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La station “Sainte Vierge Marie” inaugurée à Téhéran sur fond de répression croissante contre les chrétiens

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À l’image de la station Sainte Vierge Marie, le christianisme iranien reste enraciné dans la terre perse , discret et persécuté, mais indestructible

Alors que Téhéran inaugurait, le 13 octobre, la station “Sainte Vierge Marie” (Holy Virgin Mary Station) en hommage au patrimoine chrétien du pays, un rapport publié en janvier dernier par plusieurs organisations de défense des droits humains dénonçait une intensification dramatique de la répression contre les chrétiens en Iran. Cette contradiction saisissante révèle le paradoxe d’un pays où la mémoire chrétienne est reconnue dans la pierre, mais où la foi chrétienne, lorsqu’elle s’exprime librement, demeure sévèrement sanctionnée.

La nouvelle station de métro Sainte Vierge Marie, située dans le sixième arrondissement de Téhéran, à proximité de la cathédrale Saint-Sarkis, a été saluée par les communautés arméniennes et assyriennes comme un signe de reconnaissance officielle. La cathédrale, construite entre 1964 et 1970 grâce aux frères Sarkissian, demeure le cœur de la chrétienté arménienne de Téhéran.Son architecture majestueuse, restaurée en 2006, témoigne de la vitalité d’une foi ancienne. Un portrait de l’ayatollah Khomeini y côtoie les icônes arméniennes, signe d’une cohabitation prudente mais réelle. Pourtant, derrière ces symboles de coexistence, la réalité vécue par de nombreux chrétiens iraniens demeure marquée par la peur, la surveillance et la persécution.

Le christianisme iranien est l’un des plus anciens du Proche-Orient. Né dans un contexte mazdéen ,celui du zoroastrisme perse , il s’est développé dès le IIᵉ siècle, à la faveur des échanges entre la Mésopotamie, la Syrie et la Perse. Selon la tradition, l’Église de Perse fut fondée par l’apôtre Thomas et ses disciples.Au fil des siècles, les guerres entre Rome et les Parthes, puis entre Byzance et les Sassanides, ont déplacé des populations chrétiennes vers l’intérieur de la Perse, où elles ont fondé des communautés durables. Souvent persécutés, ces chrétiens ont dû affirmer leur indépendance doctrinale vis-à-vis de Rome, en se rattachant successivement au nestorianisme, puis au monophysisme. Cette distance théologique traduisait avant tout une volonté politique : marquer leur loyauté au pouvoir perse plutôt qu’à l’Empire romain chrétien.

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Aujourd’hui encore, cette christianité iranienne non persophone, essentiellement arménienne et assyrienne, conserve une identité linguistique et culturelle forte. Elle représente environ 200 000 fidèles, concentrés dans les grandes villes de Téhéran et d’Ispahan, notamment dans le quartier historique de la Nouvelle-Djoulfa.Les Arméniens forment la plus importante communauté chrétienne d’Iran. Installés massivement à partir du XVIIᵉ siècle par le chah Abbas Ier, ils contribuèrent à la prospérité économique et culturelle du royaume perse. Les artisans et commerçants arméniens d’Ispahan créèrent la première imprimerie persane en 1641 et jouèrent un rôle déterminant dans l’ouverture de la Perse à l’Occident.

Sous la monarchie Pahlavi (1941-1979), les Arméniens connurent une période de relative liberté. Mais la révolution islamique de 1979 bouleversa cet équilibre : près de 50 000 Arméniens émigrèrent dans les années suivantes. Aujourd’hui, ils seraient encore 150 000 à 200 000, bien que la communauté vieillisse et s’appauvrisse.La seconde grande communauté chrétienne est celle des Assyro-chaldéens, rattachés à l’Église apostolique de l’Orient, estimée à environ 15 000 à 20 000 membres. À cela s’ajoutent des groupes plus restreints de catholiques, anglicans et protestants.

La Constitution iranienne de 1979 reconnaît officiellement les chrétiens comme “gens du Livre” et leur accorde la liberté de culte dans la limite de la loi. Trois sièges leur sont réservés au Parlement : deux pour les Arméniens, un pour les Assyro-chaldéens.Mais cette reconnaissance reste théorique. Les chrétiens sont exclus de la plupart des postes administratifs, militaires et universitaires. Le port du hijab pour les femmes, la prohibition de l’alcool et la surveillance des activités religieuses s’appliquent à tous, quelle que soit leur foi. Depuis la révolution, les écoles chrétiennes ont perdu leur autonomie : les programmes doivent être approuvés par le gouvernement, le persan est imposé comme langue d’enseignement, et la présence d’élèves musulmans y est obligatoire.

Dans ce contexte fragile, la situation des chrétiens convertis issus de l’islam est alarmante. Selon un rapport publié le 20 janvier 2025 par l’organisation Article 18, en partenariat avec Portes Ouvertes, Christian Solidarity Worldwide et Middle East Concern, au moins 96 chrétiens ont été condamnés en 2024, soit quatre fois plus qu’en 2023.Le total des peines prononcées atteint 263 années de prison cumulées, contre 43 l’année précédente , une multiplication par six. Ces condamnations s’accompagnent d’exils forcés, d’amendes et de restrictions de droits civiques.

Le cas de Laleh Saati, arrêtée en février 2024 pour “propagande contre la sécurité nationale” après sa conversion, illustre cette dérive. Refusant de renier publiquement sa foi, elle a été condamnée à deux ans de prison par le juge Iman Afshari, réputé pour sa sévérité envers les minorités religieuses.Les ONG rappellent que ces chiffres ne reflètent qu’une partie de la réalité : nombre d’arrestations demeurent non documentées. 90 % des condamnés sont des convertis de l’islam, dont la simple pratique du christianisme est assimilée à un crime contre l’État.Le contraste est saisissant : tandis que Téhéran inaugure une station à la gloire de la Sainte Vierge, les fidèles du Christ vivent dans la clandestinité, traqués pour leur foi. Le christianisme est reconnu comme un héritage culturel, mais combattu comme une menace spirituelle lorsqu’il touche les cœurs des Iraniens.

Pourtant, malgré la répression, les églises de Téhéran et d’Ispahan demeurent pleines à chaque fête liturgique. La ferveur silencieuse des fidèles, souvent rassemblés dans la discrétion, témoigne d’une Église vivante, blessée mais pas vaincue.À l’image de la station Sainte Vierge Marie, le christianisme iranien reste enraciné dans la terre perse , discret et persécuté, mais indestructible. Sa survie même, dans un environnement aussi hostile, relève d’un miracle de fidélité.

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