Dans un message publié sur sa page Facebook le 20 juin dernier, le cardinal Pablo Virgilio David, évêque de Caloocan ( Philippines ) et président de la Conférence des évêques catholiques des Philippines, a exprimé ses réserves face aux propos récents de Benjamin Netanyahu. Le Premier ministre israélien avait invoqué la figure de Cyrus le Grand, roi de Perse, pour comparer les interventions d’Israël contre l’Iran à une mission de libération du peuple perse.
Le 19 juin dernier, Benjamin Netanyahu déclarait depuis Beersheba : « Il y a 2 500 ans, Cyrus a libéré les Juifs. Aujourd’hui, un État juif aide à libérer le peuple perse. » Une référence au récit biblique d’Esdras (1, 1-4), que le cardinal David juge problématique, rappelant que Cyrus, loin d’être un conquérant, avait été présenté dans la Bible comme un instrument de paix et de restauration.Dans un commentaire intitulé « Inversion ou libération ? », le cardinal souligne que l’histoire de Cyrus est celle d’un roi païen appelé « oint du Seigneur » par le prophète Isaïe (Is 45, 1), pour avoir permis au peuple juif de quitter l’exil babylonien et de reconstruire le temple. « Cyrus a reconstruit, non détruit. Il a libéré sans bombarder. » Pour Monseigneur David, invoquer cette figure pour justifier une opération militaire revient à dénaturer le message biblique.
« Quelle ironie, alors, qu’un dirigeant juif moderne se voit maintenant en guerre avec les descendants de ce même empire perse. » cardinal Pablo 20 juin2025
Par cette phrase, Monseigneur David ne cherche pas la provocation, mais il met en lumière le renversement de perspective : là où la Perse fut jadis l’instrument de la libération d’Israël, Israël se présente aujourd’hui comme le libérateur de la Perse ,mais par les armes. L’ironie, pour lui, tient au fait que la mémoire biblique, au lieu d’inspirer une action de paix et de restauration, semble être utilisée pour donner une légitimité religieuse à une opération militaire.
Dans une seconde déclaration publiée simultanément sur Facebook, intitulée « A Cry to the Conscience of Israel » (Un appel à la conscience d’Israël), le cardinal élargit sa réflexion à la situation à Gaza. Il appelle les juifs d’Israël et de la diaspora à refuser toute justification religieuse à des actions de violence, même si elles sont présentées comme défensives, affirmant : « Une nation ne peut construire sa sécurité sur la peur, la vengeance ou l’humiliation d’un autre peuple. »
Ordonné prêtre en 1983, Pablo Virgilio David est l’un des biblistes les plus respectés des Philippines, titulaire d’un doctorat en théologie obtenu à l’Université catholique de Louvain, il a également étudié à l’École biblique et archéologique française de Jérusalem. Il a été nommé évêque auxiliaire en 2006, puis évêque de Caloocan en 2015. Le pape François l’a créé cardinal lors du consistoire du 7 décembre 2024.Monseigneur David est connu pour son engagement en faveur des droits humains et sa dénonciation des dérives autoritaires. Il s’est opposé publiquement à la politique de l’ancien président philippin Rodrigo Duterte, notamment à propos de la guerre contre la drogue qu’il a qualifiée de « guerre d’extermination ». Malgré des menaces et une plainte en sédition déposée contre lui en 2019, classée sans suite, il a continué à défendre la vérité et la justice sociale.
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En 2022, il a également pris position contre les partisans de Ferdinand Marcos Jr., dénonçant la réécriture de l’histoire liée à la dictature de son père. Il a appelé les catholiques philippins à « ne pas rester silencieux » face aux manipulations de la mémoire nationale.
Dans ses déclarations récentes, Monseigneur David ne condamne pas Israël en tant que nation, ni la nécessité de garantir sa sécurité, mais il met en garde contre une instrumentalisation du langage biblique pour justifier des opérations militaires. Pour lui, « la véritable libération ne peut passer que par la justice, la miséricorde et la paix ».Sa voix, respectée dans le monde catholique asiatique, appelle à une lecture fidèle des Écritures, où la restauration prime sur la domination, et où la foi ne peut être séparée de la compassion.
