Il faut croire que la Providence médiatique ne manque pas d’humour. À peine annoncé, le mensuel Le Cri bénéficie déjà d’un bel article dithyrambique dans le très anti-clérical journal Libération. Voilà qui en dit long. Proximité idéologique oblige, haine viscérale de certains catholiques conservateurs comprise : qui se ressemble s’assemble. On y apprend que Le Cri veut « concurrencer la presse de Vincent Bolloré et Pierre-Édouard Stérin », soigneusement choisis pour incarner le diable de service. Rien de neuf sous le soleil : partir de la diabolisation comme méthode éditoriale, c’est déjà faire commerce de la haine.
Partir de la diabolisation pour prétendre éclairer la vérité n’a pas de sens, pas plus que partir de la haine pour parler d’amour.
Théo Moy, ancien journaliste de La Croix (ce qui n’étonnera guère au vu de l’évolution militante et peu favorable à la doctrine de l’Église de cette rédaction), déclare que son mensuel sera « chrétien, joyeux et radical ». Radical, il le sera sans doute. Joyeux, l’enthousiasme militant n’a jamais suffi à faire rire. Quant au chrétien, on devine déjà quel type de catéchisme sera servi : celui des causes du moment, pas celui de l’Église. Son complice, Paul Piccarreta, ancien agent littéraire du Seuil, n’apparaît pas en reste. Quoi de plus naturel pour un homme issu du milieu culturel parisien que de rêver d’un média engagé où l’on pourra, entre deux slogans, saupoudrer quelques références spirituelles pour donner l’illusion d’une profondeur.
Les fondateurs revendiquent des inspirations allant de Simone Weil à Martin Luther King, de François d’Assise au magazine Society. La juxtaposition fait sourire : un peu de mystique, un peu de militantisme américain, un peu de sainteté franciscaine, et pour couronner le tout, un brin de presse « tendance » pour séduire les jeunes urbains. On dirait une carte de restaurant où l’on mélange tout pour flatter tous les palais, au risque de ne plus respecter aucune recette. Qu’on ne s’y trompe pas : François d’Assise n’a pas passé sa vie à fonder un syndicat, et Martin Luther King n’est pas mort pour qu’un mensuel catho de gauche trouve une ligne éditoriale.
Mais dans Le Cri, chacun est convoqué, instrumentalisé même, pour donner un vernis spirituel à ce qui reste une opération idéologique.
Mais au nom de quoi un chrétien de gauche serait-il plus respectable qu’un chrétien de droite ? Au nom de quoi ceux-là mêmes qui se croient détenteurs de la bien-pensance peuvent-ils, dès la création de leur magazine, cracher un venin aux relents idéologiques ?
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« Une nouvelle extrême droite veut confisquer le christianisme pour en faire une force de division », annonce leur site internet. Et le premier numéro contiendra, sans surprise, « une enquête sur l’extrême droite catholique ». Voilà donc un média chrétien dont le premier geste est d’instruire le procès de ses propres frères en foi. La communion commence bien. Quant au ton, il est donné : « un journalisme politique et spirituel ». Comprenez : beaucoup de politique, et juste assez de spiritualité pour coller une citation de saint au détour d’une page.
Il y a des cris qui libèrent, comme celui du nouveau-né à sa naissance. Mais il y a aussi des cris qui saturent l’oreille et qui finissent par lasser. Celui-ci, malgré ses promesses de « justice sociale et écologique », ressemble déjà à une dissonance supplémentaire dans une Église où la division fait trop souvent office de méthode. De la diabolisation à la haine, Le Cri s’installe comme un fonds de commerce. Et à force de crier contre certains catholiques, il n’est pas sûr qu’il reste encore assez de souffle pour dire vraiment le Christ.