurs à faire des offrandes supplémentaires.
Selon les traditions tardives et légendaires qui tentaient de prouver l’antériorité de la christianisation et du
siège épiscopal de Chartres par rapport à Sens, la construction de la première église aurait eu lieu vers 350.
Elle était nommée « cathédrale d’Aventin », du nom du premier évêque de la ville, Aventin de Chartres, qui
vivait vers 350. Mais elle fut plus probablement construite au début du VIe siècle au pied des murailles
gallo-romaines ; elle fut incendiée en 743 (ou 753) par les troupes de Wisigoths du duc d’Aquitaine et de
Vasconie Hunald I er , lors du sac de la ville.
Un deuxième sanctuaire fut alors construit avec une nef deux fois plus large, qui justifiait par sa grandeur le
nom de cathédrale. Le 12 juin 858, cette cathédrale fut détruite par les pirates vikings danois. L’évêque
Gislebert reconstruisit alors un édifice plus grand. De ce dernier, il subsiste probablement certaines parties de
l’actuel martyrium, appelé chapelle Saint-Lubin.
En 876, le roi Charles le Chauve, petit-fils de Charlemagne fit don à la cathédrale de la sainte relique connue sous le nom de « voile de la Vierge » ou « Sainte Tunique ». Cela transforma de facto Chartres en un sanctuaire de premier plan. Le 5 août 962, la troisième cathédrale fut à son tour incendiée pendant la guerre qui opposait Richard Ier, duc de Normandie, au comte de Chartres, Thibaud Ier de Blois. L’évêque Hardouin en mourut « de douleur » huit jours après, selon le nécrologe de la cathédrale.
Un quatrième édifice lui succéda avant d’être à son tour brulé par la foudre les 7 et 8 septembre 1020.
L’évêque Fulbert rebâtit alors la cathédrale, en style roman, et donna un nouvel essor à l’école épiscopale
chartraine. L’actuelle crypte fut ainsi construite entre 1029 et 1024. Fulbert ne vit pas la fin des travaux,
car il mourut en 1029, alors que la dédicace de cette cinquième cathédrale eut lieu le 17 octobre 1037.
La construction rapide de l’actuelle cathédrale
Le 5 septembre 1134, la ville de Chartres fut ravagée par un terrible incendie. Si la cathédrale romane de
Fulbert fut épargnée, ce fut l’occasion de construire une nouvelle façade sur le terrain rendu libre et d’édifier
le portail Royal vers 1145-1150. Un deuxième incendie de grande ampleur se déclara le 10 juin 1194.
Heureusement, des clercs purent sauver le voile de la Vierge en le mettant à l’abri dans le martyrium dit «
chapelle de Saint Lubin ». Ils furent épargnés et dégagés des décombres trois jours après. Les cryptes et les
deux tours échappèrent à la destruction. Le portail occidental fut conservé ainsi que les trois baies de
vitraux le surplombant. Un autre vitrail, «Notre-Dame de la belle verrière», fut aussi sauvé de l’incendie
avant d’être remonté dans le déambulatoire.
La réédification de la cathédrale, sous la forme que nous connaissons aujourd’hui, débuta immédiatement
après cet incendie, ce qui suppose une planification architectural bien antérieure. Celui-ci fut donc soit un
accident « bien tombé » de chantier mineur de restauration ou de construction, par exemple des soudures,
soit il fut déclenché pour débloquer une situation conflictuelle entre les chanoines et l’évêque Renaud de Bar.
Ce projet n’est donc certainement pas la conséquence directe de l’incendie.
Le chantier fut l’œuvre d’une succession de maîtres d’œuvre qui rivalisaient de prouesses techniques et
artistiques entre eux et entre les chantiers en cours d’autres cathédrales. Les ouvriers étaient appelés
compagnons ; ils étaient réunis en confréries ou fraternités, et étaient payés à la tâche (très bien, par rapport
au reste de la société) ; ils ont ainsi laissé parfois sur les pierres des signes caractéristiques qui sont en fait
des estampilles, les marques des tâcherons. Sans rupture de financement, le chantier fut particulièrement
rapide : la nef était bâtie avant 1210, le chevet en 1221, tout le gros œuvre, hormis les porches, les voûtes et
les pignons du transept, en 1225, les vitraux en 1240, pour une consécration solennelle le 24 octobre 1260.
