L’Église de Nantes est confrontée à la gravité de faits longtemps tus. Le 29 août dernier, lors d’une conférence de presse, l’enseignement catholique de Loire-Atlantique et Mgr Laurent Percerou, évêque de Nantes, ont lancé un appel public à témoins concernant des violences sexuelles survenues entre 1958 et 1995 au collège-lycée privé catholique Saint-Stanislas. Dix victimes, neuf hommes et une femme, dont trois sont décédées, ont dénoncé des viols, agressions sexuelles et attouchements commis par cinq prêtres aujourd’hui décédés et un membre du personnel éducatif, majoritairement dans l’internat, parfois durant des séjours organisés par l’établissement.
Les victimes parlent, et parmi elles le témoignage de Philippe, 77 ans, recueilli par 20 Minutes, illustre la gravité des faits. Entré à Saint-Stanislas en 1958, il raconte une agression subie en classe de 4ᵉ de la part d’un abbé professeur de latin : « Le ton employé était tel, que je me suis mis à pleurer. Pour me consoler, il m’a pris sur ses genoux. L’abbé a alors commencé à me caresser les parties génitales. Il s’est arrêté avant une possible éjaculation et je suis parti. Quand on est jeune, on se souvient de tout. » Ce souvenir, qu’il n’a jamais partagé avec ses proches, ressort aujourd’hui alors qu’il apprend qu’il n’était pas seul. « On le surnommait le Tâteur », confie-t-il. Il évoque aussi un professeur de mathématiques au comportement déplacé, particulièrement humiliant, capable de lâcher devant les élèves : « Il nous disait, baille pas si fort, on voit la marque de ton slip. »
À ce récit s’ajoutent des révélations d’une extrême gravité. Lors de la conférence de presse, le directeur diocésain Frédéric Delemazure a évoqué le témoignage transmis par une famille après le décès d’un ancien élève : « Elle nous a révélé que la victime avait subi, dans les années 1990, des sévices épouvantables au sein de l’internat du collège Saint-Stanislas. » Cette déclaration met en lumière l’ampleur des abus et souligne qu’ils ne relevaient pas seulement d’actes isolés, mais d’une violence profondément enracinée dans la vie même de l’établissement.
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Pour Philippe, le soulagement est mêlé à l’amertume d’une génération qui n’a su nommer ce qu’elle avait vécu : « Ça me fait du bien de voir que d’autres prennent la parole, c’est remarquable. » Se sentant « soulagé, mais pas étonné du tout », il trouve aujourd’hui la force d’affronter cette mémoire douloureuse.Face à l’ampleur des témoignages déjà recueillis en février et en juin, Frédéric Delemazure a présenté ses excuses : « Ces faits ont été signalés à l’autorité judiciaire… Je leur demande pardon. J’ai honte de ce qui a été fait, même si je n’étais évidemment pas là à ce moment-là. Je veux garantir que les enfants sont aujourd’hui en sécurité. » L’évêque de Nantes a insisté sur la nécessité de dire la vérité : « Nous espérons que la vérité, même douloureuse, puisse être dite, afin que justice et reconnaissance soient possibles. »
Dans ce contexte, les paroles de Benoît XVI prononcées en 2010 dans sa Lettre pastorale aux catholiques d’Irlande gardent toute leur actualité : « Vous avez profondément souffert et je suis vraiment désolé. Rien ne peut effacer le mal que vous avez enduré. Votre confiance a été trahie et votre dignité a été violée. »
Pour les victimes de Saint-Stanislas comme pour tant d’autres, la reconnaissance publique est un premier pas, même si la justice ne pourra plus juger leurs agresseurs.Ces révélations soulignent l’horreur des actes commis et la honte que de tels comportements infligent à l’Église et à ses institutions éducatives. Les prêtres et éducateurs qui se sont rendus coupables de ces crimes ont trahi leur vocation, salissant l’idéal même qu’ils avaient mission de servir. Mais si la vérité doit être dite et assumée, il importe aussi de ne pas transformer cette douleur en arme idéologique dirigée contre la foi chrétienne ou contre l’Église dans son ensemble. L’exigence de justice et de réparation ne saurait être confondue avec un procès fait à l’Évangile ou aux valeurs qui demeurent intactes. L’ignominie des coupables n’efface pas la sainteté de la mission confiée à l’Église, mais rappelle avec force la nécessité de vigilance, d’humilité et de fidélité à l’Évangile dans la protection des plus vulnérables