Avec Baroudeurs du Christ, le grand public découvre la réalité souvent rude, parfois bouleversante mais toujours lumineuse de la mission ad gentes : pauvreté, éloignement, inculturation patiente, disponibilité radicale à l’inattendu, et surtout joie profonde de servir le Christ au cœur des peuples. Le film «Baroudeurs du Christ» suit cinq prêtres des Missions Étrangères de Paris au cœur de leur mission, il montre des prêtres et des laïcs qui se donnent sans retour, s’adaptent aux cultures locales, apprennent des langues difficiles, traversent la solitude et témoignent par leur simple présence de l’amour de Dieu.
Pour donner chair à cette réalité, nous avons voulu rencontrer un véritable « baroudeur du Christ », un pasteur qui a consacré vingt-sept années de sa vie à la brousse malgache : le Père Bertrand de Bourran des Missions Etrangères de Paris Son témoignage prolonge et éclaire, de l’intérieur, ce que la réalité décrite avec fidélité par le documentaire.
Tribune Chrétienne : Père Bertrand, en regardant « Baroudeurs du Christ », avez-vous retrouvé quelque chose de la vérité quotidienne de la mission telle que vous l’avez vécue pendant près de trois décennies à Madagascar ?
Père Bertrand de Bourran :
Le Film « Baroudeurs du Christ » témoigne de l’engagement et de la vocation missionnaire avec ses difficultés et ses joies. Chaque missionnaire vit avec sa propre personnalité les joies, les difficultés et les doutes qu’il peut rencontrer dans sa mission.Ce film nous montre aussi que le missionnaire n’arrive pas avec des projets précis mais il va mettre ses talents au service de l’Eglise locale et il continuera à se former pour répondre aux besoins et pour mieux comprendre le milieu où il vit.
J’ai eu le bonheur de vivre 27 ans en brousse à Madagascar en œuvrant avec des non chrétiens et des chrétiens. J’ai ouvert, des écoles, des dispensaires et des églises. Le film nous montre bien les efforts que nous devons faire pour rentrer dans la culture, apprendre la langue et rentrer en contact avec les non chrétiens.
La rencontre est parfois difficile mais la connaissance du milieu où nous vivons et le temps long nous permettent de créer des liens et de s’attacher à ces personnes et de bien connaitre leur vie. Par notre présence, nous témoignons de l’Amour de Dieu pour tous et cela le film nous le montre bien dans chaque pays. Le film montre très peu le travail en Eglise avec les prêtres locaux, les religieuses, les catéchistes, les chrétiens qu’il y a évidemment dans chaque mission.

Tribune Chrétienne : Le film rappelle l’exhortation d’Alexandre VII : « N’introduisez pas chez eux nos pays, mais la foi, cette foi qui ne repousse ni ne blesse les rites ni les usages d’aucun peuple… Empressez-vous de vous y habituer. » Comment, selon vous, articuler cet appel au respect des cultures avec la vérité que le Seigneur est au-dessus de toutes les traditions, de toutes les superstitions locales, et de tous les peuples ?
Père Bertrand de Bourran :
La citation d’Alexandre VII est un peu plus longue que dans le documentaire. Elle dit aussi : à moins qu’elles ne soient évidemment contraires à la religion et à la morale. À Madagascar dans la brousse où j’étais, nous avions deux sortes de Catéchumènes. Certains, en regardant la vie du Christ, quittaient les traditions qui n’étaient pas en adéquation avec la vie chrétienne. D’autres catéchumènes prenaient plus de temps pour cheminer et changer de vie surtout s’ils étaient seuls chrétiens dans leur famille. Ils devaient respecter les coutumes pour être acceptés dans la famille et en même temps ils se démarquaient pour suivre le Christ.
Pour les catéchumènes, le Christ est libérateur. Il les libère des peurs qu’ils ont par rapport aux coutumes, aux Esprits… Lors des formations des catéchistes nous prenions du temps pour aborder ces sujets. Quand le catéchumène découvre l’amour du Christ pour lui, il se tourne vers lui qui nous offre la vie éternelle. Cela lui permet ainsi de se projeter dans l’avenir et de s’engager dans la vie de tous les jours. Un changement énorme se passe dans sa vie. Son regard sur le monde qui l’entoure change et alors il peut prendre plus de recul par rapport aux coutumes.
Tribune Chrétienne : Le documentaire évoque la solitude, la pauvreté et parfois l’inconfort du missionnaire. Quelles dimensions intérieures de la vie missionnaire vous semblent impossibles à filmer mais essentielles pour comprendre ce à quoi un prêtre se donne réellement au long des années ?
Père Bertrand de Bourran :
La solitude existe dans toute vie. Le missionnaire est en lien avec les prêtres locaux, les religieuses et les religieux ainsi qu’avec les chrétiens et surtout des non chrétiens. Dans certains lieux, il y a la pauvreté et l’inconfort mais on s’y habitue. Le film nous montre bien que le missionnaire s’attache au pays, aux gens vers lesquels il est envoyé. Dans ce cheminement, la confiance et la relation au Christ s’approfondit. La patience, la souplesse et l’adaptation se développent dans ce chemin d’amour qui nous tourne vers le Christ et les personnes au milieu desquelles nous vivons.
