Interview par Philippe Marie
Dans cet entretien exclusif accordé à Tribune Chretienne , Philippe Darantière, président de l’association Notre-Dame de Chrétienté, revient sur l’engouement sans précédent pour le pèlerinage de Chartres, qui a vu ses 19 000 places réservées en seulement cinq jours. Il nous parle de la logistique complexe du pèlerinage, des défis liés à l’augmentation du nombre de pèlerins, et de l’expérience spirituelle qu’offre cet événement.
Le président de Notre Dame de Chrétienté évoque également les attentes croissantes des fidèles, notamment en lien avec l’aspiration à une Église plus enracinée dans la tradition et la piété mariale, symbolisée par le Pape Léon XIV, dont il nourrit de grands espoirs pour l’avenir de la foi chrétienne.
« Philippe Darantière, cette année, les 19 000 places pour le pèlerinage de Chartres ont été réservées en seulement cinq jours. Comment expliquez-vous cet engouement inédit autour du pèlerinage, et quels sont les plus grands défis logistiques que vous devez relever face à une telle affluence ?
Les nombreux pèlerins qui se joignent à notre route de Paris à Chartres à la Pentecôte cherchent à vivre une expérience de foi sans concession, portée par un élan d’amitié joyeuse et par une liturgie qui les introduit de plein pied dans le mystère sacré. Il y vivent aussi un temps de formation et de prière intense qui nourrit et parfois transforme leur vie intérieure.
Pour leur permettre cette expérience, les 1200 bénévoles de l’association Notre-Dame de Chrétienté réalisent un véritable exploit. Ils encadrent, assistent et accompagnent pendant trois jours une foule de 19.000 personnes sur 100km de distance. Pour prendre une image, cela reviendrait à faire sortir de chez eux tous les habitants de la ville de Pontarlier, et les faire marcher à pied pendant 3 jours en dormant sous la tente. Il n’existe pas d’équivalent à ce pèlerinage en termes d’organisation à ma connaissance.
De nombreux pèlerins, notamment des jeunes, semblent attirés d’abord par la dimension culturelle avant de découvrir la richesse liturgique et spirituelle du pèlerinage. Comment accompagnez-vous ce « mouvement de la culture au culte » évoqué par l’abbé Jean de Massia ?
Une partie de nos jeunes pèlerins éprouve un grand besoin d’enracinement. Dans une société liquide, où rien n’est stable et tout peut être « déconstruit », ils cherchent dans l’histoire de la France et dans les traditions de ses provinces un héritage culturel qui ne leur a jamais été transmis. Au pèlerinage, nos chapitres sont structurés par régions, chacun sous le patronage d’un saint protecteur, souvent local. Cette organisation permet de véhiculer une identité spirituelle au sein de laquelle ces jeunes peuvent s’insérer. Les vocables locaux par lesquels la Sainte Vierge est honorée ou l’histoire des saints patrons de nos chapitres sont une page d’histoire de France ouverte à tous pendant trois jours.
Ce sont aussi nos étendards et nos chants qui leur parlent de la France et de l’Europe chrétienne. Enfin, il faut mentionner la cathédrale millénaire vers laquelle nous marchons, reliquaire de pierre pour le voile de la Sainte Vierge qui constitue son plus inestimable trésor. Tous ces ingrédients profanes ou sacrés mettent en valeur d’une manière particulière la liturgie traditionnelle en usage au pèlerinage. C’est ainsi, tout naturellement, que se réalise ce passage « de la culture au culte ».
Face à l’afflux massif de participants, vous avez mis en place de nouveaux « chapitres d’attente », comme celui de saint Patient. Comptez-vous, à l’avenir, élargir encore la capacité d’accueil pour permettre à davantage de pèlerins de participer ?
Nous avons pour l’avenir à relever un double défi : accueillir en toute sécurité les pèlerins de plus en plus nombreux à qui Dieu inspire de venir en pèlerinage à Chartres d’une part, et leur procurer un encadrement humain et spirituel de haut niveau pour répondre à leurs besoins de formation, d’échanges et de soutien d’autre part. Cette année, ne pouvant accueillir toutes les demandes d’inscription pour des raisons de logistique et de sécurité, nous avons cependant permis aux volontaires de s’inscrire dans le chapitre Saint Patient, qui est une sorte de liste d’attente en cas de désistements tout autant qu’une liste de préinscription pour l’an prochain.
Dès cette année, les cadres du pèlerinage ont travaillé aux solutions qui permettront demain d’accroitre nos capacités d’accueil : double colonne de pèlerins marcheur au départ de Paris sur un même itinéraire, nouvel itinéraire et nouveau bivouac pour les familles, les « pastoureaux » et les enfants le samedi, dédoublement de l’itinéraire de marche le dimanche matin, extension du bivouac du dimanche soir, etc.
Le thème choisi cette année, « Pour qu’Il règne sur la terre comme au Ciel », affirme une volonté forte de réenracinement spirituel et moral. Comment espérez-vous que ce message résonne dans la vie des pèlerins après ces trois jours de marche ?
