Par Philippe Marie
Depuis plusieurs années, l’Église catholique se trouve au cœur d’une exposition médiatique sans précédent, à laquelle nous participons, parfois avec un sentiment d’inachevé et parfois avec l’impression d’un zèle excessif. Les affaires qui touchent ses responsables sont relayées avec force avec le souci légitime d’informer. Dans ce contexte tendu, une question revient avec insistance : où placer la juste mesure entre la nécessaire révélation de la vérité et le risque d’une « justice médiatique » qui devance ou supplée celle des tribunaux ?
L’article d’Aymeric Pourbaix dans Le Journal du Dimanche invite à cette réflexion de fond sur la place de la presse et sur cette « justice médiatique ». Le cas du cardinal Jean-Marc Aveline en est une illustration, mais il ne saurait résumer à lui seul une problématique plus vaste.D’un côté, il y a les révélations publiées par Paris Match. Le magazine consacre trois parties à rappeler et à révéler des affaires. Plus qu’un travail d’information, l’ensemble donne, selon Aymeric Pourbaix, le sentiment de construire un « portrait à charge« , justifié ou non. Certes, le diocèse de Marseille a répondu point par point, en insistant sur les mesures déjà prises. Les faits sont là mais, selon certains, l’impression demeure que le récit journalistique veut s’imposer comme un « verdict médiatique ». Le directeur de France Catholique souligne qu’à force de mise en scène et d’insistance, l’information risque de se transformer en condamnation et la presse de glisser de son rôle de révélateur vers celui de juge.
On comprend cette réflexion comme un avertissement au discernement et un appel à résister aux arrière-pensées idéologiques ou politiques qui peuvent parfois s’immiscer dans le récit médiatique. L’on s’interroge également :qu’est-ce qui salit davantage l’Église : se taire par peur de ternir son image et laisser crimes et délits impunis, ou les révéler haut et fort au risque de l’exposer mais pour mieux servir la vérité et la justice ?
L’on objectera cependant que, saisie par des fidèles blessés en quête de vérité, qu’il s’agisse de faits anciens ou non, la presse se trouve tenue, par la vérité même, de les écouter et de relayer une souffrance authentique, même au risque d’écorcher la réputation d’un prince de l’Église.Tel est aussi le cas du collectif marseillais, qui a demandé la démission de Monseigneur Aveline par un courrier envoyé à Tribune Chrétienne et dont la démarche exprime avant tout la douleur d’hommes et de femmes qui souhaitent être entendus et qui, à ce jour, ne l’ont pas été.
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Ces catholiques expriment aujourd’hui leur colère face à ce qu’ils perçoivent comme un système fermé, sourd à leurs appels, incapable de reconnaître leur désarroi et leur peine. Leur démarche, pleine de sincérité, semble se heurter à un sentiment d’indifférence. Même l’architecture de leur église ne suscitait pas d’attention, comme si leur communauté n’était pas jugée digne de compassion. Leur détresse a même été tournée en dérision sur certains sites, blogs ou forums. Là, des commentateurs, parfois mal intentionnés, se permettent de railler leurs démarches, tout en prétendant donner des leçons de vérité sur d’autres sujets qu’ils estiment prioritaires.Cette attitude, moqueuse et méprisante, ne fait qu’accentuer leur sentiment d’injustice et creuser la fracture entre des fidèles sincères en quête de vérité, et un espace médiatique et numérique peu intéressé par leur désarroi.
Ne confondons donc pas la révélation nécessaire, issue d’une démarche sincère, d’une foi blessée ou de personnes meurtries ( comme c’est également le cas pour le collectif de prêtres du diocese d’Alsace) , et la démarche qui, selon certains, vise à abattre un homme et à salir sa réputation. Car à force de vouloir s’en prendre à personne, l’on aurait trop vite la tentation de se laisser endormir par un esprit qui masque volontairement la vérité au profit d’intérêts et d’ambitions personnelles plus ou moins avouables.
Il existe donc deux réalités distinctes mais qui se rejoignent : révéler pour dénoncer,et tout est affaire de mesure. La mesure qui consiste à révéler une souffrance réelle et des erreurs attestées ; et la mesure qui, au-delà de la révélation, sait laisser à la justice civile et pénale son rôle légitime de juger et de sanctionner.C’est aussi dans cet esprit qu’il faut reconnaître le rôle de Sœur Véronique Margron, qui a contribué à mettre en lumière, à travers la CIASE, des scandales longtemps étouffés. Sa voix a permis que la souffrance de nombreuses victimes ne soit plus ignorée, et qu’un travail de vérité indispensable soit engagé.
Mais là encore, tout est affaire de mesure : ne pas sombrer dans l’idéologie, ne pas instrumentaliser la douleur, mais garder le cap d’une vérité qui libère et qui construit.Entre l’omerta d’hier et l’emballement d’aujourd’hui, l’Église n’a d’autre choix que de faire face et d’avancer sur un chemin où vérité et justice s’unissent, non pas contre elle, mais pour elle, afin que sa mission soit purifiée et son témoignage crédible.Ainsi, tandis que certains scrutent les failles et que d’autres dénoncent avec parfois trop de zèle, il est possible de trouver une voie juste : celle qui écoute, qui répare et qui relève, afin que l’Église demeure signe d’espérance au cœur du monde.