Dans un message jubilé intitulé Pèlerins de l’espérance, publié hier à l’occasion de la solennité de la Très Sainte Trinité, les évêques exhortent à créer un climat « sans pressions ni conditionnements, qu’ils soient internes ou externes », afin de permettre les « changements structurels, sociaux, économiques et politiques dont Cuba a besoin ».Le message dresse une analyse approfondie de la situation nationale, soulignant l’érosion de l’espérance parmi les Cubains et invitant à réfléchir sur les réalités de la vie quotidienne. Il établit un lien clair entre la foi chrétienne et la nécessité d’une transformation en profondeur.
Les évêques dénoncent la grave crise économique qui frappe l’île : « Quand le quotidien force à la recherche anxieuse des biens de première nécessité ; quand les coupures prolongées d’électricité nuisent au repos, paralysent les études et le travail ; quand les familles se fragmentent de plus en plus à cause de l’émigration croissante ; quand le désenchantement et l’apathie s’emparent de nombreux citoyens, oppressés par la répétition de promesses jamais tenues… alors, lorsque tout cela envahit notre âme, l’horizon de l’espérance s’obscurcit et la tristesse s’empare de nos cœurs. »
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Les évêques citent explicitement les pauvres, les personnes âgées abandonnées, les sans-abri, ceux qui cherchent leur nourriture dans les poubelles, les parents angoissés par l’avenir de leurs enfants, les personnes dépendantes, ainsi que « ceux qui ne se sentent pas en mesure d’exprimer librement leurs convictions ».
Et de poursuivre : « Sans espérance et sans joie, il n’y a pas d’avenir pour aucun peuple. » C’est pourquoi ils lancent un appel à « la collaboration et à la responsabilité de tous les enfants de cette terre, sans exclusion ni réponses idéologiques ou préconçues », en valorisant « la diversité des points de vue » comme une richesse pour la nation.
Et de conclure par une exhortation audacieuse : « N’ayons pas peur d’emprunter de nouveaux chemins ! »
INTEGRALITE DU MESSAGE DES ÉVÊQUES CATHOLIQUES DE CUBA EN L’ANNÉE JUBILAIRE
« Pèlerins de l’Espérance »
« Chers frères et sœurs,
- Cette année, toute l’Église catholique vit un temps de grâce et de bénédiction. On l’appelle Année Sainte ou Année Jubilaire, et elle se célèbre habituellement tous les 25 ans. Le bien-aimé et inoubliable pape François l’a convoquée et inaugurée sous le thème : « Pèlerins de l’espérance ».
- Dieu aime tant les hommes qu’il nous a envoyé son Fils éternel, Jésus-Christ. Il a partagé notre condition humaine (cf. Jn 3,16), et par sa croix et sa résurrection, il a vaincu la mort et le mal. Ainsi, il a ouvert à chaque être humain la possibilité de participer à l’éternité de Dieu et à la victoire définitive du bien et de l’amour. Telle est la raison de l’espérance chrétienne, que nous sommes appelés à annoncer à tous.
- La foi dans le Seigneur ressuscité et la confiance en ses promesses sont indispensables pour pouvoir témoigner de l’espérance. Nous sommes conscients que le message d’espérance se heurte au défi immense que représentent les innombrables situations de douleur, de guerre, d’inégalités et d’injustices que nous voyons dans le monde. Chez nous aussi, nombreux sont ceux qui vivent sans espérance, emprisonnés par l’incertitude et la confusion face à un présent dramatique et un avenir que l’on n’arrive pas à discerner clairement, car on a l’impression d’avoir perdu les ressorts, le dynamisme et la volonté de changer les conditions de vie extrêmement dures du peuple.
- Quand le quotidien oblige à la recherche anxieuse des biens de première nécessité ; quand les coupures d’électricité prolongées affectent le repos et paralysent les études et le travail ; quand les familles se fragmentent toujours davantage à cause de l’émigration croissante ; et que le désenchantement et l’apathie s’emparent de tant de gens, accablés par la répétition de promesses qui ne se concrétisent jamais… quand tout cela envahit notre âme, l’horizon de l’espérance s’estompe et la tristesse s’empare de nos cœurs.
- Sans espérance et sans joie, il n’y a pas d’avenir pour aucun peuple. Il est vrai que l’Église sait et proclame toujours que Jésus-Christ ressuscité est la source et la finalité de la véritable espérance (cf. Col 1,27). Mais il est aussi souhaitable, légitime, digne de l’homme, que tout être humain puisse vivre et travailler en paix, réaliser ses rêves personnels et familiaux, progresser intégralement et continuellement.
