Alors que la fidélité est pour beaucoup devenue une idée désuète, relayée à un sentiment d’une nostalgie passée, le Vatican publie la note doctrinale Una Caro ( une seule chair) , approuvée par le pape Léon XIV, qui redonne à la monogamie toute sa profondeur biblique, anthropologique et spirituelle. Una caro du Dicastère pour la Doctrine de la Foi s’ouvre en affirmant que l’unité conjugale est au cœur du mariage, non comme une norme extérieure mais comme la vérité même de l’amour humain. Le texte précise que « tout mariage authentique est une unité composée de deux individus, qui requiert une relation si intime et totalisante qu’elle ne peut être partagée avec d’autres ». Cette unité est vécue comme une appartenance mutuelle qui protège la valeur unique de l’autre et qui découle de l’expression biblique fondamentale selon laquelle les époux deviennent « une seule chair ». Il s’agit d’une union totalisante, spirituelle et corporelle, appelée à mûrir, à croître et à refléter la beauté de la communion entre le Christ et son peuple.
La Note rappelle que dans l’histoire chrétienne les deux propriétés du mariage sont l’unité et l’indissolubilité mais que « l’unité est la propriété fondamentale », car l’indissolubilité n’est que la conséquence d’un lien véritablement unifié. La fidélité n’est pas un poids mais le fruit d’un amour vivant. Le texte souligne que « l’amour matrimonial ne se garde pas en répétant une doctrine mais en le fortifiant grâce à une croissance constante sous l’impulsion de la grâce ». Le Concile Vatican II affirmait déjà que les époux « éprouvent le sens de leur unité et l’atteignent toujours plus pleinement », montrant que le mariage est une réalité dynamique. La Note se situe dans cette ligne, éclairant par l’Écriture l’idéal d’une relation qui avance toujours vers une unité plus vraie.
L’ensemble du document déploie une vaste fresque: la Bible, les Pères, la philosophie, la poésie, la théologie moderne. Il relit la création en montrant que l’être humain cherche un visage, un tu qui lui corresponde. Le principe de la seule chair n’est pas une expression poétique mais le signe d’une union exclusive où l’autre apparaît comme irremplaçable. Dans les prophètes, la fidélité conjugale devient le langage même de l’Alliance. Dans le Cantique des Cantiques, « mon bien-aimé est à moi et je suis à lui » exprime la vérité d’un amour qui n’admet pas de partage.
Les Pères de l’Église ont très tôt compris cette vérité. Saint Chrysostome voyait dans l’unité une voie d’ascèse et de liberté. Saint Augustin rappelait que nul ne peut avoir rapport « avec un autre » sans détruire la fidélité. Tertullien montrait que le mariage chrétien est « une unique espérance ».
Dans la tradition orientale, l’unité est une réalité soutenue par la grâce et symbolisée par la couronne nuptiale. L’analyse philosophique, de von Hildebrand à Lévinas, éclaire l’unité conjugale comme relation de personne à personne, rencontre de deux libertés qui ne s’instrumentalisent jamais. Le mariage est présenté comme cet espace rare où l’autre devient un bien absolu sans cesser d’être autonome.La Note accorde une attention inédite à la poésie. Les poètes, de Dickinson à Neruda, sont convoqués pour montrer que la monogamie n’est pas une construction mais une intuition humaine profonde, celle d’un amour capable de dire « aucune autre ne dormira avec mes rêves ». Le document montre que le grand amour imaginé par les cultures populaires est presque toujours exclusif et durable, preuve que la monogamie correspond au désir le plus intime du cœur.
Dans cette perspective, le pape Léon XIV rappelle la valeur exemplaire de saint Louis et de sainte Zélie Martin, témoins d’une fidélité vécue. Il insiste sur le fait que le mariage n’est pas un idéal abstrait mais « le canon du véritable amour », un amour total, fidèle, fécond.
La définition canonique du mariage est rappelée comme une communauté de vie totale, orientée au bien des conjoints et à la procréation, et le Catéchisme souligne que la polygamie contredit la dignité égale de l’homme et de la femme.La longue réflexion philosophique présente dans la Note montre que la nature même de l’être humain appelle un amour unique. Saint Thomas d’Aquin affirme que la monogamie découle de l’instinct naturel et garantit la vraie amitié. Sertillanges, Kierkegaard, Mounier, Wojtyła, Maritain, tous convergent pour dire que l’amour véritable unit deux personnes sans jamais les réduire. Wojtyła rappelle que la stricte monogamie est une expression de l’ordre personnaliste car elle garantit que l’autre n’est jamais un objet.
