Alors que l’Afrique connaît une croissance démographique sans précédent et que l’Église y prospère en nombre de fidèles et de vocations, deux figures cardinalices du continent se distinguent par des approches radicalement différentes. Le cardinal Peter Turkson, originaire du Ghana, invite ses compatriotes à un sursaut moral. Le cardinal Fridolin Ambongo, archevêque de Kinshasa et président du SCEAM, interpelle quant à lui la communauté internationale, dénonçant les injustices climatiques et les séquelles de l’histoire coloniale.
Le 1er juillet dernier, à l’occasion de la première Journée nationale de prière et de reconnaissance au Ghana, le cardinal Turkson a prononcé un discours d’une rare densité spirituelle et politique. Alors que son pays traverse une grave crise économique, il a choisi de ne pas accuser des puissances étrangères, mais d’appeler à une réforme intérieure. « L’avidité continuera de gouverner notre pays, et tous en subiront les conséquences, si nous ne changeons pas de mentalité », a-t-il averti. Le Ghana, riche en ressources naturelles, souffre non d’un manque de dons, mais d’un détournement de ces biens au profit d’intérêts privés. Le cardinal l’a dit sans détour : « La richesse de cette terre appartient aux Ghanéens ; elle doit répondre aux besoins communs. »
Plus encore, il a rappelé que ce n’est pas au seul président de transformer le pays, mais à chaque citoyen, dans un effort de vertu : « Le changement dépend de nous. » Une parole claire, exigeante, profondément ancrée dans la doctrine sociale de l’Église.
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Le contraste est frappant avec l’intervention du cardinal Ambongo, deux jours plus tard. À Kinshasa, lors d’une conférence de presse, il présentait un document du SCEAM intitulé Un appel pour la justice climatique et la maison commune. En vue de la prochaine COP30, le texte dénonce les responsabilités historiques de l’Occident : esclavage, colonisation, exploitation des ressources, réchauffement climatique. « L’Afrique a été sacrifiée pendant des siècles. Aujourd’hui encore, l’extraction minière alimente la violence et détruit notre environnement », a-t-il déclaré. Le cardinal Ambongo appelle à une « conversion écologique », mais oriente surtout sa dénonciation vers les puissances extérieures, exhortant les nations riches à réparer les torts.
Cette divergence de ton et d’analyse n’est pas anodine. Car si, hier encore, les discours anti-impérialistes trouvaient un écho fort sur le continent, ce n’est plus toujours le cas. Au Kenya, au Togo, des jeunes manifestent depuis des mois contre la corruption, contre les abus de leurs propres gouvernants, et non contre une domination étrangère. Ils réclament de la justice, mais adressent leurs revendications à ceux qui détiennent aujourd’hui le pouvoir, non à ceux qui l’ont exercé hier.Dans ce contexte, le message du cardinal Turkson résonne avec une acuité nouvelle. Il n’exonère pas les responsabilités internationales, mais il refuse de détourner les yeux des dérives internes. Là où d’autres continuent de parler au nom d’un continent blessé par l’Histoire, il invite l’Afrique à redevenir maîtresse de son destin, par l’honnêteté, le partage, la foi.
L’Église, toujours plus influente en Afrique, doit-elle prendre parti entre ces deux approches ? Doit-elle choisir entre la dénonciation et l’éducation à la vertu ? Ou peut-elle, dans la vérité, conjuguer les deux ? À cette croisée des chemins, les paroles de Turkson pourraient bien annoncer une nouvelle étape dans la maturation politique et spirituelle du continent africain.
Avec La Bussola