Par Anne-Marie Michel
Charles est un petit garçon très appliqué de CE1 d’un établissement catholique de région parisienne. Pour parfaire son apprentissage de la lecture, son école lui donna à lire « La rentrée des jumeaux pirates[1] ».
C’est l’histoire de Marin et Marine, deux jumeaux d’un père pirate, Bizmut, et d’une mère infirmière, Océane. Le « père » est présenté avec un autoritarisme flirtant avec la stupidité. La mère est absente pour son travail. Le père décrète que son fils sera pirate et sa fille infirmière. Mais les deux enfants ne s’y retrouvent pas du tout. Extraits : « A midi, la cantinière refuse de servir [Marin] parce qu’il a dit “s’il vous plaît”. Pour avoir le droit de déjeuner, Marin doit la menacer avec une arme et lui ordonner : “Donne la tambouille ou je te zigouille !” […] Pourtant, il a plein de devoirs : en plus de ses punitions, il doit apprendre une leçon de vocabulaire sur les gros mots des pirates. »
Marine, de son côté, déteste faire des pansements et soigner les gens. « Marin se sent de plus en plus triste : il déteste tout ce qu’il étudie. Il profite de la récréation pour parler avec sa sœur, devant la passerelle qui relie les deux écoles. Marine soupire : – Je m’ennuie et je rate tous mes pansements ! Ah, si on pouvait échanger ! Les deux enfants se regardent. Et pourquoi pas ? Ils se rejoignent, chacun passe ses habits à l’autre et le tour est joué ! »
Ce chef d’œuvre digne d’un grand plumitif rassemble trois ingrédients vomitifs : la niaiserie intellectuelle, la médiocrité littéraire et la sacro-sainte idéologie du genre. C’est beaucoup pour un petit garçon de 7 ans. Comme d’habitude – réflexe pavlovien – on rétorquera à l’indigné : « Mais c’est pour rire. »
Vendredi de Carême dans ce même établissement catholique : la maman de Charles et de son frère Jean leur demande ce qu’ils ont mangé à la cantine… « De la viande, maman. » En effet, le vendredi 11 avril 2025, avant-veille des Rameaux, les deux écoliers eurent le choix entre un cheeseburger et un haut de cuisse de poulet rôti, selon l’application App’table, donnant les menus de la semaine…
Ce n’est pas fini : d’après la maîtresse de Jean, la nouvelle directrice de l’école primaire a voulu procéder à une bénédiction des cartables lors de la rentrée. La pastorale de l’établissement l’en a empêché. Oui, la pastorale.
Une maman probablement non catholique a fait remarquer, lors d’une réunion de rentrée en septembre 2024, que les cours de catéchisme et d’instruction religieuse étaient relativement « opaques » : les parents n’en avaient guère de retour.
Une autre maman catholique – elle – rêverait de mettre en place des temps d’adoration dans l’église de l’école (qui sert aussi de salle de réunion).
- Mais tu rêves ? lui rétorque-t-on, c’est impossible.
En CM2, l’infirmière passe dans les classes expliquer la puberté. Le registre se cantonne strictement aux aspects « scientifiques » de la chose… Rien de plus. Rien de la splendeur de la vocation de l’être humain à être co-créateur.
Beaucoup de familles catholiques « investies » qui mettent leurs enfants dans cette école décident de les catéchiser ailleurs, notamment auprès de la communauté Saint Martin, voire de la Fraternité Saint Pierre.
Bien entendu, beaucoup d’enfants sont musulmans. Charles et Jean sont quasiment les seuls de leur classe à aller à la messe le dimanche matin. Mais que voulez-vous, leurs camarades les invitent à leur anniversaire dans tel parc de loisirs… un dimanche matin !
Bien sûr, l’école a bonne réputation : les élèves y sont mieux encadrés, le niveau plus exigeant, les élèves en difficultés mieux soutenus. Les téléphones portables interdits au collège, normalement. Il n’y a pas encore eu de meurtre devant l’établissement, contrairement à ce qui se développe dans le public[2].
