Dans un contexte de négociations fragiles et de guerre prolongée, l’évêque insiste sur le sens véritable de la “victoire” pour les Ukrainiens et sur le rôle décisif de l’Eglise pour reconstruire la confiance. À Kiev, les jours qui suivent Noël se déroulent dans un climat toujours marqué par la guerre. Entre bombardements persistants et incertitudes diplomatiques, Monseigneur Visvaldas Kulbokas, évêque et nonce apostolique en Ukraine depuis 2021, a livré une analyse sans illusion de la situation actuelle lors d’un entretien accordé au quotidien italien Avvenire.
Interrogé sur l’absence de trêve de Noël, malgré les appels répétés du pape Léon XIV, l’archevêque souligne d’emblée les limites de son information. « Je ne connais absolument ni les détails ni la manière dont la question du plan de paix a été abordée », explique-t-il. Il rappelle toutefois que les appels au cessez-le-feu constituent une constante du Saint-Siège, hier comme aujourd’hui, visant à « renforcer les conditions pour les négociations », ou, à défaut, à obtenir au moins une trêve lors des grandes fêtes chrétiennes.Concernant les discussions entre Kiev et Moscou, notamment sur le statut des territoires occupés et les garanties de sécurité, Monseigneur Kulbokas évoque une récente rencontre avec un délégué ukrainien aux négociations de paix. Le secret d’État ne permettait aucune révélation concrète, mais un constat s’impose selon lui : « Il y a encore énormément de travail à faire pour parvenir à un résultat. »
L’évêque insiste surtout sur l’enjeu fondamental du conflit. « Ce qui est en jeu, ce n’est pas tant le statut des territoires que l’existence même de l’État ukrainien », affirme-t-il. « L’Ukraine veut exister, la population veut vivre. » Il précise que le terme de “victoire”, souvent mal compris en Occident, revêt un sens très différent pour les Ukrainiens : « La victoire, c’est la survie. Gagner la guerre signifie pouvoir survivre. »
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Sur le terrain, pourtant, la réalité quotidienne nourrit le scepticisme. L’hiver s’accompagne d’une reprise des attaques contre les infrastructures énergétiques, et la population ne semble guère croire aux négociations en cours. « Je ne connais pas un seul Ukrainien qui ait placé son espérance dans ces pourparlers, perçus comme extrêmement difficiles », confie-t-il. Beaucoup rappellent, ajoute-t-il, le mémorandum de Budapest ou les accords de Minsk, « des accords sur le papier », qui n’ont pas empêché la poursuite du conflit.Face aux appels lancés par les Ukrainiens à l’Europe, présentée comme également menacée, Monseigneur Kulbokas reste prudent. Il rapporte néanmoins les paroles d’un négociateur ukrainien rencontré récemment : « L’Europe, sans le soutien des États-Unis, n’est pas prête à se défendre. » Une analyse qu’il se garde de commenter davantage, estimant ne pas disposer de l’expertise militaire ou politique nécessaire.Dans ce climat de profonde défiance internationale, l’évêque met enfin en avant le rôle irremplaçable des Églises. « Quand il y a une grande perte de confiance dans les relations internationales, qui peut la reconstruire ? », interroge-t-il. « L’Eglise, pas seulement l’Eglise catholique, mais tous les croyants. » Selon lui, la prière, la proximité et la charité concrète constituent des chemins essentiels pour raviver l’espérance, dans l’attente d’une paix qu’il souhaite « vraie, et non illusoire ».
Cette interview intervient alors qu’un nouvel élément diplomatique vient s’inscrire dans un paysage jusque-là marqué par l’impasse et la défiance. La rencontre en Floride entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky, autour d’un projet de plan de paix révisé en vingt points, a en effet contribué à rouvrir une perspective que beaucoup jugeaient refermée. Selon les déclarations des deux dirigeants, « de nombreux progrès » auraient été réalisés et un accord serait désormais « très proche », avec une attention particulière portée aux garanties de sécurité pour l’Ukraine et à l’implication des pays européens dans le processus.
Sans déboucher à ce stade sur un cessez-le-feu immédiat, ces échanges ont néanmoins relancé l’hypothèse d’un règlement diplomatique après près de quatre années de guerre. Dans ce contexte, l’initiative américaine apparaît comme une tentative de redonner un cadre politique et international à des négociations longtemps perçues, en Ukraine même, comme fragiles ou illusoires. À la lumière des réserves exprimées par Mgr Visvaldas Kulbokas sur la méfiance profonde de la population ukrainienne, cette dynamique naissante ne dissipe pas les doutes, mais elle ouvre une fenêtre d’opportunité réelle. Si elle devait se confirmer, elle pourrait constituer un premier pas vers cette « paix vraie » à laquelle aspire l’Église sur le terrain, et que les Ukrainiens appellent de leurs vœux, non comme une victoire abstraite, mais comme la possibilité concrète de survivre et de reconstruire.


