« Celui qui entre pape au conclave en ressort cardinal » : ce proverbe romain, transmis depuis des siècles, sonne comme un avertissement à l’approche du conclave du 7 mai 2025. L’histoire de l’Église regorge de figures pressenties, soutenues, parfois vêtues à l’avance des ornements pontificaux… et pourtant écartées. Une leçon d’humilité et de prudence pour ceux qui spéculent déjà sur le prochain successeur de Pierre.
En 1978, les deux favoris étaient les cardinaux italiens Giuseppe Siri et Giovanni Benelli. Mais leur rivalité les neutralisa, et le patriarche de Venise Albino Luciani fut élu à la surprise générale sous le nom de Jean-Paul Ier. L’épisode illustre à quel point les équilibres internes peuvent soudain basculer.Plus récemment, le conclave de 2013 a produit un épisode à la fois cocasse et révélateur : alors même que Jorge Mario Bergoglio apparaissait sur la loggia de Saint-Pierre en tant que nouveau pape François, la Conférence épiscopale italienne envoyait par erreur un message annonçant… l’élection du cardinal Angelo Scola. Une erreur de copier-coller rectifiée dans l’urgence, mais restée célèbre dans les annales du conclave.
Le cas d’Angelo Scola fait écho à d’autres papabili historiques. Après la mort de Paul III Farnèse en 1549, le cardinal anglais Reginald Pole, favori des Romains et des diplomates, manqua de deux voix la majorité aux premiers scrutins. L’ambassadeur de France intervint alors pour faire patienter les cardinaux jusqu’à l’arrivée des électeurs français. Le temps joua contre Pole : son appui s’effrita, et c’est finalement Giovanni Maria Ciocchi del Monte qui fut élu le 7 février 1550 sous le nom de Jules III.
Autre exemple marquant : en 1740, le cardinal napolitain Pompeo Aldrovandi semblait si bien placé après trente-six jours de conclave qu’on fit venir un tailleur pour lui préparer les vêtements liturgiques. Au scrutin du 3 juillet, il ne lui manquait que trois voix. Pourtant, incapable de rassembler la majorité, il dut se retirer. Le lendemain, Prospero Lambertini fut élu pape sous le nom de Benoît XIV.
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Les échecs dus à une hâte excessive ne manquent pas. En 1621, après la mort de Paul V, le cardinal Pietro Campori, favori du puissant cardinal-neveu Scipione Borghese, tenta d’être élu par acclamation dès l’ouverture du conclave. Cette tentative précipitée fit fuir ses soutiens, et Campori fut contraint de se retirer. Le soir même, Alessandro Ludovisi fut élu pape Grégoire XV.
À la fin du XVIe siècle, le cardinal Giulio Antonio Santori, omniprésent dans tous les conclaves de l’époque, faillit lui aussi être élu « par adoration » après la mort d’Innocent IX. Il ne lui manquait que deux voix, mais l’élan retomba et le conclave choisit finalement Ippolito Aldobrandini, futur Clément VIII.
Quant au cardinal Alessandro Farnese, petit-fils du pape Paul III, il aborda le conclave de 1585 en grand favori. Mais en faisant courir la rumeur mensongère de sa propre élection, il suscita la méfiance de ses confrères. Deux jours plus tard, c’est le franciscain Felice Peretti qui fut élu pape sous le nom de Sixte V.
Enfin, en 1903, le cardinal Mariano Rampolla, alors Secrétaire d’État de Léon XIII, semblait promis à la tiare. Il rassembla jusqu’à 29 voix. Mais l’empereur d’Autriche fit usage de l’« exclusif », un droit de veto exercé par le cardinal Puzyna de Cracovie. Rampolla fut écarté, et le patriarche de Venise, Giuseppe Sarto, fut élu pape Pie X. Ce fut le dernier conclave où un chef d’État intervint officiellement dans l’élection.À deux jours du conclave, ces précédents historiques rappellent que la force d’un candidat ne garantit rien. L’équilibre des blocs, les influences extérieures, les alliances inattendues ou les maladresses stratégiques peuvent bouleverser tous les pronostics. L’Esprit Saint souffle où Il veut.
Avec La Repubblica