Après la répression des manifestations commencées le 25 septembre, qui a fait au moins vingt morts selon les chiffres de l’ONU, le pays semble au bord du chaos. Mais au milieu des tensions politiques, la voix de l’Église se dresse, lucide et compatissante, rappelant à tous que la paix ne naîtra que de la vérité et de la conversion des cœurs.
Le père Cosimo Alvati, missionnaire salésien en poste sur la Grande Île depuis de nombreuses années, décrit un climat de peur et de confusion : « Madagascar vit une situation incertaine dans l’attente des déclarations du président Andry Rajoelina. » Selon lui, les forces de sécurité sont désormais divisées : « La gendarmerie demeure fidèle au président, mais certains militaires de la Capsat ont appelé à ne plus tirer sur la population. »
L’histoire semble se répéter. Le père Alvati évoque les précédents coups d’État : « Il s’agit d’un scénario déjà vu en 2009, lorsque Rajoelina avait lui-même pris le pouvoir après des manifestations populaires contre Marc Ravalomanana. » Quinze ans plus tard, les mêmes fractures refont surface, alimentées par la pauvreté et le désespoir. « Des bandes criminelles profitent du chaos pour piller une population épuisée. Tant qu’aucune perspective réelle de croissance ne sera offerte aux Malgaches, des révoltes de ce type continueront d’éclater. »
Pour comprendre la résilience du peuple malgache face à ces épreuves, il faut se rappeler son héritage chrétien, profondément ancré dans son identité nationale. Selon les données de 2023, 58,08 % des Malgaches se déclarent chrétiens, contre à peine 2,12 % de musulmans et une infime minorité d’autres religions. La foi demeure la colonne vertébrale d’une société qui, malgré les crises, reste attachée à l’Évangile.Cette ferveur plonge ses racines au début du XIXe siècle. En 1818, les missionnaires de la London Missionary Society s’installent à Madagascar avec le soutien du roi Radama Ier, désireux d’ouvrir son royaume à la modernité. Ils traduisent la langue malgache en alphabet latin et publient la première Bible dans la langue locale, faisant de l’Évangile le moteur de l’alphabétisation.
Mais le feu de la foi attira bientôt la persécution. Sous la reine Ranavalona Ire, le christianisme fut interdit, les catéchistes pourchassés, et de nombreux fidèles martyrisés pour avoir refusé d’abjurer. Les collines d’Andohalo, à Antananarivo, restent un lieu de mémoire, sanctifié par le sang des témoins du Christ.La situation changea radicalement en 1869 lorsque la reine Ranavalona II, avec son époux le Premier ministre Rainilaiarivony, se convertit publiquement. Les talismans royaux furent détruits et remplacés par la Bible, symbole d’un royaume désormais placé sous le signe de la croix. Cette conversion officielle ouvrit une ère nouvelle : celle d’une nation évangélisée, unie autour de la Parole de Dieu.
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Aujourd’hui encore, l’Église reste l’un des rares repères stables dans un pays rongé par la corruption et la misère. Présente à travers 21 diocèses et des milliers d’écoles, d’orphelinats et de dispensaires, elle incarne la fidélité au service du bien commun. Le Conseil malgache des Églises, qui réunit les principales confessions chrétiennes, joue un rôle moral majeur et a souvent servi de médiateur lors des crises politiques.Mais la mission de l’Église dépasse le cadre social. Dans les villages, sur les routes de brousse ou dans les faubourgs d’Antananarivo, les prêtres, religieuses et laïcs engagés continuent de porter la lumière du Christ à ceux qui ont perdu tout espoir.
Alors que le président Rajoelina doit s’exprimer, beaucoup attendent un message de réconciliation. Mais le père Alvati, lui, reste prudent : « Ce pays ne retrouvera la stabilité que si la vérité et la justice inspirent ceux qui le gouvernent. »
Dans cette nuit d’incertitude, Madagascar garde pourtant un trésor inestimable : sa foi. De la Bible traduite par les premiers missionnaires aux martyrs d’Andohalo, du courage des catéchistes à la prière quotidienne des plus pauvres, tout rappelle que l’âme chrétienne du pays demeure vivante.Et peut-être, au-delà des luttes politiques, c’est cette fidélité silencieuse du peuple à son Dieu qui sauvera encore une fois Madagascar.