Ce samedi 15 novembre le pape Léon XIV a reçu des représentants du monde du cinéma au Palais apostolique. Il a présenté sa vision du rôle du cinéma dans la société actuelle et a également évoqué les défis auxquels ce secteur est confronté.Le saint Père a ouvert son intervention en rappelant l’anniversaire des cent trente ans du cinéma et l’évolution de cet art depuis la première projection de 1895. Il a affirmé que le cinéma est passé d’un simple « jeu de lumières et d’ombres » à un moyen capable de « contempler et comprendre la vie ». Cette mise en perspective lui a permis de situer le cinéma comme un langage culturel désormais bien établi.Dans ce même passage, il a insisté sur la capacité du cinéma à offrir un espace de recul au spectateur. Selon lui, « lorsque la lanterne magique du cinéma s’allume dans l’obscurité, le regard de l’âme s’enflamme en même temps ». L’idée centrale, qu’il développe ensuite, est que le spectateur peut « regarder d’un œil nouveau la complexité de sa propre expérience ». Ce lien entre la salle obscure et l’introspection est présenté comme une spécificité du cinéma par rapport à la consommation continue d’images numériques.
Poursuivant sur ce thème, Léon XIV a décrit l’entrée dans une salle de cinéma comme une forme de seuil : « Dans l’obscurité et le silence, l’œil redevient attentif, le cœur se laisse atteindre, l’esprit s’ouvre ». Cette phrase marque le point de transition vers une réflexion plus large sur l’attention, dans un contexte où « le flux des informations est constant ». Le pape place donc le cinéma à part des autres écrans, qu’il qualifie de simples supports numériques, en parlant du cinéma comme « un carrefour de désirs, de mémoires et d’interrogations ».
Abordant ensuite les conditions concrètes de l’accès au cinéma, Léon XIV a exprimé une inquiétude devant « l’érosion préoccupante » des salles.
Il estime que les cinémas, comme les théâtres, sont des « cœurs battants de nos territoires » et demande aux institutions de ne pas se « résigner » à leur disparition. Cette critique s’inscrit dans une réflexion plus pratique sur la place des lieux culturels dans la vie quotidienne.
Le pape a ensuite évoqué la question des algorithmes et de la standardisation des contenus. Il observe que « la logique de l’algorithme tend à répéter ce qui fonctionne » et invite les professionnels à « défendre la lenteur quand elle est nécessaire, le silence quand il parle, la différence quand elle dérange ». Ce passage marque un appel à préserver la diversité artistique face aux tendances uniformisantes.Léon XIV a également intégré une référence au cinéaste David W. Griffith : « Ce qui manque au cinéma moderne, c’est la beauté, la beauté du vent qui bouge dans les arbres ». Le pape a mis cette remarque en relation avec une citation de l’Évangile de Jean : « Le vent souffle où il veut… ». Par cette juxtaposition, il a encouragé les professionnels à considérer que le cinéma peut ouvrir à des dimensions plus profondes de la vie humaine, sans pour autant imposer une lecture spirituelle aux œuvres.
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Par ailleurs, une part importante de son discours a été consacrée aux thèmes difficiles que le cinéma aborde : « violence, pauvreté, exil, solitude, dépendances, guerres oubliées ». Léon XIV estime que ces réalités doivent être montrées sans exploitation : « Le grand cinéma n’exploite pas la douleur : il l’accompagne, il l’explore ». Cette partie de l’intervention vise à souligner la responsabilité éthique des créateurs dans le traitement du réel.Dans un autre passage, il a insisté sur la dimension collective du travail cinématographique. Le pape rappelle que « la réalisation d’un film est un acte communautaire » et liste de nombreux métiers qui participent à la fabrication d’un film. Selon lui, cette dimension collaborative permet de contrer les « personnalismes exacerbés », formule par laquelle il entend les oppositions ou individualismes marquant la société actuelle.
Léon XIV a conclu en formulant le souhait que le cinéma demeure « un lieu de rencontre, une maison pour ceux qui cherchent un sens » et un « langage de paix ». Il a également exprimé le vœu que cet art conserve sa capacité à « montrer un fragment du mystère de Dieu », ce qui constitue une manière pour lui de rappeler la place du cinéma dans le paysage culturel sans le réduire à une fonction religieuse.
