Dans une interview accordée au site ekathimerini.com, la ministre chrétienne syrienne Hind Kabawat revient sur l’attentat qui a frappé l’un des lieux de culte les plus anciens de la capitale. Ce témoignage, rare dans le paysage politique syrien, révèle une volonté de dépasser les clivages confessionnels et de reconstruire une société sur des bases justes.Rappelons que le 22 juin dernier, un terroriste a ouvert le feu à l’intérieur de l’église grecque-orthodoxe Saint-Élie, avant de se faire exploser. Le bilan est tragique : 25 morts et 63 blessés. Ce drame a profondément marqué les chrétiens syriens, mais aussi la société dans son ensemble.
Hind Kabawat, seule ministre chrétienne du gouvernement de transition formé après la chute de Bachar el-Assad, a été la première à se rendre sur place. « Cette attaque ne visait pas seulement les chrétiens, mais tous les Syriens », affirme-t-elle. Un message clair : le terrorisme ne frappe pas une communauté, il cherche à briser la cohésion de tout un peuple.
Elle reconnaît d’ailleurs sans détour la fragilité actuelle de la société syrienne : « Nous ne pouvons pas nier que la société reste fragile après des années de guerre dévastatrice et d’effondrement économique. » Cette lucidité contraste avec les discours parfois triomphalistes tenus par d’autres responsables. En tant que chrétienne, elle témoigne aussi de cette fragilité ressentie de manière aiguë par les minorités religieuses.La ministre Kabawat salue cependant la réaction de la population syrienne après l’attentat : « La douleur et l’indignation ne se limitaient pas à la communauté chrétienne. Des Syriens de toutes confessions et origines ethniques ont exprimé leur soutien. » Ce sursaut de solidarité est, selon elle, un signe encourageant. Dans un pays où les tensions confessionnelles ont été attisées par la guerre, ces gestes de compassion interreligieuse ont une valeur symbolique forte.
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Interrogée sur les accusations portées par le patriarche Jean d’Antioche contre le président Ahmed Hussein al-Sharaa, elle adopte un ton apaisant. « Dans des moments de douleur immense, les émotions peuvent être vives », reconnaît-elle. Mais elle insiste aussi sur la réponse rapide du gouvernement et sur la nécessité de ne pas céder à la division.Sur le plan institutionnel, la ministre rappelle que la Syrie fonctionne encore sous une déclaration constitutionnelle provisoire. Mais elle insiste sur l’enjeu du moment : « La future constitution devra garantir l’égalité de citoyenneté à tous les Syriens. » Elle ajoute un point souvent négligé par les régimes précédents : « Tous les Syriens – à l’intérieur comme à l’étranger – doivent participer à la construction de cet avenir. » Une manière d’impliquer aussi la diaspora chrétienne, qui a été très touchée par l’exil.Ce passage est particulièrement significatif : alors que de nombreux chrétiens ont quitté la Syrie depuis 2011, Hind Kabawat semble leur adresser un appel indirect à rester liés au destin de leur pays, voire à y contribuer activement.
Dans cet entretien, Hind Kabawat incarne une voix rare dans le monde politique syrien. Son engagement, tout en demeurant mesuré, témoigne d’une volonté sincère de restaurer une coexistence pacifique dans une Syrie encore profondément blessée. Pour les chrétiens du pays, ce discours, même modeste, offre un point d’ancrage, un signe d’écoute et de reconnaissance. Et pour l’ensemble de la société syrienne, il rappelle que l’unité nationale ne peut se construire sans justice, sans égalité, et sans respect des croyances de chacun.