Depuis 2000 ans

« Certains ont donné jusqu’à 20 000 euros » : le fabuleux sauvetage du couvent de Caccia, au cœur de la Corse

photos @ministère de la culture
photos @ministère de la culture
Ils étaient peu nombreux, isolés dans une vallée de l’intérieur, et tout semblait jouer contre eux. Pourtant, en quelques années, un élan de générosité rare a uni élus, familles corses et mécènes autour d’un même objectif : empêcher qu’un haut lieu de la foi franciscaine et de l’histoire insulaire ne disparaisse

À Castifao en Corse, le sauvetage du couvent de Caccia raconte bien plus qu’un chantier, il révèle une mémoire vivante et une solidarité inattendue.Dans la vallée de l’Asco, un monument emblématique du patrimoine religieux et historique local est sur le point d’échapper à la ruine. Après plus de trois années de mobilisation patiente et souvent incertaine, près de 1,1 million d’euros ont été réunis pour permettre la restauration du couvent San Francescu de Caccia, fermé au public depuis 2021 en raison de son état de dégradation avancé.Perché au-dessus de la basse vallée, visible de loin, le couvent domine le paysage depuis le XVIᵉ siècle. Haut d’une vingtaine de mètres, cet édifice franciscain de style baroque a longtemps rythmé la vie spirituelle locale. Mais le temps a fragilisé ses structures, en particulier le fronton de l’église, dont l’instabilité faisait peser un risque réel sur la route située en contrebas. L’urgence était devenue manifeste, tant pour la sécurité que pour la préservation du site.

Élu maire en 2021, François Orsini fait alors de ce dossier une priorité. L’objectif est ambitieux : réunir plus d’un million d’euros dans une commune d’environ 150 habitants. Un pari que beaucoup jugent irréaliste. « Personne n’y croyait, moi un petit peu quand même, sourit-il. Mais j’ai dû me battre. » Le combat sera long, fait de démarches administratives, d’appels aux dons et de rencontres, mais il finira par porter ses fruits.

Le financement du chantier repose aujourd’hui sur un équilibre entre aides publiques et générosité privée. La Collectivité de Corse s’est engagée à financer 80 % du montant des travaux hors taxes, tandis que l’État apportera 10 %. Le reste provient de dons recueillis auprès de mécènes, de particuliers, d’habitants du village et de nombreux Corses extérieurs à la commune, grâce notamment à une cagnotte portée par la Fondation du patrimoine.

L’ampleur de la mobilisation a dépassé toutes les attentes. « Depuis le Cap Corse et jusqu’à Bonifacio, les gens se sont mobilisés. Des familles ont donné jusqu’à 20 000 euros », se réjouit le maire. Un élan rendu possible par le bouche-à-oreille, mais aussi par l’action d’une structure créée spécialement pour porter le projet, l’association Castifao et Moltifao pour la sauvegarde du couvent de Caccia. « Le bâtiment fait le lien entre nos deux villages, c’est un monument de notre histoire commune », insiste François Orsini.

Lire aussi

Un témoin de l’histoire…

Propriété de la commune, le couvent San Francescu de Caccia concentre plusieurs siècles d’histoire. Fondé en 1510, il est partiellement détruit en 1553 lors des affrontements opposant Gênes au parti de Sampiero Corse, avant d’être restauré à partir de 1569, permettant le rétablissement de la vie monastique. En 1730, une nouvelle église est édifiée, sans jamais être totalement achevée. En 1772, au lendemain de l’édit royal créant les Juntes nationales, les bâtiments conventuels accueillent des tribunaux correctionnels tout en conservant une présence religieuse. Confisqué en 1790, le site perd ensuite progressivement sa vocation initiale.Mais San Francescu de Caccia occupe aussi une place singulière dans l’histoire politique de l’île. Les 21 et 22 avril 1755, le couvent accueille la Cunsulta de Caccia, assemblée moins connue que celles de Casabianca ou de Corte, mais considérée comme une étape déterminante. Elle se tient quelques jours après le retour en Corse de Pasquale Paoli, revenu d’exil. « Pascal Paoli a commencé à écrire la Constitution corse dans cet édifice, à l’époque où il était habité par des moines », rappelle le maire, soulignant la charge symbolique du lieu.

Le lancement des travaux est désormais envisagé au début de l’année 2026, pour une durée d’environ dix-huit mois. La livraison est attendue à la mi-2027. Au-delà de la sécurisation de l’édifice, la commune nourrit un projet plus large : rouvrir le site au public. Il s’agira à la fois de permettre aux familles ayant des ancêtres inhumés sur place de s’y recueillir de nouveau, et de donner au couvent une vocation culturelle.

Une exposition retraçant l’histoire du lieu et du village, en lien avec la figure de Pasquale Paoli, est à l’étude. Le site pourrait également intégrer le parcours patrimonial et touristique A Strada Paolina, consacré aux hauts lieux de l’épopée paoliste.Castifao n’en est pas à sa première mobilisation en faveur du patrimoine religieux. En 2021 déjà, la commune avait réussi à réunir 780 000 euros pour restaurer l’église du village, fermée depuis dix ans et aujourd’hui rouverte. Autant d’initiatives qui témoignent d’un attachement profond à l’héritage spirituel et historique local.

À l’approche des prochaines élections municipales, François Orsini a choisi de « passer la main ». Sans revendiquer ces réussites comme un argument politique, il assure rester disponible : « Au besoin, je serai toujours là pour aider à la conservation de notre patrimoine. » Et il ne compte pas manquer, le moment venu, la réouverture des portes du couvent de Caccia.À Castifao, le sauvetage de San Francescu de Caccia apparaît ainsi comme le fruit d’une fidélité partagée à un héritage où se croisent foi franciscaine, mémoire des morts et naissance d’une conscience politique respectueuse du patrimoine religieux. Un chantier exceptionnel, rendu possible par la ténacité d’un village et la générosité de toute une île attachée à ses racines chrétiennes. L’on rêve de ce genre de mobilisation sur le continent.

Recevez chaque jour notre newsletter !