Il s’agit d’un exploit d’ingéniosité, d’un joyau artistique, riche d’une profusion de symboles.
Toutefois, il est faux de dire que Chartres a fondé le gothique. On fait généralement commencer l’art
gothique, dit « à la manière franque » (opus francigenum) en 1144, avec l’abbé Suger, qui fit édifier à St
Denis une abbaye complète et cohérente d’un style nouveau, caractérisé entre autres par les ogives. En fait,
cette forme architecturale est apparue dès 1088 à Cluny, puis elle a évolué grâce à la croisée d’ogives entre
1096 et 1110 en terre anglo-normande, dans la cathédrale de Durham et de Winchester, à Lessay,
Peterborough et Gloucester, puis en 1115 à l’abbaye aux Hommes de Caen (St Etienne). Les ultimes
prémices de ce style furent la construction en 1122, dans le domaine royal, de l’église de Morienval (avec
l’utilisation d’ogives), de St Etienne de Beauvais et de Sens en 1130.
L’arc boutant est une autre caractéristique du nouvel art. Les premiers arcs apparurent à l’abbaye aux Dames de Caen en 1120. L’origine de ce style n’est donc pas française, comme on le croit souvent, c’est-à-dire du domaine royal, mais bien anglo-normande. Il est donc faux également de dire que l’abbé Suger, par la basilique de Saint Denis, a « inventé le style gothique ». En revanche, il est devenu parfaitement cohérent, élaboré et prospère en Île-de- France, d’où il s’étendit à toute l’Europe. Nous avons présenté en introduction des articles les évolutions techniques dont bénéficièrent le Gothique et ne revenons donc pas dessus.
Les aménagements importants de l’époque moderne
À la Renaissance, divers aménagements sont opérés. Le 26 juillet 1506, un nouvel incendie provoqué par un
orage détruisit la flèche de bois recouverte de plomb qui surmontait la tour Nord. L’architecte Jehan de
Beauce se vit chargé par les chanoines de reconstruire entièrement en pierre le « clocher Neuf » dans le style
gothique flamboyant. Il acheva ce travail en 1513 et commença la construction en 1514 de la clôture de chœur dont la réalisation dura deux siècles, jusqu’en 1716 dans un style pourtant homogène.
Cette« clôture » ou « tour de chœur est une séparation de pierre sculptée autour du chœur, qui l’isole du
déambulatoire. Cet ensemble est constitué de 40 groupes ou scènes, totalisant 200 statues, qui racontent la
vie de Marie et de Jésus depuis le transept Sud jusqu’au transept Nord. Il intègre une horloge astronomique.
Cette horloge astrolabique date de 1528 et son concepteur est resté anonyme. Le mécanisme d’origine a été
remplacé en 2009 par un système électrique. Sa restauration a nécessité la reconstitution de plusieurs roues et
pignons manquants. Cette horloge permet notamment de mesurer la hauteur des astres et de lire l’heure en
fonction de la position des étoiles ou du Soleil.
Sa conception et ses différentes constructions s’appuient à l’origine sur une double projection plane (le plus
souvent une projection polaire) qui permet de représenter le mouvement des astres sur la voûte céleste.
L’aiguille solaire fait un tour complet en 24 heures sur deux fois douze chiffres romains séparés de feuilles
de trèfle pour les demi-heures. La deuxième bande bleue et étoilée décrit un tour en un jour lunaire et
possède une ouverture ronde représentant les phases lunaires. Le disque central montre les signes du
zodiaque correspondants au mois de l’année et fait un tour dans un jour sidéral, (23h 56mn 4 s) et il montre,
au moyen de l’aiguille solaire, la marche annuel du soleil dans l’écliptique. Le demi-cercle qui part du VIII
jusqu’au IIII représente l’horizon de Chartres et représente le lever et le coucher du soleil à l’aide du soleil
mobile de l’heure.
Jehan de Beauce érigea par ailleurs en 1520 le pavillon de l’horloge de type Renaissance, structure extérieure
devant la première travée du côté septentrional de la nef ; le mécanisme était relié aux cloches par une
tringlerie.