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Cependant, l’esprit des fondateurs de cette école, Saint Pierre Fourier et la Bienheureuse Alix Le Clerc, semble s’être perdu on ne sait où. « Un temps viendra où les gens ne supporteront plus l’enseignement de la saine doctrine ; mais, au gré de leurs caprices, ils iront se chercher une foule de maîtres pour calmer leur démangeaison d’entendre du nouveau.Ils refuseront d’entendre la vérité pour se tourner vers des récits mythologiques. » (2Tim4, 3-4)
Une réponse à ce constat de déchristianisation de l’enseignement catholique est la floraison magnifique des écoles catholiques hors contrat. Car un des problèmes vient du contrat : peut-on encore rester catholique et être pieds et mains liés avec l’État français ? Il faut choisir son camp. Radicalement. Entrer en résistance. Résolument. On ne peut plus être lié en quoi que ce soit à ce contre quoi il faut résister.
Aux États-Unis, Thomas W. Carroll, ancien surintendant des écoles catholiques de l’archidiocèse de Boston, l’un des plus grands systèmes scolaires catholiques des États-Unis, a fondé le Catholic Talent Project[3]. Cet organisme vise à répondre au constat alarmant que relate Thomas Carroll : « À l’âge de 13 ans, 50 % des enfants élevés dans des familles catholiques abandonnent leur foi, et – ce chiffre est stupéfiant – 86 % à 18 ans ».
Les écoles catholiques américaines subissent le fait – bien connu en France – que bien des parents y inscrivent leurs enfants « pour de nombreuses raisons qui n’ont rien à voir avec la foi. Il s’agit notamment d’un bon enseignement, de classes moins nombreuses, d’une discipline stricte, d’un environnement sûr et d’un sens de la communauté. » On vient chercher les fruits du christianisme sans en assumer l’exigence, par ignorance ou conformisme.
Petite anecdote relatée par Thomas Carroll : « Un parent d’élève, lors d’une réunion scolaire, a soutenu que nous devrions rejeter tout enseignement sur la théologie du corps de saint Jean-Paul II, […] parce que (horreur !) ces enseignements “ont plus de 40 ans !” Faisant de mon mieux pour ne pas éclater de rire, j’ai répondu : “Nous croyons en beaucoup de choses qui ont plus de 2 000 ans” ». Il n’est pas simple d’évangéliser des enfants à l’école qui, dans leurs foyers respectifs, subissent des parents davantage enracinés dans l’air du temps que dans le bénitier.
Trop d’écoles ont un cours de religion, relégué au rang de « note de bas de page », consacrant le reste des apprentissages à une vision laïque. Thomas Carroll comprend dès lors qu’il faut urgemment former des enseignants et directeurs d’école profondément catholiques. « Durant son mandat, Carroll a remplacé 75 % des directeurs d’écoles paroissiales, n’embauchant que des directeurs animés d’une foi profonde et engagés dans l’évangélisation. Il a également fondé la St. Thomas More Teaching Fellowship, afin de recruter et de former de jeunes diplômés universitaires brillants et fidèles, capables d’enseigner et d’offrir aux élèves des témoignages convaincants de leur foi catholique. »
Le directeur de Catholic Talent Project veut donc des écoles qui restent ou redeviennent authentiquement catholiques, de façon rigoureuse autant que fière et joyeuse. Les éducateurs doivent être d’authentiques « témoins de la foi », des « modèles pour les enfants. » Le programme scolaire doit « refléter pleinement la contribution de la tradition intellectuelle catholique » dans le domaine culturel et anthropologique.
Pas de politiquement correct chez Thomas Carroll. Il recommande d’« embrasser la vérité et non le relativisme, [de] considérer les individus comme des créations de Dieu et non pas simplement comme des membres de groupes identitaires ; et défendre la dignité humaine de toutes les vies, de la conception à la mort naturelle, quelles que soient les valeurs de la culture populaire. » Il préconise aussi que les enfants puissent fréquenter des personnes consacrées fiables pour favoriser les vocations. Tous ces conseils reposent sur une expérience de notre foi catholique joyeuse et libératrice. Cela prendra du temps et beaucoup de sacrifices.
Mais un jour, Les Fables de La Fontaine feront leur retour victorieux et la piteuse lecture des jumeaux pirates sera à l’index… « Je t’en conjure, au nom de sa Manifestation et de son Règne : proclame la Parole, interviens à temps et à contretemps, dénonce le mal, fais des reproches, encourage, toujours avec patience et souci d’instruire.[…]Mais toi, en toute chose garde la mesure, supporte la souffrance, fais ton travail d’évangélisateur, accomplis jusqu’au bout ton ministère. »
[1] https://www.bayard-editions.com/livres/9365-la-rentree-des-jumeaux-pirates/
[2] Sékou, 17 ans, tué à l’arme blanche dans une rixe entre bandes rivales…
[3] https://catholictalentproject.org/