« Léon XIV est exactement le pape dont le monde a besoin en ce moment », déclare d’emblée le cardinal William Goh dans une interview accordée à nos confrères de La Bussola. L’archevêque de Singapour, respecté pour sa fidélité au magistère, son zèle liturgique et son franc-parler, ne cache pas son soulagement après un pontificat marqué, selon lui, par trop d’ambiguïtés.S’il reconnaît les efforts du pape François pour rendre l’Église plus missionnaire et proche des périphéries, il pointe sans détour les conséquences négatives d’une communication doctrinale confuse : « Dans sa volonté de s’adresser à tous, les enseignements doctrinaux et moraux n’ont pas été suffisamment articulés, ou en tout cas sont apparus ambigus. »
Et cette ambiguïté, selon lui, a été à l’origine des polarisations croissantes au sein de l’Église : « Si l’on ne comprend pas clairement quel est l’enseignement de l’Église, il est très difficile de travailler ensemble dans l’unité. » Malgré une volonté partagée d’évangélisation, des oppositions internes ont émergé sur des sujets sensibles comme le mariage, l’homosexualité ou la question transgenre. « Il y avait des gens qui venaient à l’église en disant : “Mais le pape a dit ceci…” »
Contre cette confusion, le cardinal Goh propose une autre vision de l’inclusivité :
« Être vraiment inclusif signifie dire : oui, nous comprenons que vous luttez. Vous n’arrivez pas à vivre l’Évangile. Nous allons vous aider, marcher à vos côtés. Cela prendra peut-être du temps. Nous vous aiderons à tomber amoureux de Jésus peu à peu. Un jour, peut-être, vous comprendrez. »
À ses yeux, Léon XIV représente une rupture nécessaire avec l’imprécision passée. Religieux augustinien, formé dans la tradition de saint Augustin, ayant connu la pauvreté en Amérique latine et les arcanes de la Curie à Rome, il apparaît comme une figure à la fois spirituelle et gouvernante : « Il ne sera pas ambigu et ne laissera pas à chacun le soin d’interpréter ce qu’il dit. »Dès ses premiers gestes, le nouveau pape s’est montré prudent et mesuré : « Il est conscient que lorsqu’un pape parle, ses paroles sont prises au sérieux, et il agit donc avec prudence et discernement. » Pour le cardinal Goh, cette clarté attendue permettra de dépasser les divisions entre la « gauche » et la « droite » ecclésiales.
Concernant la messe tridentine, autre sujet de crispation sous le pontificat précédent, l’archevêque de Singapour tient un discours d’apaisement et de respect : « Personnellement, je ne vois aucune raison d’empêcher ceux qui préfèrent la messe tridentine. Ils ne font rien de mal ni de peccamineux. » Il ajoute : « On peut très bien accepter différentes formes de célébration de l’Eucharistie. Ce qui compte, ce n’est pas le rite ou la forme, mais de rencontrer Dieu en profondeur. »
« Nous ne devrions pas les discriminer. Après tout, c’est la messe qui a été célébrée pendant des siècles, non ? »
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Abordant la situation de l’Église en Asie, le cardinal note que les persécutions y sont inégales : parfois ouvertes, parfois subtiles. À Singapour, la liberté religieuse est protégée, en partie grâce à une séparation claire entre Église et politique : « Notre Église ne soutient aucun parti politique, mais se limite à parler des questions morales et sociales. » Il déplore qu’ailleurs, la confusion entre pouvoir politique et religion dominante (musulmane ou hindoue) nuise à la liberté religieuse.Enfin, concernant la mission du nouveau pape en Asie, le cardinal souligne : « En Asie, le christianisme est souvent une minorité, mais les communautés catholiques y sont très vivantes. » Une vitalité qu’il oppose à la routine spirituelle et aux infiltrations sectaires qui minent l’Amérique latine. Léon XIV, dit-il, devra donc veiller à un dialogue prudent et lucide avec les autres religions.
Et à ceux qui regrettent que le pape ne soit pas asiatique, le cardinal Goh répond avec fermeté : « Je ne vote pas pour un continent ou pour une culture. Je veux voter pour un pape véritablement inspiré par l’Esprit Saint. Une inspiration capable d’unir le monde et de marcher dans la vérité et dans l’amour. Et je crois que Léon XIV est cet homme. »
Rappelons que le cardinal William Goh Seng Chye est né le 25 juin 1957 à Singapour. Ordonné prêtre en 1985, il a poursuivi ses études à l’Université pontificale grégorienne à Rome avant de devenir recteur du séminaire de Singapour. Nommé archevêque coadjuteur en 2012 puis archevêque de Singapour en 2013, il a été créé cardinal par le pape François le 27 août 2022. Son titre cardinalice est celui de Santa Maria Regina Pacis in Ostia Mare.