- Si les personnes peuvent croître et développer leurs potentialités, il est plus facile de motiver la recherche et l’effort pour le bien commun, ce bien qui semble de plus en plus lointain pour tant de nos frères : les pauvres, les personnes âgées seules et abandonnées, ceux qui dorment ou errent dans les rues, ceux qui cherchent chaque jour de la nourriture dans les poubelles, ceux qui n’arrivent pas à dormir durant les interminables nuits de coupures, les parents accablés par l’avenir incertain qu’ils entrevoient pour leurs enfants, ceux qui sont blessés ou brisés et deviennent de plus en plus violents, ceux qui ne sentent pas qu’ils peuvent exprimer librement leurs convictions, ceux qui sombrent dans l’alcool, la drogue ou d’autres dépendances… privés d’amour et vidés d’espérance.
- Comment raviver l’espérance de tant de Cubains ? C’est une question sérieuse et incontournable dans le moment que nous vivons. C’est une question qui requiert la participation et la responsabilité de tous les enfants de cette terre, sans exclusions ni réponses préconçues ou idéologiques. Cette préoccupation a accompagné les nombreux messages que les évêques catholiques de Cuba avons adressés ces dernières décennies, dans le seul désir de servir le bien commun de la patrie, en encourageant une écoute respectueuse de tous ceux qui, aimant la terre où ils sont nés, souhaitent contribuer par leurs compétences et leurs potentialités à la construction d’une nation plus prospère, plus juste et plus heureuse. La diversité des points de vue est une nécessité et une richesse lorsqu’on recherche l’intérêt supérieur de la patrie, au-dessus des intérêts particuliers.
- Beaucoup parmi nous, croyants ou non, et dans tous les domaines de la vie nationale, luttent chaque jour, aiment, servent, même avec abnégation et sacrifice, pour un avenir meilleur pour le pays. Notre gratitude envers le Seigneur est immense pour le témoignage qu’ils donnent chaque jour. Ils soulagent bien des souffrances et sont un motif d’espérance pour tous.
- La réalité douloureuse et urgente que nous vivons ne doit pas nous laisser dans l’analyse ou la description des problèmes et de leurs multiples causes. Elle exige de changer le cours des choses. Dans toutes les régions du pays, pour les oreilles attentives et respectueuses de la souffrance du prochain, on entend sans cesse que les choses ne vont pas bien, que nous ne pouvons pas continuer ainsi, qu’il faut faire quelque chose pour sauver Cuba et retrouver l’espérance. Cet appel s’adresse à tous, mais fondamentalement à ceux qui ont les responsabilités les plus élevées lorsqu’il s’agit de prendre des décisions pour le bien de la nation. Il est temps de créer un climat, sans pressions ni conditionnements internes ou externes, où puissent être mis en œuvre les changements structurels, sociaux, économiques et politiques dont Cuba a besoin.
- En avril 2024, nous avons invité tout le peuple catholique à intensifier la prière pour Cuba, son présent et son avenir. Aujourd’hui, nous renouvelons cet engagement, confiants dans la puissance de la prière, car « si le Seigneur ne bâtit la maison, en vain peinent les bâtisseurs » (Psaume 127,1). Avec le pape Léon XIV, nous voulons tendre des ponts et œuvrer pour un climat de paix authentique qui « exige une volonté sincère de dialogue, animée par le désir de se rencontrer plutôt que de s’affronter » (Discours au corps diplomatique, 16 mai 2025). En communion avec le Saint-Père, nous optons toujours pour le dialogue, pour le respect de la dignité de chaque être humain, pour la confiance dans les immenses possibilités du peuple cubain. Forts de l’amour que nous professons pour Dieu et pour Cuba, nous voulons adresser une parole d’encouragement : N’ayons pas peur d’emprunter de nouveaux chemins !
- Le Christ ressuscité et sa Mère, et notre Mère, la Très Sainte Vierge de la Charité du Cuivre, nous accompagnent aujourd’hui et toujours. Qu’ils éclairent nos esprits et orientent nos volontés, afin que, laissant de côté les résistances, les méfiances et les peurs, nous soyons capables d’ouvrir pour notre peuple la porte lumineuse et belle de l’espérance.
Avec affection, nous vous bénissons,
Les évêques catholiques de Cuba
La Havane, le 15 juin 2025
Solennité de la Très Sainte Trinité »