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[ Conclave] L’éclairage de Christophe Dickès

« Un des grands défis de la papauté, qu’est-ce que c’est ? Pouvoir conjuguer ce qui est local avec ce qui est universel. »

Christophe Dickès, est un historien et journaliste français spécialisé dans les relations internationales, le Vatican et le catholicisme contemporain. Auteur de plusieurs essais sur ce thème, il a écrit dernièrement « Pour l’Eglise,ce que le monde lui doit » ( Perrin éditions) – interview intégrale à retrouver au format podcast sur youtube.

Gabriel Decroix : Le 7 commence le conclave pour élire le prochain pape. Le 7, c’est aussi la date où un pape français, Clément VI avait été élu en 1342. Quand la fumée blanche pourrait-elle apparaître, dans la mesure où les cardinaux se connaissent mal après un pontificat où François a fait cavalier seul ?

Christophe Dickès : Ce n’est pas quelque peu, il a fait cavalier seul. Il n’a réuni que deux consistoires, ce qui est très peu car un pape se doit aussi de préparer sa succession, non seulement en créant des cardinaux, mais aussi en les réunissant régulièrement afin qu’ils se connaissent. Or, une des caractéristiques de ces créations est qu’elles concernent des personnes qui sont à l’autre bout du monde. Ce sont des pasteurs et c’est très bien, mais ils ne se connaissent absolument pas, ce qui m’amène à penser qu’il y aura un pape plutôt européen ou italien.

Avec cette élection, il faut raisonner par rapport à ce que l’on connait aujourd’hui : d’abord un conclave quel qu’il soit est un moment, certes secret, mais qui a pour objectif d’accélérer le processus du choix. Historiquement, les cardinaux étaient enfermés au XIIIᵉ siècle, car ils n’arrivaient pas à se mettre d’accord sur le nom d’un pape. Autrement dit, ce qui se passe avant le conclave est aussi important que ce qui se passe après : c’est ce qui s’appelle les congrégations générales qui ont eu lieu jusqu’au mardi 6 mai. L’entrée en conclave est mercredi en fin d’après-midi. Combien de temps va durer le conclave ?

En moyenne, à l’époque contemporaine, de la fin du XVIIIᵉ siècle à nos jours, cela dure environ sept scrutins, soit 48 h. Le premier jour il y a un vote, le deuxième jour, quatre votes, deux le matin, deux l’après-midi et le troisième jour, deux votes le matin et deux l’après-midi. Ils font ensuite une nouvelle période de consultation où ils ne votent pas pendant une journée, après quoi ils reprennent le vote avec le même rythme. Je pense que les élections contemporaines nous apprennent que le vote se fait sous 48 h : la plus longue élection qu’on a eue à l’époque contemporaine en 1922, c’était Pie XI avec quatorze tours de scrutin. François a été élu avec cinq tours de scrutin : c’était d’abord quatre, mais il en a fallu un dernier à cause d’un vice de procédure. Pour conclure, je pense que l’élection se fera avant vendredi soir.

Si ce n’est pas le cas, il y aura une journée de pause pour laquelle les vaticanistes se battent pour savoir quand elle aura lieu : le samedi ou le dimanche. Cela pourrait faire durer l’élection jusqu’à au moins lundi.Cela serait au-dessus de la moyenne, mais ce scénario m’étonnerait. Même si le conclave est très ouvert, des figures ainsi que des règles se détachent. Un candidat idéal coche plusieurs cases : celle de l’âge, de l’expérience, du besoin actuel de l’Église. Ce dernier a été défini par rapport à ce qu’a été ou n’a pas été assez le pape François, que ce soit la question de la théologie, de l’unité de l’église, pour resserrer les rangs après un pontificat qui a été assez clivant. Mais aucun personnage ne répond à 100% d’entre eux. Je connais des vaticanistes qui ont préparé quarante fiches de cardinaux. Sur 133, cela fait un sur trois, ce qui est considérable. Sur les autres conclaves, on n’a pas autant de cardinaux favoris. Quarante est une vision large, vingt cardinaux éligibles, c’est une vision moyenne, et une dizaine de cardinaux, sept/huit, c’est une vision restreinte. 

Ce qui pourrait nous amener à un scrutin un peu plus long qu’à l’accoutumée, c’est le fait que les cardinaux ont peut-être trop vite voté la dernière fois en choisissant un homme qu’ils connaissaient assez peu. Dans ce sens, les congrégations générales jouent un rôle essentiel.

Il y a un enjeu à ce que le prochain pape ait un solide bagage théologique pour l’unité de l’Église en étant au clair sur les problématiques locales comme le mariage des prêtres. Est-ce une priorité ?

Ce n’est pas le mariage des prêtres, c’est le fait que des hommes mûrs, les viri probati, des hommes qui n’ont plus d’enfant à charge et qui font leur preuve dans une communauté chrétienne, puissent devenir prêtres. Cela a été le grand débat lors du synode pour l’Amazonie, mais le pape n’a pas souhaité prendre cette voie.

