Sur l’île de Sir Bani Yas, à 170 kilomètres à l’ouest de la ville d’Abu Dhabi, au large de la côte des Émirats arabes unis, des archéologues ont mis au jour une croix en plâtre parfaitement conservée, datée d’environ 1 400 ans. Cette trouvaille exceptionnelle, révélée le 19 août , confirme la présence chrétienne organisée dans le Golfe bien avant l’ère moderne et éclaire la vie spirituelle des moines et pèlerins de l’époque.La croix, moulée sur une plaque de plâtre et ornée de motifs symboliques, a été découverte dans un bâtiment du complexe monastique de Sir Bani Yas, situé en face de la petite ville côtière de Jebel Dhanna. Retrouvée face contre terre dans une zone de fouilles entamée en janvier dernier, elle mesure 27 cm de long, 17 cm de large et 2 cm d’épaisseur. Ce positionnement a permis sa conservation exceptionnelle, dans une région où chaleur et humidité détruisent rapidement les matériaux fragiles.
C’est la première fois que des preuves tangibles du christianisme sont découvertes dans un monastère isolé et non dans une église elle-même. Une croix, datant d’une époque où le christianisme prospérait dans le Golfe
Le Département de la Culture et du Tourisme d’Abu Dhabi (DCT Abu Dhabi) précise que l’élément le plus frappant reste sans doute l’empreinte digitale retrouvée au dos de la croix. Hager Al Menhali, archéologue émiratie, décrit ce moment avec émotion : « Il y avait une empreinte nette à l’arrière. C’était la trace d’une personne qui a vécu ici il y a quatorze siècles. » Cette marque humaine relie directement le présent au passé, offrant un lien tangible avec la communauté chrétienne qui vivait sur l’île.
Le monastère de Sir Bani Yas fut découvert dans les années 1990, mais cette nouvelle fouille a permis de mettre au jour une croix plus grande et plus travaillée que celle retrouvée alors. Elle enrichit considérablement la compréhension du site. Les archéologues y voient la preuve que la communauté chrétienne de l’île n’était pas marginale, mais bien implantée et organisée.Le complexe comprend des bâtiments de cour, des habitations en pierre et une église. Les murs épais en calcaire et corail local, ainsi que la présence de citernes, montrent que les moines savaient s’adapter aux conditions du climat aride. L’archéologue Maria Gajewska souligne que ces constructions étaient « extrêmement bien faites », révélant une volonté de stabilité et de confort, loin de l’image d’ermites isolés dans le désert.Les indices matériels laissent deviner une vie religieuse rythmée par les prières nocturnes à la lueur des lampes, les offices dans l’église et les périodes de retraite spirituelle. Certains bâtiments auraient pu accueillir des pèlerins ou des moines en quête de solitude, notamment lors du Carême. L’île elle-même, éloignée du continent tout en restant accessible par bateau, constituait un lieu idéal de retraite pour des chrétiens venus chercher silence et prière.
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Sir Bani Yas s’inscrit dans un ensemble plus large de sites chrétiens découverts dans le Golfe arabo-persique. Des vestiges similaires ont été identifiés au Koweït, au Bahreïn, en Arabie Saoudite et au Qatar. Ces monastères et églises appartenaient à l’Église d’Orient, très présente dans la région dès les premiers siècles. Ils témoignent d’un christianisme vivant, inséré dans les routes commerciales maritimes, et dont les moines priaient au cœur du désert en portant la Croix du Christ comme signe d’espérance et de salut.Les recherches montrent que la communauté de Sir Bani Yas n’était pas coupée du monde. Les habitants vivaient d’élevage, chèvres, moutons, bovins, et de pêche, mais étaient aussi intégrés à des réseaux commerciaux reliant le Golfe à l’Asie et au Moyen-Orient. Ce rôle de carrefour explique la vitalité de ce monastère, qui pouvait accueillir pèlerins, moines et voyageurs en quête de repos spirituel.
Au-delà de son intérêt scientifique, la croix rappelle la profondeur historique du christianisme dans le Golfe. Pour Mohamed Khalifa Al Mubarak, président du Département de la Culture et du Tourisme d’Abu Dhabi, « elle éveille en nous une profonde fierté et nous rappelle que la coexistence pacifique n’est pas une construction moderne mais un principe inscrit depuis longtemps dans l’histoire de notre région ».Pour les chrétiens, cette découverte est aussi un rappel fort : la foi a précédé ici de nombreux siècles de bouleversements et elle a laissé une empreinte spirituelle durable. Même si les communautés disparurent avec le temps, le témoignage de ces moines demeure un appel à garder vivante la tradition chrétienne, enracinée dans la prière et la fidélité au Christ.