L’annonce a provoqué une onde de choc parmi les défenseurs du patrimoine chrétien et les communautés arméniennes : la cathédrale de Surp Asdvadzadzin (Sainte Mère de Dieu), joyau médiéval de l’ancienne capitale arménienne d’Ani, située aujourd’hui en Turquie dans la province de Kars, serait sur le point d’être convertie en mosquée. Selon l’agence officielle Anadolu, le site rouvrira à la prière musulmane une fois les travaux de restauration achevés.
Le projet s’inscrit dans un programme de réhabilitation en trois phases, mené par le ministère turc de la Culture et du Tourisme, en collaboration avec le World Monuments Fund. La deuxième phase doit s’achever courant 2025. Muhammet Arslan, responsable des fouilles du site archéologique d’Ani, a confirmé que l’édifice serait utilisé comme mosquée après les restaurations.Construite entre 987 et 1010 sous le règne du roi arménien Smbat II et de la reine Katramida, l’église fut l’œuvre de l’architecte Trdat, connu pour avoir également restauré la coupole de Sainte-Sophie à Constantinople. Elle fut brièvement convertie en mosquée après la conquête de la ville par les Seldjoukides en 1064, avant de redevenir église sous la domination géorgiano-arménienne en 1199. Depuis, le bâtiment a subi de graves dommages, notamment lors des tremblements de terre de 1319 et de 1988.
Les autorités turques parlent systématiquement du bâtiment comme de la « mosquée Fethiye » (« mosquée de la conquête »), en référence à sa courte utilisation musulmane. Fait notable, les communiqués turcs omettent toute mention explicite de l’origine arménienne du monument, et ne citent Trdat qu’en évitant d’évoquer sa nationalité.Le député assyrien George Aslan, membre du Parti DEM (pro-kurde), a adressé une question écrite au ministre de la Culture, Mehmet Nuri Ersoy, s’interrogeant sur la véracité de ces informations et sur les justifications d’un tel changement, qui semble contraire, selon lui, au caractère multiculturel et multireligieux de la République turque.
Pour la communauté arménienne, cette décision serait une nouvelle blessure infligée à leur histoire et à leur mémoire. Le site The Armenian Report dénonce un acte d’« effacement culturel », une volonté de supprimer les traces du christianisme arménien en Anatolie orientale.
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Cette annonce intervient après les très controversées reconversions de Sainte-Sophie (2020) et de l’église Saint-Sauveur-in-Chora (2024) en mosquées, sous l’impulsion du président Recep Tayyip Erdogan. Ces gestes, perçus comme des marqueurs forts d’une réislamisation de l’espace public turc, sont dénoncés par de nombreux responsables chrétiens comme contraires à l’esprit de dialogue interreligieux. Le National Council of Churches of Christ in the USA avait déjà, à propos de Sainte-Sophie, parlé d’un « mépris pour la tolérance religieuse ».L’UNESCO, qui a inscrit le site d’Ani au patrimoine mondial en 2016, rappelle que l’ensemble architectural témoigne de manière exceptionnelle de la culture, de l’urbanisme et de l’art arméniens médiévaux. Officiellement, les autorités turques n’ont pas encore confirmé cette nouvelle affectation religieuse, certains suggérant que la terminologie historique turque pourrait avoir été mal interprétée.
Mais pour beaucoup, le doute n’est plus permis : la multiplication de ces reconversions semble répondre à une logique politique et idéologique. À l’heure où le patrimoine chrétien est de plus en plus fragilisé dans plusieurs régions du monde, la possible transformation de la cathédrale d’Ani constitue, pour de nombreux chrétiens, un nouveau signal inquiétant.