Jimmy Lai n’est pas seulement un homme d’affaires emprisonné pour ses idées. Il est devenu, malgré lui, le visage d’une Chine qui persécute la liberté de conscience. Converti au catholicisme, fidèle à sa foi et à sa patrie d’adoption, le fondateur du Apple Daily paie aujourd’hui le prix d’une vérité qu’aucun pouvoir ne peut réduire au silence. Tandis qu’il attend sa sentence, son cas rappelle à l’Occident et au Vatican les limites d’un dialogue illusoire avec un régime qui ne tolère pas la foi libre.Né en 1947 à Guangzhou, dans une Chine ravagée par la guerre civile, Jimmy Lai fuit seul à l’âge de douze ans vers Hong Kong. Il y travaille comme ouvrier dans une usine textile avant de fonder sa propre marque, Giordano, devenue un succès à l’échelle asiatique. Dans les années 1990, il investit ses bénéfices dans la presse et fonde le groupe Next Digital et le quotidien Apple Daily, qui deviennent rapidement des symboles d’indépendance et de liberté d’expression dans l’ancienne colonie britannique.
L’événement qui le transforme est le massacre de la place Tian’anmen, en 1989. Ce drame scelle son opposition au Parti communiste chinois. Menaces, agressions, pressions financières : rien ne le fait taire. En 1997, l’année du retour de Hong Kong à la Chine, il reçoit le baptême catholique sous la direction du cardinal Joseph Zen, figure majeure de l’Église locale.
« Je suis ce en quoi je crois, je ne peux le changer. Et si je ne peux le changer, je dois accepter mon destin avec fierté », confiera-t-il plus tard.
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Sa foi devient le moteur d’un engagement public. « Je suis arrivé ici sans rien, la liberté de ce lieu m’a tout donné… Peut-être est-il temps que je rende cette liberté en luttant pour elle », disait-il avant son arrestation. Lorsque Pékin impose en 2020 la Loi sur la sécurité nationale, il choisit de rester à Hong Kong, alors qu’il aurait pu se réfugier au Royaume-Uni, dont il est citoyen. Il est arrêté en décembre de la même année, accusé de « collusion avec des puissances étrangères ». L’Apple Daily est fermé, ses comptes saisis, ses collaborateurs arrêtés. En cinq ans, le symbole de la presse libre hongkongaise disparaît.Aujourd’hui âgé de 78 ans, Jimmy Lai est détenu dans un isolement quasi total. Son fils Sebastien alerte la communauté internationale : « Vu son âge et sa santé, c’est une condamnation à mort. » Son procès, dont les audiences se sont terminées en août, doit déboucher sur une sentence attendue dans les prochains jours. Peu d’observateurs croient à un acquittement.
Le contraste entre le courage d’un homme et le silence des chancelleries occidentales est saisissant. Londres, dont Jimmy Lai est ressortissant, n’a obtenu aucun geste concret. Washington promet, mais agit peu. Quant au Vatican, il continue de maintenir un dialogue prudent avec Pékin dans le cadre de l’accord sur la nomination des évêques, au risque de voir se réduire son autorité morale. L’affaire Lai montre les limites de cette politique : le Parti communiste ne tolère aucune allégeance spirituelle qui échappe à son contrôle.
Le 25 octobre prochain, à l’occasion de la journee du media italien La Bussola , son fils Sebastien recevra au nom de son père le prix « « Faits pour la Vérité » ». Ce prix, créé pour honorer ceux qui vivent et défendent la vérité, exprime le double sens de son titre : nous sommes faits pour la vérité, et la vérité nous fait hommes libres.Jimmy Lai incarne ce lien entre foi, liberté et vérité. Derrière les barreaux, il demeure un témoin silencieux d’une vérité qu’aucune prison ne peut contenir. Sa vie rappelle que la liberté ne se réduit pas à un droit politique, mais qu’elle naît d’une conscience qui refuse le mensonge, même au prix de la souffrance. Quelle que soit la sentence, son nom restera associé à ceux qui ont préféré la fidélité à la vérité plutôt que la sécurité du compromis.