Dans un entretien accordé à nos confrères du quotidien italien Avvenire, le cardinal François-Xavier Bustillo livre une lecture exigeante et profondément chrétienne de la situation de l’Europe. La parole du François-Xavier Bustillo frappe par sa clarté. « L’Occident a marginalisé Dieu mais il est malheureux », affirme-t-il, résumant en une formule sobre et grave le cœur de son diagnostic. Après avoir relégué la question de Dieu hors de l’horizon commun, l’Europe n’a pas gagné en liberté intérieure ni en paix sociale. Elle apparaît au contraire travaillée par l’inquiétude, la fragmentation et une profonde perte de sens.Pour le prélat d’Ajaccio, cette situation s’explique en grande partie par une domination diffuse de la peur. « Nous sommes dominés par la peur », observe-t-il, ajoutant que « la course au réarmement en est la preuve ». La peur devient un moteur politique et culturel, instaurant une logique tribale où chacun cherche à se protéger de l’autre, perçu comme une menace. Dans ce climat, la fraternité s’efface et la paix devient un objectif abstrait, déconnecté des choix concrets.
Cette violence latente se manifeste avec une acuité particulière dans l’espace numérique. « On peut tuer avec les médias », avertit le cardinal, décrivant sur les réseaux sociaux « une décapitation symbolique de l’autre ».
Le web se transforme en tribunal permanent où l’on juge et condamne sans visage ni responsabilité. « L’anonymat alimente la dureté et l’intransigeance », souligne-t-il, avant de relever un contraste saisissant avec la prière liturgique de l’Église : « Dans la messe, nous disons “Seigneur, prends pitié”, or il n’y a plus de pitié. » À cette spirale destructrice, il oppose un appel exigeant à la responsabilité personnelle et à l’usage de « paroles créatrices », capables de désarmer les conflits plutôt que de les attiser.Son regard sur la jeunesse se veut résolument réaliste et porteur d’espérance. Fort de son expérience pastorale, le cardinal constate un déplacement profond des interrogations. « Aujourd’hui les jeunes posent des questions existentielles : sur la vie, sur l’amour, sur la mort, sur la souffrance », explique-t-il, précisant qu’« ils ne se contentent pas de réponses superficielles ou à bon marché ». Ces questions révèlent des générations qui grandissent « dans une sorte de vide », mais qui, lorsque s’éveille en elles une quête authentique, cherchent une parole solide et vraie.
Cette soif spirituelle éclaire le renouveau des catéchuménats observé en France. Après avoir proclamé « Dieu est mort » et scandé « Ni Dieu ni maîtres », l’homme contemporain se retrouve confronté à une interrogation décisive. « Sommes-nous meilleurs ? Sommes-nous plus heureux ? Sommes-nous plus unis ? » demande le cardinal. La prolifération des discours promettant le bonheur et l’augmentation des cas de dépression traduisent une profonde insatisfaction. « Les jeunes frappent aux portes des paroisses et cherchent un sens à leur vie, une identité, une appartenance », affirme-t-il, voyant là l’action discrète mais réelle de l’Esprit.
Sur les questions sociales, notamment migratoires, sa parole demeure fermement ancrée dans l’Évangile. « Le moteur de l’agir social est souvent la peur, alors qu’il devrait être l’amour », rappelle-t-il. En référence à la parabole du Bon Samaritain, il affirme sans ambiguïté : « Si l’autre devient une menace, cela signifie que l’on n’a pas compris l’Évangile. »
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La fraternité, ajoute-t-il, « n’est pas automatique » et demeure vaine si elle n’est pas incarnée dans des comportements concrets et cohérents.
La même exigence traverse son regard sur les pauvres. « Si nous laissons les fragiles et les faibles aux marges, nous glissons dans la barbarie », avertit-il, rappelant que le Christ « est né pauvre dans une étable et est mort pauvre sur une croix ». Cette parole s’inscrit dans la continuité du magistère actuel et renvoie à une responsabilité personnelle qui ne peut être déléguée aux seules structures politiques ou économiques.Enfin, le cardinal reprend avec force l’affirmation selon laquelle la foi ne peut être réduite à une affaire privée. « Le chrétien annonce sa suite du Christ par des actions positives et constructives », explique-t-il, rappelant qu’il doit contribuer au bien commun sans arrogance ni complexes. Les divisions internes à l’Église lui apparaissent comme un signe de manque de maturité spirituelle, car « passer des différences légitimes à la division idéologique affaiblit le témoignage ».
Cette lecture lucide du présent est indissociable du parcours du cardinal Bustillo. Religieux franciscain conventuel, originaire du Pays basque espagnol, il est devenu en quelques années une figure profondément respectée et appréciée en Corse. Sa simplicité, sa proximité avec les fidèles et sa capacité à parler avec franchise lui ont valu une large estime bien au-delà des cercles ecclésiaux. À Ajaccio, il a incarné une Église présente, attentive aux blessures locales et soucieuse de réconciliation sur une terre marquée par de fortes tensions identitaires. Sa création cardinalice a été vécue sur l’île comme la reconnaissance d’un ministère enraciné et fidèle.Dans une Europe inquiète et souvent désorientée, la parole du cardinal François-Xavier Bustillo se distingue par sa sobriété , sa simplicité et sa pertinence. Sans nier la gravité des fractures contemporaines, elle rappelle que la reconstruction du vivre ensemble passe d’abord par une redécouverte de Dieu et par une conversion des cœurs, condition indispensable pour que l’espérance chrétienne irrigue de nouveau la vie sociale.