Pour revenir à la question théologique, à la différence de Jean-Paul II et de Benoît XVI, François n’était pas un intellectuel, c’était un véritable homme de terrain, un pasteur. Ce bagage théologique qui doit affermir le gouvernement de l’Église a un peu manqué lors de son pontificat. C’est ce que demande Jésus à saint Pierre dans saint Luc : « affermis tes frères dans la foi » et pour cela, il y a une mission théologique, qui a été moins prégnante avec le pape François.

Même s’il y a une théologie de François, elle ne correspond pas véritablement aux perceptions européennes : c’est ce qui a provoqué des incompréhensions et des décalages, notamment sur la question de la bénédiction des couples homosexuels. Face à la réaction provoquée, Rome a précisé qu’on ne bénissait pas les couples, mais les personnes. Quand deux personnes homosexuelles demandent une bénédiction, vous les bénissez tous les deux, d’où l’ambiguïté sur cette question et le refus de plusieurs diocèses dans le monde d’accepter cette bénédiction : tout le continent africain, sauf les pays du Maghreb, la Bretagne, la Pologne, et plusieurs diocèses américains.

Un des grands défis de la papauté, qu’est-ce que c’est ? Pouvoir conjuguer ce qui est local avec ce qui est universel. L’Église est universelle,  » catolicos  » signifie, » universalité « . S’il n’y a pas d’universalité de la loi et des pratiques, il n’y a plus d’unité. Une personne homosexuelle ne peut pas recevoir une bénédiction à Cologne et ne pas la recevoir à Vannes en Bretagne. Cela n’aurait pas de sens puisque l’Église est universelle. Si les lois sont différentes d’un pays à l’autre ou d’un continent à l’autre, de sérieux problèmes risquent de se poser. Cette tension entre le local et l’universel est très prégnante, comme on l’a vu avec les oppositions lors du pontificat du pape François. Il ne s’agit pas seulement d’oppositions conservatrices, car celles-ci ont été protéiformes : les oppositions au pape François, en Chine, ne sont pas les mêmes que celles au Chili ou en Pologne. Elles ne relèvent pas de la division classique  » progressiste versus conservateur ». Les choses sont beaucoup plus compliquées.

En ce qui concerne le profil culturel du prochain pape, devrait-il être européen pour prendre le contrepied de François qui a quelque peu boudé l’Europe qui a pourtant tant apporté au christianisme ou un pape africain dont le continent connaît une remarquable dynamique des vocations ?

C’est aux cardinaux de répondre, mais, c’est vrai qu’il y a eu un véritable fossé, une incompréhension entre le pape François et l’Europe. Cela vient du fait que nous ayons eu le premier pape argentin de l’Histoire. Le cardinal Bergoglio a revêtu les habits de la papauté avec une perception très sud-américaine : de manière schématique, en Amérique du Sud et Centrale, on voit d’abord les personnes, puis le dogme, la loi, alors qu’en Europe, c’est l’inverse : on voit d’abord la loi, le dogme, puis les personnes. C’est cette différence de perception qui a engendré une véritable confrontation.

Concernant l’Afrique, sans vouloir lui faire ombrage, je la vois davantage comme une succursale de l’Europe : elle s’estime européenne sur le plan de la vision catholique. C’est ce que l’on a vu avec la bénédiction des couples homosexuels. Les évêques africains ont déclaré : « si l’Europe n’est pas capable de défendre ce qu’elle a toujours défendu, nous allons le faire ». Tandis que le christianisme se développe chez eux, les Africains voient l’apostasie de l’Europe qui se déchristianise, qui légifère sur les grands sujets sociétaux comme l’euthanasie et l’avortement, contre lesquels lutte l’Église. Je crois donc qu’il peut y avoir un cardinal européen porté par l’Afrique afin d’européaniser de nouveau la papauté. J’y crois d’autant plus que les cardinaux du bout du monde sont bien loin de Rome. Si elle doit prendre en compte les réalités locales, elle est européenne, donc il est nécessaire de mettre un pape européen sur le trône de Pierre et peut-être italien pour la question de la Curie.

Est-ce qu’une ingérence de puissances politiques, économiques est à craindre ? Je pense au président Macron qui s’était entretenu avec Mgr Aveline le jour des obsèques du pape François.

L’ambassadrice de France, près le Saint-Siège, Florence Mongin a publié un communiqué dans lequel elle expliquait que cela s’était produit dans l’histoire de France. Toutefois, aujourd’hui, le contexte avec les réseaux sociaux est tel que, de mon point de vue, ce serait imprudent. Si Donald Trump avait réuni les cardinaux, que n’aurait-on pas dit ? C’est assez délicat d’interférer, d’autant plus que le cardinal Aveline fait partie des papabilis. Cela peut davantage lui porter préjudice. Concrètement, il n’y a pas eu d’ingérence : la rumeur disant que Macron ne voulait pas du cardinal Sarah ne tient pas. C’est simple : en quoi et en quel nom Macron peut donner un avis sur ces questions alors que toute sa politique sociétale est une politique qui va à l’encontre de l’Église ? À l’heure où je vous parle, nous discutons de la légalisation de l’euthanasie en France. Même s’il avait voulu influencer, il ne pourrait pas le faire, car il représente l’exact contraire de ce qu’enseigne l’Église.

L’interview intégrale sur youtube

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