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La joie au cœur de la souffrance : le message brûlant de sainte Thérèse de Lisieux

Sainte Thérèse de Lisieux en août 1897, peu avant sa mort - DR
Sainte Thérèse de Lisieux en août 1897, peu avant sa mort - DR
Écrit dans la fragilité de sa maladie, ce texte révèle comment la carmélite savait accueillir la souffrance comme une occasion d’aimer davantage. À travers ses vers, elle nous livre une leçon encore actuelle pour ceux qui affrontent aujourd’hui la dureté de la vie

Au début de l’année 1897, Thérèse est déjà gravement atteinte par la tuberculose. Elle sait que ses forces déclinent et que ses jours sont comptés. Pourtant, loin de céder à la révolte ou à l’amertume, elle transforme son épreuve en offrande et choisit de voir dans chaque instant un signe de l’amour de Dieu. Ce poème est écrit à l’occasion de la fête de mère Agnès de Jésus (Pauline, sa sœur et prieure), mais il dépasse le cadre d’un simple hommage familial.Dans « Ma joie », Thérèse livre ce qu’elle appelle « toute son âme ». Elle ose dire qu’elle est « par trop heureuse », non parce qu’elle échappe à la souffrance, mais parce qu’elle la vit en union avec le Christ. Ce poème est donc une sorte de testament spirituel : il condense toute sa « petite voie », cet itinéraire d’humilité, de confiance et d’abandon qui marquera l’histoire de la spiritualité chrétienne.

« Ma joie » (PN 45, 21 janvier 1897)

« Il est des âmes sur la terre
Qui cherchent en vain le bonheur
Mais pour moi, c’est tout le contraire
La joie se trouve dans mon cœur
Cette joie n’est pas éphémère
Je la possède sans retour
Comme une rose printanière
Elle me sourit chaque jour.

Vraiment je suis par trop heureuse,
Je fais toujours ma volonté….
Pourrais-je n’être pas joyeuse
Et ne pas montrer ma gaîté ?…
Ma joie, c’est d’aimer la souffrance,
Je souris en versant des pleurs
J’accepte avec reconnaissance
Les épines mêlées aux fleurs.

Lorsque le Ciel bleu devient sombre
Et qu’il semble me délaisser,
Ma joie, c’est de rester dans l’ombre
De me cacher, de m’abaisser.
Ma joie, c’est la Volonté Sainte
De Jésus mon unique amour
Ainsi je vis sans nulle crainte
J’aime autant la nuit que le jour.

Ma joie, c’est de rester petite
Aussi quand je tombe en chemin
Je puis me relever bien vite
Et Jésus me prend par la main
Alors le comblant de caresses
Je Lui dis qu’Il est tout pour moi
Et je redouble de tendresses
Lorsqu’Il se dérobe à ma foi.

Si parfois je verse des larmes
Ma joie, c’est de les bien cacher
Oh ! que la souffrance a de charmes
Quand de fleurs on sait la voiler !
Je veux bien souffrir sans le dire
Pour que Jésus soit consolé
Ma joie, c’est de le voir sourire
Lorsque mon cœur est exilé….

Ma joie, c’est de lutter sans cesse
Afin d’enfanter des élus.
C’est le cœur brûlant de tendresse
De souvent redire à Jésus :
« Pour toi, mon Divin petit Frère
Je suis heureuse de souffrir
Ma seule joie sur cette terre
C’est de pouvoir te réjouir.»

« Longtemps encor je veux bien vivre
Seigneur, si c’est là ton désir
Dans le Ciel je voudrais te suivre
Si cela te faisait plaisir.
L’amour, ce feu de la Patrie
Ne cesse de me consumer
Que me font la mort ou la vie?
Jésus, ma joie, c’est de t’aimer! »

Ce texte résonne aujourd’hui avec une force particulière. Dans un monde où beaucoup fuient la douleur par la distraction, la consommation ou le découragement, Thérèse affirme qu’il est possible de trouver une joie plus profonde, même au cœur de la souffrance. Elle ne parle pas d’une joie légère ou superficielle, mais d’une joie enracinée dans l’amour, capable de traverser l’épreuve et de la transformer.Nos contemporains connaissent bien cette dureté de la vie : la solitude qui éteint l’espérance, la maladie qui ronge le corps et l’âme, l’exil imposé par la guerre, l’angoisse du lendemain pour ceux qui vivent dans la précarité, ou encore les blessures affectives qui laissent des cicatrices invisibles. Face à tout cela, les mots de Thérèse sont une provocation salutaire : « Ma joie, c’est d’aimer la souffrance ». Elle ne cherche pas la douleur pour elle-même, mais elle l’accueille comme une rencontre possible avec Dieu, une participation au mystère de la Croix.

En cela, Thérèse nous ouvre un chemin radicalement différent de la logique du monde. Là où l’on croit que le bonheur se trouve dans l’élimination de tout ce qui fait mal, elle montre que la joie véritable est ailleurs : dans l’union avec un amour plus grand que la mort.

C’est pourquoi son poème est plus qu’un texte pieux : il est une clé spirituelle et humaine. Il invite chacun à redécouvrir qu’il existe une joie qui ne dépend pas des circonstances mais du sens que l’on donne à ce que l’on vit. Même pour ceux qui ne partagent pas sa foi, l’attitude de Thérèse reste un témoignage lumineux de résilience, de courage et de liberté intérieure.Ainsi, à travers ses mots simples, la carmélite de Lisieux adresse à notre époque un appel brûlant : ne pas se laisser écraser par la dureté de l’existence, mais croire qu’au cœur même de la souffrance peut naître une joie qui transfigure tout.

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