Notons un événement exceptionnel qui eut lieu à la fin du XVIe siècle : le sacre d’Henri IV dans cette
cathédrale et non pas à Reims, comme le voulait la tradition. Reims et Paris étaient en effet tenues à cette
époque par l’armée de la Ligue catholique, qui opposait leur résistance au roi car il était protestant. Après dix
jours de prières et de recueillement, Henri IV fut sacré roi de France le 27 février 1594 : après s’être vêtu
d’une chemise blanche, ouverte devant et derrière pour permettre l’onction, et d’une cape en satin cramoisi
(couleur de la royauté), il entra solennellement dans la cathédrale, non pas sur son cheval, comme le prétend
la légende, mais à pied. La cérémonie se déroula dans le chœur ; le peuple ne pouvait pas la voir à cause du
jubé. À la fin de ce rituel, le roi et l’évêque s’installèrent donc sur le jubé, afin que le prélat célèbre la messe
et que le peuple puisse y participer. Après la messe du sacre, un cortège se dirigea vers l’évêché en criant «
Vive le Roi », pour un immense banquet.
L’ensemble fut peu modifié au XVIIe siècle.
En septembre 1723, cinq nouvelles cloches furent installées. Le jubé du XIIIe siècle, de plus de vingt mètres de long, fut détruit en 1763 lors des réaménagements du chœur. Certains fragments furent remployés comme dalles. Cette clôture fut remplacée en 1767 par une grille en fer forgé dessinée par l’architecte Victor Louis. Le maître-autel monumental en marbre représentant l’Assomption de Marie fut réalisé en 1772 par Charles-Antoine Bridan, qui signa également les six bas-reliefs en marbre qui évoquent des épisodes de la vie de la Vierge (1787 1788), disposés au-dessus des stalles.
Elle subit des dommages pendant la Terreur : destructions de vitraux et des statues du portail Sud, disparition de tout le mobilier, plomb de la couverture arraché et fondu pour fabriquer des balles de fusil. L’orfèvrerie et l’argenterie du trésor furent également fondues. La statue de Notre-Dame-de-Sous-Terre fut brulée. Le député de la Convention Sergent-Marceau, originaire de Chartres, fut nommé en octobre 1792 adjoint à la commission conservatrice des monuments des arts. Il parvint à éviter la destruction de toutes les sculptures et même de tout l’édifice. Les chapelles absidiales reçurent même des embellissements grâce à l’entrepreneur- architecte Laurent Morin.
Le 4 juin 1836, un vaste incendie dû à la négligence de deux ouvriers plombiers détruisit la toiture et la «
forêt » (la charpente en bois de châtaignier). L’architecte départemental Édouard Baron proposa leur
remplacement par une charpente métallique de fonte et de fer ainsi qu’une toiture en cuivre, réalisées de
1836 à 1841 par l’ingénieur Émile Martin et le serrurier Mignon.
Aux XIXe et XXe siècles, plusieurs éléments (clochers, vitraux, chapelles, église basse) furent restaurés.
De 2008 à 2016, des travaux importants de restauration permirent d’expérimenter la reconstitution des
enduits et de découvrir des badigeons ocre et blanc du XIIIe siècle, reprenant un motif de pierres jusque-là
cachés par la pollution.
Le narthex, le bas-chœur, la croisée du transept et le déambulatoire Nord furent restaurés.
Notre-Dame du Pilier fut également restaurée : cette vierge à l’Enfant, offerte par le chanoine Wastin des
Feugerêts en 1508, est en bois de poirier ou noyer polychromé. Dès l’origine elle fut présentée sur une colonne de pierre adossée au jubé, à l’entrée du chœur. Lorsque le jubé fut démonté en 1763, elle fut déplacée contre la pile Nord-Ouest de la croisée du transept. En 1791 elle fut installée dans l’église basse pour être remplacée par la Vierge de Notre-Dame de Sous-Terre qui fut détruite en 1793. Notre-Dame du Pilier fut alors remontée de l’église basse en 1796 et reprit sa place.
En 1806, elle fut déplacée dans la première travée du déambulatoire, posée en hauteur sur une colonne qui
pourrait provenir de l’ancien jubé médiéval. Elle prit alors l’appellation de Notre-Dame du Pilier (la
première mention en fut faite en 1825) et fut couronnée le 31 mai 1855. On a longtemps cru qu’il s’agissait
d’une Vierge noire ; elle en a donc eu toute la symbolique associée ; mais, lors de la restauration engagée par
la DRAC Centre (direction régionale des affaires culturelles du Centre), on découvrit qu’elle n’était pas
noire, mais juste très encrassée. En septembre 2012, Notre-Dame du pilier retrouva le collatéral Nord de la
nef.
