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Un livre-interview du pape Léon XIV qui ravive les polémiques des années François

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Beaucoup estiment que ce livre-interview pouvait être évité, tant il brouille l’image d’un pontificat qui se présente comme mesuré et attentif au poids des mots

La sortie du livre León XIV, Ciudadano del mundo, misionero del siglo XXI ( « Citoyen du monde, missionnaire du XXIᵉ siècle ») , publié récemment au Pérou par la journaliste américaine Elise Ann Allen, a surpris de nombreux observateurs. L’ouvrage, présenté comme une biographie du pape Léon XIV, contient une longue interview du Saint-Père. Ce choix étonne, car les interviews ont marqué l’un des points les plus problématiques du pontificat de François, souvent source de polémiques et de confusion.

On se souvient des conversations avec le journaliste italien Eugenio Scalfari, publiées sans enregistrement et qui laissaient entendre que le pape niait l’existence de l’enfer, provoquant un tollé. Autre épisode marquant, un documentaire où François semblait soutenir les unions civiles pour les couples homosexuels, interprété comme une rupture doctrinale. Ses déclarations improvisées dans les avions, par exemple sur la contraception en temps de crise, ou ses prises de position politiques, donnaient l’impression d’un pape qui réagissait en chroniqueur, au risque de brouiller le rôle du magistère. Ces “couacs” avaient fragilisé son autorité et divisé l’Église.

À l’inverse, les premiers mois de Léon XIV avaient montré un style plus mesuré, attentif aux mots, évitant les phrases ambiguës ou scandaleuses. Beaucoup pensaient donc qu’il mettrait fin à la pratique des interviews. D’où l’étonnement face à ce livre, publié de manière singulière uniquement en espagnol et au Pérou, alors que l’entretien original avait eu lieu en anglais et que la version internationale n’est pas encore parue. Une décision inhabituelle qui interroge sur ses motivations réelles.Ce choix éditorial apparaît d’autant plus particulier que les biographies papales publiées en début de pontificat sont rares. Jean-Paul II avait attendu de longues années avant de collaborer avec Vittorio Messori pour Entrez dans l’espérance ; Benoît XVI avait accordé à Peter Seewald un entretien de fond dans Lumière du monde seulement après cinq ans de pontificat. Dans ces cas, les entretiens avaient valeur de bilan, permettant de relire un chemin déjà parcouru. Ici, Léon XIV prête sa voix à une biographie presque inaugurale, ce qui change profondément la perception.

La journaliste Elise Ann Allen, auteure du livre, est une proche du pape. Leur lien s’est noué dans le cadre de la lutte contre le Sodalitium Christianae Vitae, communauté péruvienne dissoute après la révélation d’abus psychologiques et sexuels commis par ses responsables. Ancienne membre de ce groupe, Allen défend la mémoire de cette bataille mais son regard est jugé trop marqué par son parcours personnel. Cela nourrit le soupçon d’un récit orienté.Une large partie du livre revient sur les scandales d’abus au Pérou, en particulier sur les accusations visant le cardinal Prevost, soupçonné d’avoir couvert des prêtres dans son diocèse. Selon Allen, il avait correctement signalé les cas à Rome et aidé les victimes. De son côté, Léon XIV exprime dans l’entretien sa peine face à la souffrance des victimes et déplore la lenteur de la justice, qui a aggravé leur douleur. Il affirme avoir voulu dès le début de son pontificat trouver des solutions pour rendre les procédures plus rapides, tout en garantissant les droits de tous, victimes comme accusés.

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Le choix de publier d’abord au Pérou prend alors une signification particulière. Ce pays a été durement frappé par les scandales d’abus et demeure marqué par la crise du Sodalitium. Lancer ce livre là-bas peut être compris comme un geste de proximité avec une Église blessée. Mais il reste à savoir si cette démarche sera perçue comme une attention sincère ou comme une stratégie risquée de communication.

En effet, ce livre n’éteint pas les polémiques. Certains soulignent que les victimes elles-mêmes affirment n’avoir jamais été entendues dans leur diocèse et dénoncent un manque d’enquête réelle, point qui reste sans réponse officielle.

Plus largement, disons que le recours à une interview, genre fragile par nature, soulève un problème de méthode. Les phrases peuvent être simplifiées, sorties de leur contexte, ou confondues avec des prises de position magistérielles. En acceptant de participer à une biographie sous forme d’interview, Léon XIV s’expose donc à de nouveaux malentendus. Certains passages du livre, notamment ceux qui évoquent les questions LGBTQ, sont déjà cités comme pouvant donner lieu à des interprétations diverses.Le paradoxe est là : un pape qui avait jusqu’ici marqué sa différence par une grande prudence verbale reprend un outil qui avait fragilisé son prédécesseur. Cette contradiction intrigue et inquiète, car les grandes décisions de son gouvernement n’ont pas encore été prises. Beaucoup estiment que ce livre-interview pouvait être évité, tant il brouille l’image d’un pontificat qui se présente comme mesuré et attentif au poids des mots.

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