Il fut un temps où l’on entrait dans une église pour prier. À Heerlen, c’est bientôt pour nager qu’on passera le seuil de l’église Saint-François d’Assise. Ce bâtiment centenaire, désacralisé depuis plusieurs années, sera transformé en piscine publique par les agences néerlandaises MVRDV et Zecc Architecten. L’annonce du projet, baptisé avec une ironie grinçante Eau Bénite, fait couler beaucoup d’encre. On ne s’émerveille pas ici d’une prouesse architecturale, on s’attriste d’une profanation symbolique.Le projet se vante de “préserver les éléments historiques” de l’église tout en y insérant un bassin au centre de la nef. Les bancs des fidèles deviennent des sièges pour les nageurs ou des comptoirs pour les spectateurs, la chaire est recyclée en poste de surveillance pour maître-nageur, et les mosaïques inspirées des vitraux devraient servir de décor aquatique. Même le sol amovible de la piscine permettrait de “marcher sur l’eau”, recréant, selon les promoteurs du projet, une expérience “presque plus impressionnante que l’originale”.
Mais que reste-t-il de l’originale ? Une coquille vide, désorientée, livrée à des usages profanes. La réutilisation d’églises pour des activités commerciales, culturelles ou sportives est un phénomène grandissant en Europe, à mesure que la pratique religieuse s’effondre. Pourtant, une question demeure : un lieu sacré peut-il jamais devenir un simple espace “multifonction” sans perdre son âme ?En transformant un sanctuaire où le Christ était adoré en une piscine publique, c’est la signification même de l’église qui est niée. Le temple de Dieu n’est pas une halle disponible au plus offrant, il est le signe d’une présence, d’un mystère, d’une transcendance. Il fut consacré, habité par l’Eucharistie, témoin de sacrements et d’innombrables prières. Le réduire à une esthétique ou à une acoustique, c’est perdre le sens du sacré, et c’est précisément ce que notre époque peine à comprendre.« Les églises sont de plus en plus désaffectées », justifie l’architecte Winy Maas.
Mais pourquoi sont-elles vides ? Faute de foi. Et comment les remplir ? Par la mission, par la conversion, par la prière. Non par le divertissement. Une société qui transforme une église en piscine peut se féliciter de sa créativité, mais elle trahit en réalité son vide spirituel. Elle cherche à “sublimer” les lieux saints sans en respecter le sens.
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Depuis quarante ans, les Pays-Bas connaissent un net déclin de la pratique religieuse, en particulier dans l’Église catholique. Si le nombre de catholiques est resté relativement stable (environ 5,2 millions), leur proportion dans la population a chuté de 40 % à 33 %, et la participation à la messe dominicale a diminué de 81 % entre 1960 et 1996. En 2023, moins de 4 % des catholiques néerlandais assistent régulièrement à la messe. Les sacrements connaissent la même érosion : baptêmes, mariages, premières communions et confirmations sont tous en chute libre. En parallèle, le nombre d’ordinations sacerdotales s’est effondré (31 entre 1996 et 1998 contre 278 en 1960-1965), même si les diacres permanents et les agents pastoraux laïcs ont augmenté. Vieillissement des fidèles, individualisme croissant et désaffection envers les institutions religieuses marquent cette sécularisation profonde, observée dans toute l’Europe occidentale.
Le cardinal Willem Jacobus Eijk voit dans cette situation une conséquence directe de l’émergence d’une culture « hyper-individualiste » née dans les années 1970, qui rejette toute forme d’autorité transcendante, qu’elle soit religieuse, familiale ou sociale. Il déplore que l’élite progressiste de l’Église néerlandaise, très active au moment du concile Vatican II, ait cédé à cette mentalité, désertant l’enracinement doctrinal. Aujourd’hui, à peine un Hollandais sur quatre se déclare encore croyant, et d’innombrables églises ont été désacralisées. Pourtant, le cardinal garde l’espérance d’un renouveau à travers le « petit reste » de fidèles qui croient, prient et vivent en lien personnel avec le Christ.
Faut-il rappeler que saint François d’Assise, patron de l’église de Heerlen, n’a jamais appelé à “réutiliser” les églises, mais à les réparer, à les restaurer, à y rallumer la foi ? Ce projet, aussi ingénieux soit-il, n’est pas une renaissance, c’est une abdication. Et si les chrétiens ne pleurent pas leurs églises livrées à la nage, qui pleurera pour eux ?