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La quête par carte bancaire à l’église : outil de modernisation ou glissement inquiétant du sens du don ?

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L’exemple du Gard, où la quête par carte dépasse désormais la monnaie, invite toutefois à une réflexion plus large sur la signification spirituelle du don et sur les limites de l’adaptation de l’Église aux outils du monde contemporain

L’arrivée de la carte bancaire dans les églises ne relève ni de l’improvisation ni d’un simple effet de mode. Elle s’inscrit dans un mouvement engagé à la fin des années 2010, lorsque plusieurs diocèses ont pris acte d’une double évolution préoccupante, la baisse régulière des montants collectés lors de la quête dominicale et la diminution du nombre de donateurs, en particulier parmi les jeunes générations. Dans une société où l’argent liquide se fait plus rare et où les usages se dématérialisent, la question des moyens de collecte est apparue comme un enjeu pastoral autant que financier.C’est dans ce contexte que certaines Églises locales ont commencé à expérimenter de nouveaux dispositifs. Applications de don sur smartphone, paniers de quête connectés, tablettes installées au fond des églises permettant de régler le denier ou une offrande, ces outils ont été présentés comme des compléments aux pratiques traditionnelles.

Les premiers retours ont mis en avant une augmentation du don moyen et une participation accrue de fidèles jusque-là peu enclins à contribuer. Pour les responsables diocésains, il s’agissait avant tout d’adapter les moyens de collecte aux habitudes contemporaines, sans toucher, du moins en théorie, au sens profond de la quête.

Avec le temps, ces expérimentations se sont étendues et, dans certains diocèses, ont fini par s’inscrire durablement dans le paysage liturgique. Dans le Gard, plusieurs églises ont ainsi été équipées de terminaux de paiement par carte bancaire. Un an après leur installation, le constat est clair, les dons effectués par carte dépassent désormais ceux réalisés en espèces. À Uzès, Nîmes ou Bouillargues, de petits boîtiers électroniques permettent aux fidèles de participer à la quête sans avoir à manipuler de monnaie, ce qui est perçu par certains comme une facilité bienvenue.

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Cette évolution, toutefois, ne laisse pas indifférent. Car la quête n’est pas un simple moyen de financement. Elle est un geste liturgique ancien, un acte d’offrande inscrit dans le temps de la messe, visible, libre et personnel. Donner de sa main une pièce ou un billet n’est pas un automatisme, mais un acte concret qui engage le fidèle, parfois au prix d’un véritable effort. En rendant le don immatériel, la carte bancaire modifie profondément cette dynamique. Le geste devient discret, presque invisible, et se rapproche d’un paiement ordinaire, semblable à ceux effectués quotidiennement dans la vie courante.

Cette transformation a aussi des conséquences sur la transmission. Pendant longtemps, la quête a été un moment d’apprentissage pour les enfants, à qui l’on confiait une pièce à déposer eux-mêmes dans la corbeille. Ce geste simple participait à l’éducation à la générosité et à l’appartenance à la communauté paroissiale. Avec la carte bancaire, ce rituel disparaît. Le don est désormais réalisé par un adulte, sans que les plus jeunes en saisissent toujours le sens ni y prennent part.

Au-delà de ces aspects pratiques et éducatifs, la présence de terminaux de paiement dans les églises pose une question plus profonde. L’outil n’est jamais neutre. Introduire des dispositifs issus du monde commercial dans un lieu sacré peut conduire, à terme, à une confusion des registres.

L’Église n’est pas une entreprise et la quête n’est pas une transaction. Elle est un acte spirituel, un signe de communion et de participation à une mission qui dépasse toute logique d’efficacité ou de rendement.

L’exemple du Gard illustre ainsi une tension plus large au sein de l’Église contemporaine. Adapter les moyens de collecte aux évolutions de la société peut répondre à une nécessité matérielle réelle. Mais cette adaptation ne saurait se faire sans discernement. À trop vouloir simplifier le geste du don, ne risque-t-on pas d’en affaiblir la portée spirituelle ? Et en adoptant sans réserve les outils du monde moderne, l’Église ne court-elle pas le danger de laisser ces outils transformer en profondeur le sens même de ses pratiques ?La question reste ouverte, mais elle mérite d’être posée avec gravité. Car au-delà des chiffres et de la facilité d’usage, c’est la signification du don, de l’offrande et de la participation à la vie de l’Église qui se trouve interrogée.

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