Un incendie d’une violence exceptionnelle a entièrement détruit, ce dimanche 2 novembre 2025, la Chartreuse du Mont-Dieu, dans les Ardennes. Ce haut lieu du patrimoine religieux français, fondé au XIIe siècle par les moines chartreux, n’est plus qu’un amas de pierres et de cendres.L’alerte a été donnée peu après 9h30 du matin. À leur arrivée, les pompiers ont découvert un bâtiment déjà totalement embrasé. En quelques heures, la toiture et les planchers se sont effondrés, consumés par les flammes. Cinquante soldats du feu ont été mobilisés pour maîtriser l’incendie, utilisant plusieurs lances à eau et un bras élévateur aérien. En milieu d’après-midi, ils étaient toujours sur place pour éteindre les derniers foyers et sécuriser les murs encore instables.
Le bâtiment, d’une surface de 700 m² sur deux niveaux, n’était pas habité et ne contenait aucune œuvre d’art. Mais les pertes symboliques et patrimoniales sont immenses. « C’est une catastrophe. On n’a rien pu sauver », a déclaré, bouleversée, Anne Fraipont, maire de la commune. Un périmètre de sécurité a été mis en place, tandis qu’un expert doit évaluer les risques d’effondrement.
Classée monument historique depuis 1946, la Chartreuse du Mont-Dieu comptait parmi les plus anciennes chartreuses de France. Fondée en 1132, à la suite du concile de Reims de 1131, elle fut érigée dans la solitude des forêts d’Ardenne par Odon, abbé de Saint-Rémi, avec l’appui de l’archevêché de Reims. Le pape Innocent II confirma la charte de fondation dans une bulle datée du 23 novembre 1136.Le lieu devint rapidement un centre spirituel majeur. Guillaume de Saint-Thierry, ami de saint Bernard de Clairvaux, y adressa sa célèbre Lettre aux frères du Mont-Dieu sur la vie solitaire, encore appelée Lettre d’or, un texte mystique d’une profondeur exceptionnelle, méditant sur la transformation de l’âme par la contemplation et le silence.Isolée dans une vaste clairière au cœur d’une forêt de plus de mille hectares, la Chartreuse du Mont-Dieu fut pendant des siècles un havre de prière et de silence. Saint Bernard de Clairvaux y séjourna à plusieurs reprises entre 1139 et 1141, tout comme le pape Eugène III et saint Thomas Becket. Ces visites illustres témoignaient de l’importance spirituelle du lieu, premier monastère chartreux fondé sur le sol français.
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Au fil des siècles, la Chartreuse subit plusieurs destructions, notamment durant les guerres de Religion. Elle fut entièrement reconstruite en 1617 sous le règne de Louis XIII, dans un style mêlant brique rose, pierre calcaire et toitures d’ardoise, rappelant l’architecture de la place Ducale de Charleville.Chassés à la Révolution française, les moines virent leur monastère transformé en prison d’État pendant la Terreur. Par la suite, les bâtiments servirent à divers usages industriels, notamment comme filature, avant de tomber en ruine. Sous le Premier Empire, le Sedanais André Poupart de Neuflize, riche négociant en draps, sauva ce qu’il put de l’abbaye, avant que François-Xavier Camus, maire de Charleville, n’en devienne propriétaire en 1820.
Durant la Seconde Guerre mondiale, la Chartreuse du Mont-Dieu fut à nouveau endommagée lors de la bataille de Stonne, en mai 1940. Malgré ces épreuves, le site avait conservé son caractère majestueux : un grand corps de logis se reflétant dans les douves, flanqué des pavillons Saint-Étienne et Saint-Bruno, d’élégantes fenêtres à meneaux, et un pavillon d’entrée orné d’un œil-de-bœuf et de pots-à-feu sculptés.La Chartreuse était entourée d’une nature remarquable : le chêne de Montpy, haut de trente mètres, un tulipier de Virginie, un cèdre de l’Atlas, et une allée de tilleuls menant au pavillon d’entrée. Ces arbres centenaires formaient un cadre de silence et de beauté qui prolongeait l’esprit chartreux de contemplation. Ce lieu incarnait le lien profond entre nature et prière, entre solitude et louange. Dans les clairières du Mont-Dieu, les moines trouvaient ce qu’ils appelaient le désert, non pas un vide, mais un espace où Dieu se donne dans le silence.
« Perdre un tel patrimoine, c’est voir s’effacer une part de notre mémoire collective et de notre identité ardennaise », a réagi Patrick Fostier, élu local, dans un message empreint d’émotion. « Ce lieu unique, chargé d’histoire et de spiritualité, faisait partie de ces trésors discrets qui racontent si bien l’âme de nos forêts », a-t-il ajouté.
L’incendie du Mont-Dieu n’a pas seulement détruit des murs, il a touché à une dimension plus profonde, celle de la prière, du silence et de la mémoire chrétienne. Si les flammes ont emporté les pierres, la lumière spirituelle du lieu demeure. Comme le rappelait Guillaume de Saint-Thierry dans sa Lettre d’or, écrite pour ces moines du Mont-Dieu : « Heureux celui qui, pénétrant le secret du cœur, découvre en lui-même la paix que le monde ne connaît pas. »