Le premier jour du pèlerinage est consacré à exposer la doctrine du Christ Roi, sous le patronage de Saint Pie X. Le dimanche permettra d’approfondir les moyens spirituels par lesquels le Christ règne d’abord sur nos cœurs, sous le patronage de Saint Benoît. Enfin, le lundi, sous le patronage de Saint Francisco Alleu, jeune martyr de la guerre d’Espagne, nous nous armerons pour le combat tant spirituel que temporel qu’il nous faudra mener, de retour dans nos villages et nos cités, pour que le règne du Christ s’étende sur les âmes et les sociétés humaines.
En outre, le lundi à Chartres, un plateau TV retransmettra en direct sur internet avant la messe le témoignage de pèlerins engagés dans des œuvres de charité ou de culture destinées à témoigner de cette Seigneurie du Christ, selon l’expression de Benoît XVI. D’autres productions vidéos seront également proposées après le pèlerinage pour compléter tous ces enseignements. Comme vous le voyez, un accent important est mis sur la formation et la transmission pendant et après le pèlerinage.
Certains regrettent que plusieurs paroisses ferment leurs portes au passage du pèlerinage ou refusent leur accueil. Comment réagissez-vous face à ces refus d’inclusion alors même que l’Église se veut ouverte à tous ?
Je dois dire que je n’ai pas connaissance de fermetures d’églises par hostilité pour ce que nous représentons pendant le pèlerinage. Et il faut rappeler qu’à la Pentecôte, les fidèles des diocèses que nous traversons peuvent aussi être réunis pour des rassemblements de leurs propres communautés. Bien sûr, il peut y avoir ça et là quelques réactions d’agacement au défilé de la colonne, qui dure une heure environ, mais l’inverse se manifeste aussi : encouragements, applaudissements, prière… Nous avons le plus souvent d’excellentes relations avec les mairies des villages que nous traversons et un bon accueil des habitants.
« Cela dit, la place qui nous est actuellement reconnue dans l’Eglise reste le sujet d’une discussion que nous souhaitons poursuivre avec qui ceux qui veulent bien dialoguer avec nous… »
Philippe Darantière , président de Notre Dame de Chrétienté
Face à l’enthousiasme grandissant, envisagez-vous une réorganisation du pèlerinage pour l’édition 2026, afin de mieux accueillir l’afflux de pèlerins et d’assurer à chacun de vivre pleinement cette expérience spirituelle ?
Depuis plusieurs années, les cadres du pèlerinage travaillent sur différents modèles de croissance. Mais l’accélération des inscriptions est un phénomène marquant depuis trois ans, qui nous oblige à aller plus vite dans une réflexion à la fois audacieuse, généreuse et sécurisante. C’est ce que nous faisons.
Le pape Léon XIV, dont la forte dévotion mariale est bien connue, suscite beaucoup d’espérance parmi les fidèles. Pensez-vous qu’il pourrait un jour venir à Chartres pour se recueillir devant le voile de la Vierge ?
Simple serviteur des pèlerins dans ma fonction de président de Notre-Dame de Chrétienté, je n’ai pas accès aux projets de pèlerinage du nouveau souverain pontife. Toutefois, l’histoire de la papauté et de la cathédrale de Chartes sont mêlées depuis les origines : les papes saint Clément Ier et saint Léon sont représentés dans les sculptures de sa façade. Le pape Jean Paul II, pour son VIIe centenaire en 1994, avait écrit dans une lettre à l’évêque de Chartres : « Marie inspira particulièrement les évêques et le peuple de Chartres pour édifier une cathédrale que nous continuons d’admirer comme l’expression et le témoin précieux de la foi authentique. Dans la pierre et dans le verre, s’offre au regard du croyant une éloquente illustration du message de l’Écriture sainte et de la pensée de l’Église. »
« Souhaitons que Léon XIV sera un jour inspiré de venir en pèlerinage à Chartres ! » Philippe Darantière
Une question plus large sur le nouveau Pape Léon et les « espoirs » qu’il soulève après des années de rupture avec Francois ?
Le Pape François a servi l’Eglise d’une manière généreuse mais très personnelle, qui laissera sans doute des résultats contrastés. Le Pape Léon XIV, tout en saluant à chaque occasion la mémoire de son prédécesseur, semble vouloir imprimer à son propre pontificat un style et une posture inspirée de la tradition augustinienne. Son sens de la vie intérieur et de la piété mariale se conjuguent avec les qualités personnelles d’écoute et d’attention aux autres que lui prêtent ceux qui le connaissent. Il a aussi la réputation d’un esprit rigoureux formé à l’école des canonistes, et d’un missionnaire fervent pour le salut des âmes.
Notre espoir est que ses qualités lui permettent de considérer très rapidement à quel point l’unité de l’Eglise, qu’il célèbre dans sa devise pontificale, exige de faire droit aux aspirations des fidèles attachés à la liturgie traditionnelle. Mais laissons-lui le temps de prendre sa charge. Nous prions pour lui à cette intention. »
interview réalisée le 14 mai 2025