Sources : page Facebook du cardinal Pablo Virgilio David, biographie officielle et notice sur Catholic-Hierarchy.org.
intégralité du post Facebook du cardinal David
« UN INVERSEMENT DE LA LIBÉRATION ?
Netanyahu, Cyrus et le modèle biblique
« Ce n’est un secret pour personne que le Premier ministre Benjamin Netanyahu, dans ses récentes déclarations, a jeté l’agression militaire d’Israël contre l’Iran dans le cadre d’une mission plus large, voire morale, – une mission qu’il recadre comme une bataille contre la tyrannie, comme un effort pour « libérer le peuple iranien de son gouvernement oppressif. » Mais qu’elle soit voulue ou non, cette rhétorique fait écho à une inversion surprenante d’un récit biblique profondément gravé dans la mémoire juive : celle de la libération non pas par Israël, mais d’Israël – par la Perse, l’ancien Iran.
Dans les pages de la Bible hébraïque, en particulier dans Ezra 1 et Esaïe 44–45, on trouve l’un des moments les plus fascinants de l’histoire juive : la montée inattendue de Cyrus le Grand, le roi de Perse, qui a mis fin à l’exil babylonien des Juifs. Dans une surprenante tournure de la théologie prophétique, le prophète Isaïe applaudit non seulement Cyrus mais l’appelle en fait « l’onction du Seigneur » (messie) – un titre autrement réservé aux rois et prêtres israéliens. Ce dirigeant perse, étranger et païen comme il était, est considéré comme l’instrument choisi de Dieu pour « subdonner les nations », « reconstruire Jérusalem » et « libérer les exilés » (Is 45:1,13). Ezra 1:1-4 enregistre l’édit de Cyrus, invitant les Juifs à rentrer chez eux et à reconstruire le temple – un acte de magnanimité politique enveloppé dans une commission divine.
Quelle ironie, alors, qu’un dirigeant juif moderne se voit maintenant en guerre avec les descendants de ce même empire perse. La posture de Netanyahu, qu’elle soit consciemment modelée ou non, peut être lue comme un renversement du récit de Cyrus. Si dans la Bible c’est l’Iran qui a libéré Israël de la captivité babylonienne, Netanyahu semble maintenant désigner Israël comme le libérateur de l’Iran de ses oppresseurs contemporains. Là où Cyrus était autrefois acclamé comme un agent de la justice de Dieu, Netanyahu semble maintenant prendre ce manteau lui-même – encadrant les frappes aériennes et la cyberguerre comme des actes de délivrance messianique.
Le contraste ne pourrait pas être plus frappant. Cyrus a libéré des exilés sans prix ni paiement. Il a reconstruit plutôt que détruit. Sa libération était non violente et réparatrice, pas militariste et rétributive. Alors que l’on se souvient de Cyrus pour un geste de paix ouvert, la version de la libération de Netanyahu s’appuie sur la force, sur la puissance de feu, sur la rhétorique de la menace existentielle.
Cela soulève des questions théologiques difficiles. La violence, même lorsqu’elle est dirigée contre un régime oppressif, peut-elle vraiment être appelée libération ? Les allusions bibliques peuvent-elles justifier les guerres modernes, ou simplifient-elles dangereusement l’interaction complexe du pouvoir, de l’histoire et de la moralité Peut-être plus inconfortablement : invoquer Cyrus sert-il maintenant de couverture morale, occultant une guerre régionale dans le langage de la justice prophétique ?
Ce qui est clair, c’est que les Écritures, bien qu’elles informent l’identité et l’imagination de nombreuses nations, ne devraient pas être armés. L’histoire de Cyrus ne parle pas de domination mais de grâce inattendue, d’un roi étranger devenu un étonnant vase de miséricorde divine – non pas par la conquête, mais par la compassion.
Peut-être qu’à notre époque, le mouvement le plus radical ne serait pas d’imiter Cyrus comme conquérant, mais Cyrus comme libérateur, restaurateur et constructeur de ponts. L’ancien roi perse a vu la douleur d’un peuple déplacé et n’a pas agi par peur ou par représailles, mais par vision de paix. C’est le modèle biblique qui mérite d’être récupéré. »
Source https://www.facebook.com/pablovirgilio.david