Alors que le Dicastère pour le Dialogue interreligieux a publié un message adressé aux hindous pour la fête de Deepavali, signé par le cardinal George Jacob Koovakad, membre de l’Église syro-malabare et originaire du Kerala, le père Yann Vagneux, missionnaire des Missions Étrangères de Paris depuis 2012 à Bénarès (ou Varanasi), dans le nord de l’Inde, propose une analyse mesurée des liens entre le christianisme et cette « fête des lumières ». À l’occasion du soixantième anniversaire de Nostra Aetate, il revient sur les avancées et les limites du dialogue interreligieux entre l’Église catholique et l’hindouisme.Dans un entretien accordé à la plateforme d’information des Missions Étrangères de Paris Ad Extra, le père Yann Vagneux livre une réflexion lucide sur la réalité du dialogue entre l’Église catholique et l’hindouisme, un échange qu’il juge encore largement symbolique.
« Je les appelle toujours des bouteilles jetées à la mer, mais qui se perdent en route. C’est beau et noble, mais il n’y a presque personne pour les recevoir. »
Cette expression traduit bien, selon lui, la portée limitée des messages que le Vatican envoie chaque année aux hindous pour la fête de Deepavali : des paroles pleines de bienveillance, mais souvent sans interlocuteur véritable.Le père Vagneux constate qu’il existe peu de liens concrets entre l’Église catholique et le monde hindou. L’hindouisme, dit-il, est multiple, sans autorité centrale, et aucun de ses maîtres spirituels n’est touché par ces messages. Il note également que ces textes, souvent rédigés à Rome, parlent davantage le langage ecclésial que celui des traditions locales. « Dans ces messages, on cite le pape, on évoque Nostra Aetate, mais tout cela reste largement incompréhensible pour les hindous », souligne-t-il.
Pour lui, la véritable rencontre exige bien plus : une immersion spirituelle, une connaissance de l’intérieur. « L’avenir passera par une véritable connaissance de la religion et de la tradition spirituelle de l’autre, pas seulement au niveau universitaire, mais en en faisant une vivante expérience. »Le missionnaire plaide pour une formation longue et rigoureuse de ceux qui s’engagent dans le dialogue interreligieux. « Pour comprendre l’hindouisme, il faudrait au minimum dix à douze ans », estime-t-il, rappelant que sans une réelle compréhension des rites, des langues et des symboles, le dialogue reste superficiel. Il décrit l’hindouisme comme une terra incognita pour beaucoup de chrétiens.
« Quand je suis face à un chef spirituel hindou, si je ne connais pas son monde, je reste muet devant lui, comme si j’étais face à un extraterrestre. »
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Pour le père Vagneux, la mission ne consiste pas à nier les différences, mais à rencontrer l’autre dans la vérité. Le dialogue, pour être authentique, ne peut s’établir sur l’ignorance ni sur le relativisme.Soixante ans après la déclaration conciliaire, le père Vagneux estime que Nostra Aetate demeure un texte prophétique mais encore peu compris. « Nous sommes toujours au point de départ », confie-t-il. Le document avait pourtant ouvert une voie nouvelle en reconnaissant la présence de rayons de la lumière du Christ dans les autres religions. Mais, comme il le rappelle, cette intuition exige une mise en œuvre réelle et patiente : « Dans chaque religion, l’Esprit Saint a déposé des trésors, qui sont le bien même de l’humanité tout entière. »
Cette conviction, qui ne nie pas la singularité du christianisme, invite au contraire à témoigner avec plus de clarté de la vérité du Christ, sans crainte ni confusion.Évoquant Deepavali, le père Vagneux souligne la beauté de cette fête hindoue célébrant la victoire de la lumière sur les ténèbres. Il y voit une résonance symbolique avec le message chrétien. Il cite la Katha Upanishad : « Quand Lui brille, Lui l’Absolu, tout brille de sa brillance, tout est le reflet de sa lumière. »
Rappelons que pour les chrétiens, cette lumière n’est pas seulement un symbole : elle est une Personne, celle du Christ incarné. À Noël, la lumière n’est pas un éclat passager ni une énergie spirituelle, elle est Dieu Lui-même fait homme, venu sauver le monde et racheter les âmes. L’Évangile de saint Jean le proclame , Il était la lumière véritable qui éclaire tout homme en venant dans le monde. Cette lumière n’a pas d’équivalent : elle dépasse toute image et toute sagesse humaine.
La naissance du Christ n’est pas un simple événement cosmique, mais le cœur même de l’histoire du Salut de l’homme, la venue du Sauveur dans la chair pour illuminer les ténèbres du monde. Ainsi, si la fête de Deepavali célèbre la lumière de l’esprit, Noël célèbre la Lumière incarnée, celle qui donne la vie éternelle. C’est à cette lumière unique que l’Église demeure fidèle, même dans le dialogue avec les autres traditions.
Le père Yann Vagneux rappelle donc que le dialogue interreligieux ne peut être à sens unique. Il suppose un respect réciproque, une volonté réelle d’écoute et une reconnaissance mutuelle de la liberté religieuse. Or, en Inde, ce dialogue reste souvent déséquilibré. On ne peut oublier que les chrétiens y subissent encore de nombreuses persécutions, victimes de discriminations et parfois de violences liées à la montée d’un nationalisme religieux qui associe identité nationale et