Le document souligne que la personne « n’est pas seulement quelque chose, mais quelqu’un », qu’elle est un but en soi et que l’on ne peut jamais la traiter comme un moyen. Dès que l’amour oublie cette vérité, apparaissent « manipulations, jalousies, vexations, infidélités ». La véritable appartenance implique alors « une sainte crainte de profaner la liberté de l’autre ». Le texte invite à reconnaître que chaque famille crée ses propres équilibres, qu’« chaque maison est unique » et qu’aucune relation ne peut être uniforme.Quand la relation prend une forme de domination, il faut poser des limites claires et dire « tu ne me possèdes pas, tu ne me domines pas », non par orgueil mais pour défendre sa propre dignité et celle de l’autre. Le “nous deux” n’existe que comme rencontre de deux libertés qui ne s’absorbent pas. François rappelle que le risque est de vouloir « effacer les différences », car chaque personne possède une dignité irremplaçable et le respect de cette différence suppose une véritable dépossession intérieure.
La Note ajoute que seul Dieu peut entrer dans le cœur profond de la personne. « Dieu seul pénètre dans l’âme ». C’est pourquoi nul ne peut prétendre posséder « l’intimité la plus personnelle et secrète de la personne aimée ». Le mariage n’est pas fusion mais alliance, et cette distance sacrée fait partie de l’amour vrai. À mesure que la relation mûrit, les époux acceptent que la belle appartenance qui les unit n’est jamais une possession mais une liberté. Ils peuvent demander silence, solitude, secret, espace, sans trahir l’unité. Le “nous deux” est alors « toute la joie d’une mémoire commune » et « toute la sécurité qui vient du sentiment de ne pas être seul », mais il est en même temps magnifié par une liberté que nul amour authentique ne peut blesser.
Le mariage exclut le contrôle, car aucune relation humaine ne supprime totalement la solitude. Le cœur humain possède un espace que seul Dieu peut habiter.
Lire aussi
Reconnaître cette limite permet de vivre une confiance mature. L’autonomie n’est pas synonyme d’indifférence. L’Écriture rappelle « ne vous refusez pas l’un à l’autre » et la Note souligne que le dialogue sincère peut toujours renouveler la communion conjugale.L’appartenance devient alors un « aide réciproque » qui permet de grandir. Paul VI affirmait que par la donation personnelle exclusive les époux « se perfectionnent mutuellement ». Même la sexualité, vécue selon la charité, devient une expression sainte du don mutuel. La monogamie est présentée comme le reflet horizontal de l’unicité du rapport de chaque personne à Dieu. Tout amour humain appelle silencieusement un Troisième, et cet amour conjugal, par sa proximité, fait naître le désir d’un amour éternel. Saint Thomas d’Aquin rappelle que l’Esprit Saint procède invisiblement dans l’âme « par le don de l’amour » et la Note voit dans ce désir de permanence la trace d’une vocation transcendante.
La charité conjugale est définie comme la plus grande forme d’amitié, car elle unit les volontés et crée une communion de vie. Elle est une union affective qui demeure même lorsque les émotions varient. C’est elle qui rend possible la fidélité, comme le dit la formule splendide du consentement: « je promets de t’être toujours fidèle ». François commente que l’amour conjugal, après l’amour de Dieu, est « la plus grande amitié ».
La sexualité est revalorisée comme un don merveilleux. Vécue dans la charité, elle devient plus humaine, plus libre, plus joyeuse. Saint Thomas d’Aquin note que refuser le plaisir jusqu’à nier la nature est un vice. La sexualité, vécue comme action de la personne entière, peut libérer de peurs et produire une joie plus grande.
La Note approfondit aussi la fécondité et indique que l’union sexuelle doit rester ouverte à la vie mais chaque acte n’a pas besoin d’être intentionnellement procréatif. Wojtyła explique qu’un mariage sans enfants involontairement conserve toute sa dignité. Paul VI admet les rythmes naturels. Pie XI rappelle que l’amour conjugal « imprègne tous les devoirs de la vie conjugale ». Le mariage est un bien même en l’absence de procréation, comme le confirmaient Saint Augustin, Saint Chrysostome et Vatican II.
Enfin, la Note souligne que l’union exclusive ne doit jamais se refermer sur elle-même. Une relation vraie s’ouvre à l’amitié, au service, à la communauté. La charité conjugale « tend à embrasser tous » et la famille trouve sa réalisation dans l’ouverture sociale et ecclésiale. Le couple est appelé à dépasser la fermeture, à s’engager pour le bien commun et à se mettre au service des pauvres. Léon XIV rappelle que les pauvres ne sont pas un problème social mais une « question familiale », qu’ils sont « des nôtres ». La bénédiction nuptiale prie pour que les pauvres accueillent un jour les époux comme témoins de la charité de Dieu.Cet immense ensemble fait de Una caro un éloge profond de la monogamie chrétienne. Le mariage y apparaît comme une amitié totale, exclusive, libre, ouverte, féconde, enracinée dans la dignité de la personne et orientée vers Dieu. Il ne s’agit pas d’un modèle du passé mais d’une proposition humaine et spirituelle puissante, capable d’éclairer les désirs les plus intimes du cœur contemporain.


