Il y a deux jours, dimanche 14 septembre, le pape Léon XIV a honoré la mémoire des martyrs chrétiens du XXIᵉ siècle, rappelant que la persécution religieuse demeure l’une des grandes tragédies de notre temps. Si les chrétiens d’Orient, d’Afrique subsaharienne ou de Chine sont régulièrement évoqués, une communauté demeure largement ignorée, celle des chrétiens de Kabylie, pourtant situés à 1 heure d’avion de l’Europe.
C’est aussi le dimanche 14 décembre que la déclaration d’indépendance de la Kabylie a été annoncée par le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie ( MAK) , cette date qui n’a pas été choisie par hasard : ce jour fait en effet référence à la résolution 1514 de l’ONU adoptée le 14 décembre 1960, qui consacre en droit international le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et à accéder à l’indépendance. Si cette indépendance est qualifiée de symbolique au sens juridique et diplomatique du terme, ce n’est pas pas pour en minimiser la portée, mais parce qu’elle a été proclamée de manière unilatérale, sans reconnaissance internationale ni contrôle institutionnel effectif du territoire. Elle traduit néanmoins l’épuisement des voies de dialogue après le refus persistant d’Alger d’envisager un référendum d’autodétermination ou toute négociation politique sérieuse.
C’est dans ce ce contexte de crispation que les chrétiens de Kabylie apparaissent comme des dissidents de trop. Dissidents religieux dans un État fondé sur une identité arabo-islamique officielle, dissidents identitaires dans une région amazighe historiquement attachée à son autonomie culturelle et sociale. La persécution qu’ils subissent n’est pas marginale, elle s’inscrit dans une politique de contrôle global.
La Kabylie n’est pas étrangère au christianisme. L’Afrique du Nord amazighe fut l’un des premiers foyers de l’Église. Saint Augustin, évêque d’Hippone, figure majeure de la pensée chrétienne, est issu de ce monde berbère où la foi chrétienne s’est profondément enracinée bien avant l’islamisation du Maghreb.
La société kabyle s’est structurée autour d’institutions locales autonomes, les Tajmaât, où le religieux était tenu à distance du pouvoir politique. Le serment Jmaâ Liman, « au nom de toutes les croyances », témoigne de cette tradition ancienne de pluralisme. Le christianisme kabyle contemporain, largement autochtone et non prosélyte, s’inscrit dans cette culture de liberté de conscience, ce qui le rend aujourd’hui incompatible avec une politique étatique d’uniformisation religieuse.Les faits sont documentés. Des dizaines de chrétiens sont poursuivis pour « exercice de culte sans autorisation ». Des dizaines d’églises, souvent des églises de maison, ont été fermées. Depuis l’ordonnance de 2006, aucune autorisation officielle n’a été délivrée pour de nouveaux lieux de culte non musulmans, tandis que les rassemblements privés sont criminalisés. Une Bible, un prénom chrétien, une réunion de prière peuvent suffire à déclencher des poursuites.
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Le harcèlement est également social et administratif. Discriminations à l’école, obstacles lors des enterrements, pertes d’emploi, pressions constantes. La peur est devenue une donnée permanente de la vie chrétienne en Kabylie.
Le cas de Slimane Bouhafs illustre ce glissement. Condamné pour ses convictions religieuses, enlevé à l’étranger malgré son statut de réfugié, puis poursuivi pour atteinte à l’intégrité territoriale en raison de liens supposés avec le mouvement kabyle, il incarne la confusion entretenue entre foi chrétienne et subversion politique.Face à cette situation, l’attitude des autorités ecclésiales interroge. Le cardinal Jean-Paul Vesco, archevêque d’Alger, privilégie un discours diplomatique de fraternité et d’apaisement et de proximité avec le pouvoir algérien du président Tebboune. Mais pour les chrétiens persécutés de Kabylie, ce langage apparaît déconnecté de leur réalité quotidienne, faite de fermetures d’églises, de procès et de menaces et les résultats de cette diplomatie religieuse, très « friendly » voire complice, tardent à venir..
La proximité assumée de Monseigneur Vesco avec le pouvoir algérien, et notamment avec le président Abdelmadjid Tebboune, reçu au Vatican en juillet 2025, soulève une question de cohérence pastorale. Comment concilier une diplomatie ecclésiale prudente avec le devoir fondamental de l’Église de défendre ses fidèles lorsque leurs droits les plus élémentaires sont bafoués ?
Si les équipes du Saint-Siège et celles du président algérien disent travailler à l’organisation de la venue du pape Léon XIV sur les terres de Saint Augustin, cette première historique ,qui pourrait avoir lieu avant la mi-2026, imposera un devoir de venir témoigner de la présence chrétienne à travers les ruines d’Hippone mais surtout de demander explicitement au pouvoir algérien d’adoucir sa politique de persécution à l’égard des chrétiens de Kabylie.Car une visite papale ne peut être seulement mémorielle ou diplomatique. Elle sera crédible et fidèle à l’Évangile si elle porte aussi la voix de ceux qui prient Le Seigneur Jésus-Christ en secret, et rappellent, par leur seule fidélité, que la liberté religieuse n’est ni une concession ni un privilège, mais un droit fondamental.


