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Haïti : Menace sur l’Église, le Kenya envoie sa police controversée

L’Église aide la population haïtienne plongée depuis trois ans dans le chaos. Mais les religieux restent victimes de la violence des gangs. Le Kenya envoie sa police, connue pour sa brutalité.

Chaque année, de nombreux religieux sont agressés, enlevés, voire tués, non par haine de la foi, mais parce qu’ils acceptent les risques liés à la vie et à l’expression de leur foi dans des contextes critiques marqués par la pauvreté économique et culturelle, la dégradation morale et environnementale, où le respect de la vie et des droits humains est inexistant, remplacé uniquement par la domination et la violence.

L’agence de presse Fides, qui publie chaque année un dossier sur eux, explique qu’ils sont attaqués alors qu’ils vaquent à leurs occupations quotidiennes : dans la rue, en allant ou en revenant de célébrations de la messe ou d’activités pastorales, ou encore chez eux, dans leurs paroisses, dans leurs monastères, lors d’un assaut en vue de vol ou de kidnapping. Ils pourraient partir ailleurs, dans des endroits plus sûrs, ou réduire leurs engagements, mais ils ne le font pas, bien qu’ils soient conscients de la situation et des dangers qu’ils encourent chaque jour, car ils veulent rester proches des fidèles qui leur sont confiés.

C’est depuis des années la réalité des prêtres, des missionnaires vivant en Haïti, un pays où la violence et la corruption font rage, dont les conditions de vie se sont détériorées surtout à partir de 2021, année marquée par l’assassinat du président Juvenel Moise le 7 juillet, suivi le mois suivant par un nouveau séisme catastrophique, bien que moins dévastateur que celui de 2010 qui avait fait 230 000 morts. Depuis lors, la misère et l’illégalité ont pris le dessus et la population est désormais prise en otage par des centaines de bandes armées féroces et impitoyables.

Rien qu’à Port-au-Prince, on en compte environ 300 qui contrôlent 80% du territoire. Les religieux, autochtones et nombreux missionnaires étrangers, sont bien accueillis par la population pour les bienfaits qu’ils apportent, mais sont souvent victimes d’attaques, de vols, de kidnappings à des fins d’extorsion. Leur dévouement généreux envers la population ne les met pas à l’abri, pas plus que leurs biens et leurs institutions : crèches, écoles, orphelinats, hôpitaux qui représentent de plus en plus les seuls services sur lesquels une grande partie de la population peut compter.

En mars dernier, la situation s’est encore aggravée. La décision du Premier ministre Ariel Henry d’organiser des élections en août 2025 a déclenché la fureur des groupes armés contrôlant la capitale haïtienne et ses environs. Bien que rivaux, ils ont uni leurs forces pour exiger la démission du Premier ministre.

Depuis lors, les postes de police, les sièges du gouvernement et même l’aéroport international Toussaint Louverture ont été la cible d’attaques. Des écoles, des hôpitaux, des orphelinats, des banques, des bâtiments publics et de nombreuses entreprises ont été pillés. Des dizaines de milliers de personnes ont dû quitter leurs maisons pour chercher refuge loin des centres urbains, souvent dans des conditions inhumaines. De plus, deux prisons ont été attaquées et environ 4 000 détenus, tous criminels, ont été libérés, rejoignant ainsi les rangs des bandes.

La situation est terrifiante” – expliquait en mars sœur Marcella Catozza, Franciscaine, engagée depuis de nombreuses années dans des activités pastorales et caritatives en Haïti – les bandes ont attaqué plusieurs bâtiments publics, y compris l’hôpital catholique ‘Saint François de Sales’ de Port-au-Prince.

Il faut savoir qu’elles sont équipées d’armes et de moyens sophistiqués, bien plus que des machettes ; elles ont même des drones pour repérer les mouvements des forces de l’ordre qui semblent incapables de les arrêter.” Depuis lors, les nouvelles en provenance du pays, livré à la fureur incontrôlée des bandes armées, sont devenues de plus en plus dramatiques.

