Port-au-Prince, déchirée par la guerre des gangs, vit dans une peur constante. Les cloches ne sonnent plus et les paroisses ferment les unes après les autres. Les églises sont pillées, occupées ou brûlées. Les prêtres eux-mêmes, jadis piliers des communautés, fuient désormais les zones de combat. Selon un recensement établi par le père Brillère Aupont en août, soixante églises de la capitale ont été prises en otage par des groupes armés, et quatre-vingts dans tout le pays. L’Organisation internationale pour les migrations estime à 1,4 million le nombre de personnes déplacées internes, tandis que les Nations unies affirment que plus de 80 % de Port-au-Prince est sous contrôle de gangs.
Le père Yves Carlos Romulus est l’un de ces prêtres déracinés. Depuis dix mois, il vit reclus à Croix-des-Bouquets, une zone quadrillée par les bandes armées. Sa chapelle Saint-Laurent de Bongard a été incendiée, puis occupée. En janvier, la fédération criminelle Viv Ansanm, dirigée par le chef de guerre Jimmy Chérizier, surnommé “Barbecue”, a attaqué Kenscoff, quartier stratégique au sud-ouest de la capitale. En quelques heures, des dizaines de maisons ont été réduites en cendres et cent cinquante habitants massacrés. Parmi eux, Joseph, un collaborateur du prêtre. « Les survivants ont fui terrorisés. Pour ma part, j’ai choisi d’accompagner mon peuple », confie-t-il.
Aujourd’hui, le père Yves Carlos sillonne les quartiers encore accessibles, rejoignant ses paroissiens dispersés à Pétionville. Les plus chanceux ont trouvé refuge chez des proches. Les autres dorment dans les rues, les places ou les bâtiments abandonnés. « Les gens m’appellent tout le temps. Ils sont tristes, désemparés. J’essaie de les réconforter, de leur rappeler que Dieu n’a pas quitté Haïti. J’appelle cela la pastorale du téléphone », explique-t-il, un léger sourire dans la voix.
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La situation n’épargne aucun diocèse. En avril, l’archevêque de Port-au-Prince, Mgr Max Leroy Mésidor, dénonçait la fermeture de vingt-huit paroisses sous la pression des gangs et la paralysie de nombreuses autres. La Conférence des évêques d’Haïti a, à plusieurs reprises, condamné la violence et appelé les fidèles à la prière et à la conversion des cœurs. « L’Église ne peut rester silencieuse face à la destruction de la vie et de la dignité humaine », déclarait Mgr Mésidor dans un message rendu public au printemps.Le père Jeanrilus Excellus, spiritain, a connu le même sort. Sa paroisse de la Conversion de Saint-Paul à Furcy a été transformée en quartier général par les miliciens de Viv Ansanm. « Ils m’ont laissé à peine le temps de prendre l’Eucharistie et les registres avant de me chasser », raconte-t-il. Quelques mois plus tard, à Pétionville, des hommes armés ont fait irruption dans une église et l’ont enlevé. Il a été libéré après plusieurs jours de captivité.
La violence a désormais pénétré jusqu’aux autels. Les prêtres, les religieuses et les religieux vivent dans la peur, mais refusent d’abandonner leur mission. Caritas Haïti continue tant bien que mal de gérer des centres d’accueil pour déplacés, tandis que les congrégations comme les Spiritains ou les Jésuites restent présentes malgré les menaces. Dans la diaspora, de Montréal à Miami, les paroisses haïtiennes prient pour leurs frères restés sur place et collectent des fonds pour leur venir en aide.
Dans ce pays ravagé, la foi se vit dans la discrétion et le courage. Les messes se célèbrent parfois dans des maisons, des jardins ou des ruines. Le père Yves Carlos le sait bien : « Aux gangs, je voudrais dire : donnez une chance à ce pays de survivre. Vous pouvez encore choisir la vie. » Puis, comme une prière murmurée, il conclut doucement : « Aujourd’hui, au moins, il n’a pas plu. Peut-être est-ce déjà un petit miracle. »