De même, les 94 baies des vitraux du XIIIe siècle font l’objet d’un programme de restauration au rythme de
2 à 3 par an.
Pourquoi des vitraux ?
Depuis la fin du Xe siècle, les églises sont construites dans le style roman commun à une grande partie de
l’Europe occidentale : les nefs sont souvent couvertes d’une voûte en berceau ; les murs sont épais et soutenus
par des contreforts massifs situés à l’extérieur. Le nombre et l’ampleur des fenêtres sont limités et l’intérieur
des édifices est décoré par des fresques aux couleurs vives.
Le style roman permettait des ouvertures limitées et des jeux de contraste entre ombre et lumière. Dans le
Nord de la France, les bâtiments étaient donc très sombres. Des ouvertures plus grandes devaient être
envisagées pour laisser pénétrer la lumière.
L’arc brisé et la croisée d’ogives ont permis d’alléger les structures et d’être bien plus ouverts vers l’extérieur.
La lumière devint donc suffisamment abondante pour que les peintres-verriers puissent chercher à la colorer
par des vitraux, qui ne laissent rien voir de l’extérieur, mais laissent entrer la lumière à l’intérieur.
À cette recherche, s’en ajoutent d’autres plus prégnantes parce que d’origine théologique. Dans le monde du
XIIe siècle elles s’imposent aux clercs. En effet, la Bible s’ouvre avec le livre de la Genèse et les versets 1 à 5
qui évoquent les ténèbres et la lumière. La volonté de faire entrer la lumière dans l’église est énoncée avec
force par Suger dans ses écrits ainsi que les raisons pour lesquelles il fait entreprendre les travaux de
reconstruction du chœur de l’abbatiale de Saint-Denis. Quand ses contemporains assistèrent à la consécration
du chœur en 1144, ils furent étonnés par la lumière pénétrant dans l’édifice. Suger justifie, dans le De constructione ecclesiae sancti Dionysii, les chapelles rayonnantes du chevet « grâce auxquelles toute l’église
resplendit de la lumière merveilleuse et ininterrompue des fenêtres étincelantes qui rayonnent leur beauté à
l’intérieur ».
La première affirmation que Suger essaya de réaliser dans son œuvre est que « Dieu est Lumière
», reprenant le texte de la première épître de Jean. Cette identité de Dieu avec la lumière s’affirme autant dans
l’Ancien que dans le Nouveau Testament et doit se manifester dans l’église qui est celle de l’évêque, celui qui
enseigne au peuple chrétien. Cette église enseignante est une préfiguration de la Jérusalem céleste décrite
dans l’Apocalypse de saint Jean.
Tous les vitraux de Chartres avaient pour but que la Lumière pénètre les cœurs, manifestant à l’Homme la
nature divine de son âme, dont elle opère inconsciemment la « transmutation », pour employer un langage lié
à l’alchimie (que nous développerons lors de l’étude du sens et des symboles avec de nombreuses réserves),
science qui consiste à transformer et purifier par étapes la matière pour la rendre précieuse. Ce langage vise à
mettre en condition le fidèle pour une conversion, une transformation intérieure ; pourtant, cette
transformation n’est pas le fruit de la science des Hommes, l’alchimie, mais un don de Dieu, de l’Esprit, la
Miséricorde.
La compréhension et l’interprétation de l’ensemble des vitraux est délicate de nos jours sans référence à la
théologie du Moyen-Âge, ses enseignements et les sermons qui commentèrent les verrières des cathédrales
gothiques. Cependant, la présence de l’école de Chartres, célèbre au XIIe siècle, laisse supposer que la
répartition des vitraux eût un sens précis pour ceux qui les conçurent. Force est de constater, parmi les
justifications faites par Suger, reprises dans les églises gothiques, que les grands dogmes de la foi chrétienne
avec ses différents degrés de lecture de la Lectio divina sont présents de façon :
- littérale, qui est issue de la compréhension linguistique de l’énoncé ;
- allégorique ou typologique, énonçant une chose qui en dit aussi une autre ;
- tropologique ou moral, étapes que l’esprit humain doit parcourir dans son ascension vers Dieu
(concerne le présent) ; - anagogique, qui donne une idée des réalités dernières qui deviendront visibles à la fin des temps
(concerne l’avenir).
Nous décrirons la cathédrale au prochain article.