“Les bandes deviennent chaque jour plus armées et plus féroces, nous sommes retranchés à l’intérieur de l’hôpital, espérant qu’elles ne nous attaquent pas. Nous ne pouvons pas sortir pour acheter de la nourriture ou des médicaments pour les personnes que nous hébergeons, enfants handicapés, malades, proches des patients et personnel médical et infirmier – rapportait en avril le père Erwan, missionnaire camillien, économe du Foyer Saint Camille, un centre socio-sanitaire – nous avons pu, moyennant ‘le paiement de la protection’, sortir une seule fois avec l’ambulance pour acheter 30 bonbonnes d’oxygène pour les patients hospitalisés et pour les interventions chirurgicales. La situation est chaque jour plus dangereuse.”

“Il est urgent que la communauté internationale intervienne” – déclarait le père Massimo Miraglio, missionnaire camillien également présent depuis près de 20 ans sur l’île – sinon nous atteindrons un point de non-retour et les morts se compteront par milliers.”

On sait que la communauté internationale est lente à réagir et a des priorités parmi lesquelles Haïti ne semble pas figurer. Mais surtout, lorsqu’elle a décidé d’intervenir, elle a choisi de confier surprenamment la responsabilité de rétablir l’ordre et la paix en Haïti au Kenya, qui s’était déjà proposé en juillet 2023 d’envoyer à Port-au-Prince mille agents de police et de diriger une éventuelle mission internationale.

“Nous désarmerons ces voyous et ces bandes” – assurait en septembre 2023 le ministre des Affaires étrangères kényan Alfred Mutua – cela ne prendra pas longtemps, nous libérerons les Haïtiens enlevés et les femmes violées.” “Nous ne décevrons pas le peuple haïtien – promettait pour sa part le président kényan William Ruto – la mission a ‘une signification particulière et une urgence fondamentale’.”

Mais au Kenya, tout le monde n’était pas d’accord pour se priver de tant d’agents de police, nécessaires pour faire face aux nombreux et graves problèmes d’ordre public du pays. L’opposition dirigée par Raila Odinga s’est opposée en affirmant que l’envoi d’agents en Haïti ne devait pas être une priorité étant donné les nombreux problèmes des pays voisins du Kenya, et en octobre, puis de nouveau en janvier 2024, la Cour suprême, malgré l’avis favorable exprimé par le Parlement, a bloqué le projet en soutenant que la constitution ne prévoit pas l’envoi de policiers à l’étranger, mais seulement de militaires.

Ce n’est qu’à la fin de mars, alors même que la situation en Haïti se détériorait, que la situation s’est débloquée et ce n’est qu’en mai que le président Ruto a annoncé que le premier contingent de policiers arriverait enfin à Port-au-Prince, d’ici trois semaines.

Pendant les nombreux mois écoulés depuis juillet 2023, de nombreuses objections tout à fait fondées ont souvent été soulevées selon lesquelles la police kényane ne serait pas la mieux placée pour gérer une situation aussi complexe et délicate qu’en Haïti, où il n’est pas toujours facile de distinguer les membres des bandes, les ‘voyous’, des victimes civiles, et où des milliers de jeunes choisissent de s’armer pour passer du côté des plus forts et arrêter de subir, d’avoir peur : “la plupart des jeunes sont aujourd’hui armés et c’est ainsi qu’ils mangent et boivent” expliquent-ils en Haïti.

La police kényane ne semble pas être le meilleur choix car sa brutalité lors des interventions est bien connue et elle a souvent été accusée de kidnappings, de tortures et d’exécutions extrajudiciaires. Mais personne n’en a sérieusement tenu compte. Le fait est que, avec l’approbation de la communauté internationale, les premiers 200 agents de police ont finalement atterri en Haïti le 25 juin, précisément au moment où leurs collègues dans la capitale Nairobi et dans d’autres villes tiraient à balles réelles sur des milliers de jeunes manifestants contre les augmentations de taxes, tuant au moins 23 personnes et en blessant des dizaines.

Source Nbussola

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