On attendait ces mots, on attendait ce cri. Il vient tard, mais il est là. Dans le cadre d’une tribune solennelle adressée aux parlementaires, à la veille du vote d’un projet de loi légalisant le droit de tuer au nom de l’« aide à mourir », les évêques d’Île-de-France dénoncent une rupture anthropologique majeure. Ils qualifient cette législation de « crime contre la fraternité, contre la dignité, contre la vie ».
Même s’il survient à la dernière heure, et sans qu’aucune mobilisation nationale ne l’accompagne, ce cri mérite d’être entendu. Les évêques franciliens s’adressent directement aux députés et sénateurs : « Vous êtes investis de la lourde mission d’écrire la loi, et cette charge commande pour vous le respect de toute la nation », écrivent-ils, avant d’exprimer leur profonde inquiétude face à ce qu’ils considèrent comme une inversion des repères essentiels.Ils dénoncent un usage détourné du langage : désigner comme « naturelle » une mort provoquée, évoquer un « droit à mourir » comme s’il s’agissait d’un progrès, et appeler « fraternelle » une aide qui met fin à la vie. « C’est en tordant le sens des mots qu’on veut nous faire accepter cette perspective », alertent-ils.
Ils redoutent également un élargissement progressif de la loi, déjà envisagé par certains : après les cas dits exceptionnels, viendraient ceux des mineurs, des personnes atteintes de troubles cognitifs ou des personnes âgées isolées. Une dynamique qu’ils jugent irréversible et dangereuse.Les évêques rappellent que la loi Claeys-Leonetti existe, qu’elle offre déjà un cadre équilibré pour accompagner les patients en fin de vie, et que les soins palliatifs restent à ce jour inaccessibles dans plus d’un quart des départements : « Si l’on veut protéger les plus faibles de souffrances terribles, pourquoi ne pas se tourner résolument, d’abord, vers ces soins palliatifs ? »
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Les évêques soulignent que cette opposition ne repose pas uniquement sur des convictions religieuses. Médecins, juristes, soignants et aidants s’inquiètent eux aussi. « La mort donnée ne peut pas être un soin », insistent-ils.Enfin, ils témoignent de ce qu’ils observent dans les unités de soins : des personnes qui, une fois écoutées et accompagnées, renoncent à leur volonté de mourir. « À chaque fois que cela se produit, c’est la dignité, la fraternité, l’humanité, qui gagnent du terrain. »
Leur cri se veut triple : témoignage, acte citoyen, prière. Il se conclut par ces mots solennels adressés aux parlementaires :
« Oui, notre société est bien inquiète, mais nous ne nous résoudrons jamais à penser qu’elle puisse calmer cette inquiétude au prix d’une rupture anthropologique qui créerait les conditions d’un crime contre la dignité, d’un crime contre la fraternité, d’un crime contre la vie. »
Rappelons que la création d’un délit d’entrave à l’aide à mourir sera passible de deux ans de prison et de 30 000 euros d’amende. Il concernerait toute pression dite « morale ou psychologique » exercée sur un patient ou un soignant.
La tribune est signée par :
† Mgr Laurent Ulrich, archevêque de Paris
† Mgr Benoît Bertrand, évêque de Pontoise
† Mgr Dominique Blanchet, évêque de Créteil
† Mgr Guillaume de Lisle, évêque auxiliaire de Meaux
† Mgr Étienne Guillet, évêque de Saint-Denis-en-France
† Mgr Philippe Marsset, évêque auxiliaire de Paris
† Mgr Jean-Yves Nahmias, évêque de Meaux
† Mgr Matthieu Rougé, évêque de Nanterre
† Mgr Emmanuel Tois, évêque auxiliaire de Paris
† Mgr Luc Crepy, évêque de Versailles
† Mgr Michel Pansard, évêque d’Évry-Corbeil-Essonnes