Texte intégral du discours du pape Léon XIV (traduit en français par Tribune Chrétienne )
« Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. La paix soit avec vous !
Chers frères et sœurs, bonjour et bienvenue !
Le cinéma est un art jeune, rêveur et un peu inquiet, bien qu’il soit désormais centenaire. En ces jours mêmes, il fête cent trente ans, si l’on compte à partir de cette première projection publique réalisée par les frères Lumière le 28 décembre 1895 à Paris. À l’origine, le cinéma apparaissait comme un jeu de lumières et d’ombres destiné à divertir et impressionner. Mais très vite, ces effets visuels ont su manifester des réalités bien plus profondes, jusqu’à devenir l’expression d’une volonté de contempler et de comprendre la vie, d’en raconter la grandeur et la fragilité, d’en interpréter la nostalgie d’infini.
C’est avec joie que je vous salue, chers amis, et que je salue avec gratitude ce que représente le cinéma : un art populaire au sens le plus noble, qui naît pour tous et parle à tous. Il est beau de reconnaître que, lorsque la lanterne magique du cinéma s’allume dans l’obscurité, le regard de l’âme s’enflamme en même temps, parce que le cinéma sait associer ce qui semble n’être qu’un divertissement avec le récit de l’aventure spirituelle de l’être humain. L’une des contributions les plus précieuses du cinéma est précisément d’aider le spectateur à revenir en lui-même, à regarder d’un œil nouveau la complexité de sa propre expérience, à revoir le monde comme si c’était la première fois et à redécouvrir, dans cet exercice, une part de cette espérance sans laquelle notre existence n’est pas pleine. Il me réconforte de penser que le cinéma n’est pas seulement des images en mouvement : c’est mettre en mouvement l’espérance.
Entrer dans une salle de cinéma, c’est comme franchir un seuil. Dans l’obscurité et le silence, l’œil redevient attentif, le cœur se laisse atteindre, l’esprit s’ouvre à ce qu’il n’avait pas encore imaginé. En réalité, vous savez que votre art demande de la concentration. Par vos œuvres, vous dialoguez avec ceux qui cherchent la légèreté, mais aussi avec ceux qui portent dans leur cœur une inquiétude, une question de sens, de justice, de beauté. Aujourd’hui, nous vivons avec les écrans numériques toujours allumés. Le flux d’informations est constant. Mais le cinéma est bien plus qu’un écran : c’est un carrefour de désirs, de mémoires et d’interrogations. C’est une quête sensible où la lumière perce l’obscurité et où la parole rencontre le silence. Dans la trame qui se déploie, le regard s’éduque, l’imagination s’élargit et même la douleur peut trouver un sens.
Les structures culturelles comme les cinémas et les théâtres sont des cœurs battants de nos territoires, parce qu’elles contribuent à leur humanisation. Si une ville est vivante, c’est aussi grâce à ses espaces culturels : nous devons les habiter, y tisser des relations jour après jour. Mais les salles de cinéma connaissent une érosion préoccupante qui les éloigne des villes et des quartiers. Et nombreux sont ceux qui affirment que l’art cinématographique et l’expérience du cinéma sont en danger. J’invite les institutions à ne pas se résigner et à coopérer pour affirmer la valeur sociale et culturelle de cette activité.
La logique de l’algorithme tend à répéter ce qui “fonctionne”, mais l’art ouvre à ce qui est possible. Tout n’a pas besoin d’être immédiat ou prévisible : défendez la lenteur lorsqu’elle est nécessaire, le silence lorsqu’il parle, la différence lorsqu’elle dérange. La beauté n’est pas seulement évasion, mais surtout invocation. Le cinéma, lorsqu’il est authentique, ne console pas seulement : il interpelle. Il appelle par leur nom les questions qui habitent en nous et, parfois, même les larmes que nous ne savions pas devoir exprimer.
