Nichée dans les collines ondulantes de la Shfelah, près du village d’Eliav, à environ 35 kilomètres au sud-ouest de Jérusalem, la grotte dite « de Salomé » fascine autant par son ampleur que par le mystère entourant l’identité de celle qui y fut inhumée.Jusqu’à récemment, la tradition chrétienne avait associé ce lieu à Salomé, figure mentionnée dans les textes apocryphes comme sage-femme ayant assisté la Vierge Marie lors de la naissance de Jésus. Le Protévangile de Jacques, un écrit chrétien ancien non retenu dans le canon biblique, raconte que Salomé douta de la virginité de Marie, fut frappée au bras, puis guérie après avoir pris l’Enfant Jésus dans ses bras, le proclamant « un grand roi… né pour Israël ».
Mais les fouilles récentes menées par l’Autorité israélienne des Antiquités (IAA), publiées en 2025 dans la revue Atiqot, livrent une tout autre lecture du site. Le vaste complexe funéraire, vieux de 2 000 ans, comprend une cour de 350 m² – dallée de pierres et décorée de mosaïques – des chambres funéraires, des murs de pierres taillées, des niches et des installations rituelles. D’après les archéologues Nir-Shimshon Paran et Vladik Lifshits, rien ici ne correspond à la sépulture modeste d’une sage-femme : « Ce tombeau ne correspond pas au profil d’une simple nourrice. Il est d’une ampleur telle qu’on ne peut l’attribuer qu’à une personne de tout premier rang. »
La structure est aujourd’hui reconnue comme l’un des plus grands ensembles funéraires de l’époque du Second Temple. Plusieurs villas romaines de prestige ont été découvertes à proximité, dont une à un kilomètre du site et une autre à cinq kilomètres, témoignant de la richesse du secteur. Ces éléments orientent les chercheurs vers une hypothèse désormais jugée la plus plausible : le tombeau aurait appartenu à Salomé, sœur du roi Hérode le Grand, une femme de pouvoir, à qui son frère légua plusieurs villes après sa mort. La localisation du site, sur la route entre Ashkelon – où elle possédait un palais – et la vallée du Jourdain, renforce cette possibilité.Bien que le prénom Salomé (ou Shlomit) ait été très répandu à l’époque, ce qui a favorisé diverses identifications, aucune preuve ne permet d’associer le tombeau à l’une des figures chrétiennes évoquées dans les Évangiles. En revanche, la dimension monumentale de l’édifice, sa richesse ornementale, son implantation en Idumée (région d’origine des Hérodiens) et son lien probable avec les villas voisines plaident pour une sépulture royale.
Le site a pourtant connu une seconde vie à partir du VIe siècle, lorsque les chrétiens byzantins ont réinvesti la Terre Sainte à la recherche de lieux saints. La grotte fut alors réinterprétée comme le tombeau d’une « sainte Salomé », vénérée par les pèlerins. Des dizaines d’inscriptions ont été gravées sur ses parois en grec, en syriaque et en arabe, certaines évoquant explicitement Salomé. Des croix, des lampes à huile décorées et des icônes ont également été retrouvées. Le culte s’est poursuivi jusqu’au IXe siècle, même après la conquête musulmane.
« La surprise a été l’adaptation de la grotte en chapelle chrétienne », précise l’IAA. Le caractère sacré du lieu reposait sans doute sur une inscription ancienne, peut-être visible au moment de sa redécouverte, qui mentionnait simplement le nom de Salomé – ce qui suffit à en faire un lieu de pèlerinage. Aucun ossuaire n’a été conservé, possiblement en raison des pillages antérieurs.Fermée au public aujourd’hui, la grotte attire toujours quelques visiteurs discrets qui y laissent bougies et prières. Les travaux récents visent à préparer son éventuelle réouverture. Mais désormais, ceux qui y viennent devront peut-être revoir leur compréhension de ce lieu : ce n’est plus seulement un sanctuaire de foi populaire, mais un témoignage unique des liens entre pouvoir politique et mémoire religieuse.
Ce retournement d’interprétation illustre comment l’archéologie peut redonner aux pierres leur signification originelle. De lieu de dévotion chrétienne à sépulture princière, la grotte de Salomé raconte une histoire multiple, à la croisée de la piété, de l’identité biblique et de l’histoire juive. Une transition saisissante qui révèle, une fois encore, combien la Terre Sainte reste un lieu de mémoire vivante ,où l’histoire et la foi ne cessent de dialoguer.