Tribune Chrétienne : À une époque où l’image des MEP a été éprouvée, pensez-vous que ce film peut aider les jeunes à découvrir la réalité de la mission telle qu’elle est vraiment vécue sur le terrain, loin des effets esthétiques, dans la simplicité des paroisses et la constance du service ?
Père Bertrand de Bourran :
Quand quelques-uns font défaut dans une famille, tous les membres doivent assumer. Nous avons la responsabilité de rendre la maison sûre, afin de répondre à notre appel, d’annoncer l’évangile là où il n’est pas connu. Ce film peut aider à comprendre qu’aujourd’hui encore des jeunes prêtres de l’Eglise de France partent à l’étranger annoncer l’Evangile. Comme toute personne, ils peuvent rencontrer des joies et des difficultés. Il nous montre aussi que chaque missionnaire est heureux là où il se trouve.
La mission n’est pas une histoire ancienne mais elle continue. Ce film peut ouvrir des portes chez les jeunes pour leur permettre de découvrir l’internationalité de l’Eglise. Je souhaite aux jeunes qui se posent des questions d’avoir le courage de prendre du temps pour faire une expérience de volontariat MEP ou autres afin de découvrir une autre église, une autre manière de faire église.
Tribune Chrétienne : Vous qui avez parcouru les villages de brousse, partagé le quotidien des familles, traversé l’épreuve de la pauvreté silencieuse : où situeriez-vous le véritable héroïsme missionnaire ?
Père Bertrand de Bourran :
Je ne sais pas s’il y a un héroïsme missionnaire. Je ne me suis jamais senti comme un héros. Le témoignage chrétien se fait dans la durée, dans « le cheminer avec » au quotidien en souffrant et en s’émerveillant ensemble. En partageant les souffrances et les joies que vivent les gens au quotidien. Marcher ensemble, transpirer sur les sentiers dans la poussière ou dans la boue. Se laver les pieds avant d’arriver dans le village. Écouter les nouvelles de la vie du village, rencontrer les chrétiens écouter leurs soucis et leurs joies, aller visiter leurs rizières et célébrer ensemble, voilà ce qu’est la vie d’un missionnaire en brousse. Je ne considère pas cela comme de l’héroïsme.
Tribune Chrétienne : Le cardinal Robert Sarah exprime souvent sa reconnaissance pour les prêtres missionnaires venus évangéliser son village en Afrique, et souligne la nécessité de célébrer une liturgie digne du sacrifice rendu à Dieu, dépourvue de toute considération de folklore ou d’adaptation culturelle locale. Comment percevez-vous, vous-même, cet équilibre entre l’inculturation et la fidélité à une liturgie sacrée qui exprime l’universalité de l’Église ?
Père Bertrand de Bourran :
J’ai eu l’occasion de célébrer sous un manguier, par terre dans une case, dans une chapelle de brousse ou dans une grande église. Il faut toujours soigner la liturgie, les chants et aider la communauté à sentir que le sacrement que nous célébrons nous dépasse, que Dieu se rend vraiment présent dans ce sacrement. Dans certaines cultures les personnes prient plus par le chant que dans le silence. Il faut respecter ces habitudes. La célébration doit donc inclure des chants et parfois des danses qui portent à la prière mais il faut aussi mettre des temps de silence pour les aider à intérioriser la foi qui est souvent plus communautaire que personnelle.
Tribune Chrétienne : Quel message et quels encouragements donneriez-vous aux jeunes qui envisagent aujourd’hui de s’engager dans la mission et, peut-être, de répondre à l’appel au sacerdoce ?
Père Bertrand de Bourran :
Je leur dirai : n’hésitez pas, ayez confiance !
Chacun peut apporter ses talents pour annoncer l’Évangile à ceux qui ne le connaissent pas. Le monde a besoin de jeunes qui se lèvent, qui se forment pour aller au-delà des mers porter l’Évangile. La rencontre d’un autre peuple est une belle aventure. Cela donne l’occasion de voir le monde d’une autre manière et de découvrir une autre civilisation. Certes, cela bouscule mais cela fait grandir la relation au Christ. Les jeunes des pays de mission ont soif de rencontrer des volontaires, des prêtres missionnaires. La mission continue… Qui répondra à cet appel lancé il y a 2000 ans à Jérusalem ?

Depuis plus de 360 ans, les Missions Étrangères de Paris incarnent une aventure unique de foi, de courage et de service. Présentes en Asie depuis 1658, elles ont contribué à l’évangélisation de vastes régions du continent et continuent aujourd’hui d’envoyer des prêtres et des volontaires là où l’Évangile n’est pas encore annoncé.
Cette tradition missionnaire, marquée par le don total ,jusqu’au martyre pour certains ,offre aux jeunes un chemin de vie d’une richesse incomparable : partir en mission avec les MEP, c’est se laisser transformer par la rencontre de peuples nouveaux, découvrir la force de l’Évangile au-delà des frontières, et surtout trouver dans la prière, la charité et le service un sens profond et durable à sa vie. Pour beaucoup, c’est une manière privilégiée de rencontrer réellement le Seigneur et de répondre à l’appel intérieur à tout donner.
Aujourd’hui encore, les MEP demeurent une porte ouverte pour ceux qui cherchent une vocation radicale, joyeuse et exigeante, à la mesure de la mission confiée par le Christ depuis Jérusalem jusqu’aux extrémités de la terre.