En cette année du Jubilé, où l’Église invite à marcher vers l’espérance, votre présence venant de tant de nations et surtout votre travail artistique quotidien sont des signes lumineux. Car vous aussi, comme tant d’autres qui viennent à Rome du monde entier, vous cheminez comme des pèlerins de l’imagination, chercheurs de sens, narrateurs d’espérance, messagers d’humanité. Le chemin que vous parcourez ne se mesure pas en kilomètres, mais en images, paroles, émotions, souvenirs partagés et désirs collectifs. C’est un pèlerinage dans le mystère de l’expérience humaine que vous traversez avec un regard pénétrant, capable de reconnaître la beauté même dans les replis de la douleur, l’espérance au cœur des tragédies de la violence et des guerres.
L’Église vous regarde avec estime, vous qui travaillez avec la lumière et le temps, avec le visage et le paysage, avec la parole et le silence. Le pape saint Paul VI vous avait dit : « Si vous êtes amis du véritable art, vous êtes nos amis », rappelant que « ce monde dans lequel nous vivons a besoin de beauté pour ne pas sombrer dans le désespoir ». Je souhaite renouveler cette amitié, car le cinéma est un laboratoire d’espérance, un lieu où l’homme peut revenir regarder lui-même et son propre destin.
Nous devons peut-être écouter à nouveau les paroles d’un pionnier du septième art, le grand David W. Griffith. Il disait : « Ce qui manque au cinéma moderne, c’est la beauté, la beauté du vent qui bouge dans les arbres. » Comment ne pas penser, en entendant Griffith parler du vent dans les arbres, à ce passage de l’Évangile de Jean : « Le vent souffle où il veut ; tu en entends la voix, mais tu ne sais pas d’où il vient ni où il va : ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit » (Jn 3,8). Chers maîtres anciens et nouveaux, faites du cinéma un art de l’Esprit.
Notre époque a besoin de témoins d’espérance, de beauté, de vérité. Vous pouvez l’être par votre travail artistique. Retrouver l’authenticité de l’image pour sauvegarder et promouvoir la dignité humaine est au pouvoir du bon cinéma et de ceux qui en sont les auteurs et les protagonistes. N’ayez pas peur d’affronter les blessures du monde. La violence, la pauvreté, l’exil, la solitude, les dépendances, les guerres oubliées sont des blessures qui demandent à être vues et racontées. Le grand cinéma ne tire pas profit de la douleur : il l’accompagne, il l’explore. C’est ce qu’ont fait tous les grands réalisateurs. Donner voix aux sentiments complexes, contradictoires, parfois obscurs, qui habitent le cœur de l’être humain est un acte d’amour. L’art ne doit pas fuir le mystère de la fragilité : il doit l’écouter et savoir demeurer devant lui. Le cinéma, sans être didactique, porte en lui la capacité d’éduquer le regard.
Pour conclure, la réalisation d’un film est un acte communautaire, une œuvre chorale dans laquelle personne ne suffit à lui-même. Tous connaissent et apprécient la maîtrise du réalisateur et le génie des acteurs, mais une œuvre serait impossible sans le dévouement silencieux de centaines d’autres professionnels : assistants, coursiers, accessoiristes, électriciens, ingénieurs du son, machinistes, maquilleurs, coiffeurs, costumiers, responsables des lieux de tournage, directeurs de casting, directeurs de la photographie et de la musique, scénaristes, monteurs, spécialistes des effets, producteurs… J’espère n’oublier personne, mais vous êtes nombreux ! Chaque voix, chaque geste, chaque compétence contribue à une œuvre qui ne peut exister que dans l’ensemble.
À une époque de personnalismes exacerbés et opposés, vous nous montrez que, pour faire un bon film, il faut mettre ses talents en commun. Mais chacun peut faire briller son charisme particulier grâce aux dons et aux qualités de ceux qui travaillent à ses côtés, dans un climat collaboratif et fraternel. Que votre cinéma demeure toujours un lieu de rencontre, une maison pour ceux qui cherchent un sens, un langage de paix. Qu’il ne perde jamais sa capacité d’émerveillement, continuant à nous montrer, ne serait-ce qu’un instant, un fragment du mystère de Dieu.
Que le Seigneur bénisse vous, votre travail et vos proches. Qu’il vous accompagne toujours dans votre pèlerinage créatif, afin que vous puissiez être des artisans d’espoir. Merci. »
Source Vatican


