Devant les évêques réunis pour le premier grand rassemblement amazonien, le cardinal Michael Czerny, préfet du Dicastère pour le Service du développement humain intégral, a délivré une homélie remarquée. Il y a rappelé que le martyre n’appartient pas au passé, mais qu’il est une réalité actuelle, profondément enracinée dans la vie de l’Église latino-américaine et amazonienne. « Aujourd’hui, nous célébrons la mémoire, la présence des martyrs que nous avons connus et qui nous ont connus. Nous célébrons quelque chose d’actuel et non quelque chose du passé », a-t-il affirmé.
Ce propos semblent marquer un tournant pour ce cardinal, jusque-là perçu comme l’un des visages les plus emblématiques de la ligne sociale et écologique du pape François, qui met désormais au premier plan le témoignage chrétien et la fidélité au Christ, jusqu’au don de la vie. « Le mot martyr signifie témoin, et tous les baptisés sont appelés à vivre et à témoigner du Christ dans leur vie quotidienne, même au prix de leur existence », a-t-il rappelé.
Né en 1946 en Tchécoslovaquie, émigré au Canada et entré chez les jésuites, Michael Czerny s’est longtemps distingué comme un acteur de la justice sociale. Ordonné prêtre en 1973, il a fondé le Forum jésuite pour la foi et la justice sociales à Toronto, puis travaillé au Salvador après l’assassinat des jésuites en 1989. En Afrique, il a mis en place le réseau jésuite africain sur le sida (AJAN).À Rome, il a été nommé sous-secrétaire de la Section des migrants et des réfugiés en 2017, devenant l’un des plus proches collaborateurs du pape François sur la question migratoire et écologique. Créé cardinal en 2019, il a été confirmé en 2022 comme préfet du Dicastère pour le développement humain intégral. Tout son parcours semblait alors incarner la ligne de François, défense des migrants, écologie intégrale, fraternité humaine.
Sans nier l’importance des questions sociales ou environnementales, le cardinal Czerny les replace désormais dans la lumière du témoignage chrétien et de la mémoire des martyrs. Le discernement et la prière, dit-il, sont le cœur de la mission des évêques en Amazonie : « Ces attitudes reflètent et expriment une profonde expérience religieuse, une attention à la théophanie et à la puissance du Seigneur, notre pauvre prière. »
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Cette orientation contraste donc avec les accents du pape François, dont le pontificat a été marqué par des demandes répétées de pardon et une insistance sur la culpabilité historique de l’Église. On se souvient notamment de son « pèlerinage pénitentiel » au Canada en 2022, lorsqu’il avait demandé à trois reprises « pardon » pour les pensionnats autochtones, évoquant une « destruction culturelle » et un « génocide culturel ».Si ces paroles avaient été accueillies avec émotion par certains, elles ont aussi nourri un climat où l’Église apparaissait avant tout comme une institution coupable, sommée de s’excuser sans fin. De même, la promotion insistante d’une vision indigéniste, souvent teintée de romantisme culturel, a pu donner l’impression que l’évangélisation et la mission passaient au second plan, voire étaient reléguées comme un fardeau du passé.
À rebours de cette logique, le cardinal Czerny , comme le Pape Léon XIV l’a fait, met en avant non pas la mémoire des fautes, mais la mémoire des martyrs, non pas la honte, mais le témoignage de foi, non pas la repentance sans fin, mais l’espérance enracinée dans l’Évangile. C’est une manière de rappeler que l’Église n’existe pas pour faire acte de contrition perpétuelle devant le monde, mais pour proclamer la vérité du Christ et offrir l’espérance.L’intervention de Bogotá apparaît aussi comme le premier signe concret d’une réorientation voulue par Léon XIV. Le pape a clairement entrepris de sortir l’Église d’un discours centré sur la culpabilité et les slogans idéologiques, pour la ramener à sa mission première, témoigner du Christ et former des disciples.Ce discours, centré sur les martyrs et la prière, marque donc le premier grand tournant pastoral du nouveau pontificat, un signe que l’Église entre dans une nouvelle étape, libérée de la tentation de s’excuser en permanence, et appelée à reprendre la parole prophétique de la foi.