Série- LES GRANDS DOSSIERS ET SECRETS DU VATICAN
extrait de Bernard Lecomte.
Cette cérémonie grandiose, dont Benoît XV n’a décidément pas pu éviter les
débauches d’or et d’encens, est surréaliste. Car la Première Guerre mondiale,
déjà, ravage une partie de l’Europe, opposant entre elles des nations très
chrétiennes dans ce qui promet d’être une abominable boucherie.
Au moment même où commence la messe papale dans la chapelle Sixtine, à
la frontière franco-belge les armées allemandes du général von Moltke,
appliquant le plan Schlieffen, reprennent leur avancée en perpétrant massacres et
incendies.
Après Liège, Charleroi, Bruxelles, c’est la ville de Maubeuge qui, ce
jour-là, se rend à l’envahisseur. Un peu plus à l’est, la cathédrale de Reims essuie
ses premiers bombardements. A Paris, le général Gallieni mobilise les taxis
parisiens pour défendre le front à quelques dizaines de kilomètres de la capitale,
sur la Marne.
Depuis l’attentat de Sarajevo, le 28 juin, un engrenage maléfique a entraîné
le monde dans l’affrontement général. Le 23 juillet, l’Autriche-Hongrie,
encouragée par l’Allemagne, a défié la Serbie, alliée de la Russie tsariste. La
France, alliée de l’empire russe, a décrété la mobilisation générale. Le 4 août, les
armées allemandes ont pénétré en Belgique malgré sa neutralité, violant toutes
les règles internationales, et provoquant la mobilisation de l’Angleterre. Tous ces
pays possédant des colonies, le monde entier se trouve jeté dans les prémices
d’une tragédie effroyable et inédite.
A Rome, le pape Pie X a suivi, impuissant et désespéré, les préparatifs et le
déclenchement de la guerre. Plus d’une fois son secrétaire d’Etat, le cardinal
Merry del Val, l’a entendu s’écrier, en lisant le courrier et les télégrammes
diplomatiques du jour :
— Qu’est-ce que cela, à côté de ce qui vient ?
Le malheureux pontife, angoissé, en est tombé gravement malade. Lui qui
aurait tant voulu échapper aux tourments de la politique pour se consacrer aux
affaires pastorales et spirituelles ! Le 18 août, il a cessé de parler, comme pour
souligner son impuissance, avant d’entrer en agonie. Le 20 août, il a rendu l’âme
à Dieu. Ce n’est pas un hasard si le conclave, aussitôt réuni, a désigné le cardinal
Giacomo Della Chiesa, un diplomate aguerri, pour piloter la barque de l’Eglise
dans la tempête qui menace.
Aux premiers rangs de la Sixtine, où s’élèvent les superbes cantiques de la
messe du couronnement, siègent des cardinaux appartenant aux nations
belligérantes : von Hartman et Bettinger (Allemagne), Amette, Andrieu, Luçon
et Sevin (France), Mercier (Belgique), Gasquet (Angleterre), Csernoch, Hornig
et Skrbensky-Hriste (Autriche-Hongrie). Ils représentent des diocèses emportés
par la folie guerrière où des foules de malheureux sont en train de s’armer – de
mourir, parfois –, convaincus que Dieu est « de leur côté ». Déjà, en entrant au
conclave, le cardinal von Hartmann, archevêque de Cologne, avait glissé au
cardinal Mercier, archevêque de Malines :
— J’espère que nous ne parlerons pas de la guerre !
Le primat de Belgique, serrant les dents, avait rétorqué :
— J’espère que nous ne parlerons pas de la paix !
Neutre, l’Eglise ? Cela paraît impossible. Mais comment cette institution
mondiale, universelle par nature, pourrait-elle prendre parti pour tels ou tels de
ses enfants, même indisciplinés ?
L’Autriche-Hongrie, la France et l’Allemagne sont alors les trois plus grandes nations catholiques de la planète ! Dès le soir de
son élection, Della Chiesa, devenu Benoît XV, a proclamé la neutralité du Saint-
Siège. Son prédécesseur, Pie X, avait déjà fixé la ligne, début août, lorsque
l’ambassadeur d’Autriche-Hongrie, Hans von Schönburg-Hartenstein, avait
sollicité une audience pour lui demander de bénir les armées impériales. Le
vieux pape malade, indigné, s’était mis en colère :
— Le pape bénit la paix, monsieur, et seulement la paix !
L’ambassadeur était reparti piteux, la mine défaite, vers son palais de la
piazza Venezia. En se promettant de ne pas en rester là…