La menace ne vient ni du nucléaire ni des pandémies ni même du climat. Elle vient du berceau vide, du choix collectif de ne plus transmettre la vie. C’est le constat posé avec lucidité par Dean Spears et Michael Geruso, deux économistes de l’Université du Texas, dans leur livre After the Spike: Population, Progress, and the Case for People. Loin des alertes catastrophistes sur la surpopulation, leur thèse est simple : le seul péril mesurable et déjà engagé pour l’humanité, c’est la dénatalité.
Le taux de fécondité mondial est passé de 2,72 enfants par femme en 2000 à 2,25 aujourd’hui. À l’échelle de la planète, la population atteindra un pic autour de 10 milliards d’ici la fin du siècle, avant de décroître rapidement. Selon leurs calculs, si le taux moyen mondial tombait au niveau actuel des États-Unis (1,6), l’humanité pourrait disparaître avant l’an 2500.
La France illustre ce basculement démographique. En 2024, selon l’Insee, 660 800 bébés sont nés en France, soit une baisse de 2,8 % par rapport à 2023 et de 22 % par rapport à 2010. Ce recul ne s’explique pas par une diminution du nombre de femmes en âge d’avoir des enfants mais bien par une baisse généralisée de la fécondité. Le phénomène concerne toutes les tranches d’âge, y compris les femmes entre 30 et 34 ans, traditionnellement les plus fécondes. Dans les départements d’outre-mer, la chute est encore plus marquée avec un recul de 11,7 % en un an, contre 2,7 % en métropole. À Mayotte, les naissances ont chuté de 13,6 %, en Guadeloupe de 8,5 %.L’indicateur conjoncturel de fécondité s’est établi à 1,66 enfant par femme en 2023. C’est l’un des meilleurs taux de l’Union européenne mais il ne suffit plus à maintenir la population. Le basculement est désormais réel. En mai 2025, pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, le nombre de décès en France a dépassé celui des naissances. Ce renversement, prévu initialement pour 2027, s’est produit plus tôt que prévu.
Les économistes montrent que ce recul démographique n’est pas sans conséquences. Moins d’enfants signifie moins d’innovation, moins d’élan collectif, moins de solidarité
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La population mondiale a crû, mais dans le même temps la faim a reculé, la santé publique s’est améliorée, les émissions de carbone par habitant ont baissé. En Chine, la population a augmenté de 50 millions entre 2013 et 2023, alors que la pollution atmosphérique a été divisée par deux. En Inde, la hausse démographique a été accompagnée d’une meilleure nutrition chez les enfants. Les hommes ne sont pas un poids pour la planète, rappellent Spears et Geruso, mais sa principale richesse. Ce sont les esprits humains qui inventent, créent, développent. Moins de naissances, c’est moins de chercheurs, d’enseignants, d’agriculteurs, de pères et de mères. Moins d’humanité.Mais leur diagnostic ne s’arrête pas aux constats techniques. Ils montrent aussi l’échec des politiques publiques, que ce soit dans les régimes autoritaires comme la Roumanie sous Ceausescu ou dans les États les plus généreux d’Europe du Nord. Partout, malgré les crèches, les congés parentaux et les aides, les naissances baissent. Pourquoi ? Parce que le désir même d’enfant s’efface. Parce que l’enfant n’est plus vu comme une promesse mais comme une contrainte.
C’est là que l’Église, souvent incomprise, porte une parole prophétique. Jean-Paul II rappelait dans Familiaris Consortio : « L’avenir de l’humanité passe par la famille ». Il affirmait aussi : « La famille est le sanctuaire de la vie ». Une société qui ne veut plus de familles fécondes est une société qui se coupe de l’avenir.Le pape Léon XIV l’a redit dès son homélie d’intronisation, le 18 juillet 2025 : « Une Église fidèle ne peut se taire quand la famille est détruite, quand la vie est méprisée, quand l’enfant devient un fardeau au lieu d’être une bénédiction ». Quelques jours plus tard, le 20 juillet, il ajoutait : « Là où il n’y a plus de familles, il n’y a plus de vocations, plus de transmission de la foi, plus d’espérance. La famille chrétienne est un feu à rallumer, non un souvenir à pleurer ».
Ce ne sont pas seulement des avertissements moraux, ce sont des paroles de vérité. Le drame de la dénatalité n’est pas d’abord économique, il est existentiel. C’est le signe que l’Occident ne sait plus pourquoi il vit, ni pour qui. Une société sans enfants est une société sans but, sans legs, sans joie partagée.Si l’homme ne se tourne plus vers la vie, s’il n’accepte plus le don de soi qu’implique l’accueil d’un enfant, alors il choisit le repli, la solitude, l’effacement. Le diagnostic est posé. Reste à savoir si notre civilisation préférera la fécondité ou le néant.