Par Philippe Marie
Il suffit d’observer la galerie d’intervenants qui se succèdent dans La Croix pour comprendre la mécanique : théologiens “ouverts” qui préfèrent diluer la doctrine plutôt que l’expliquer, prêtres militants qui confondent volontiers la Croix et la faucille, écrivains en quête d’une “pensée chrétienne” sans dogme ni transcendance. Le tout baigne dans un lexique convenu où le mot “identité” est devenu l’insulte suprême.Pourtant, la définition du mot est limpide. Selon le dictionnaire, l’identité est “l’ensemble des données de fait et de droit qui permettent d’individualiser quelqu’un”. Autrement dit, elle désigne ce qui rend une personne singulière, reconnaissable, unique.
Comment prétendre être “inclusif” au nom du respect de chacun, si l’on refuse de respecter ce qui définit chaque être, chaque peuple, chaque histoire ? Comment parler de dignité humaine tout en niant ce qui façonne la personnalité des autres, surtout de ceux qui nous dérangent ?
La Croix s’est forgé une ligne bien claire : celle d’une foi dite « civilisée », désamorcée, parfaitement compatible avec l’esprit du temps et de ses dérives. L’éditorial de Loup Besmond de Senneville consacré au livre La messe n’est pas dite d’Éric Zemmour en offre une illustration éclatante. Tout en dénonçant la “politisation du catholicisme”, il en livre lui-même une lecture profondément idéologique, conforme à la grille morale et politique du journal.
Et pourtant, le propos de fond dépasse la personne d’Éric Zemmour. Celui-ci, sans renier sa judaïcité, reconnaît la merveille du message évangélique et la grandeur de l’héritage chrétien de la France. Que ce soit lui ou un autre importe peu : ce qu’il met en lumière, c’est la question, légitime et brûlante, du rapport entre la foi, la civilisation et l’identité. Répondre à cela par la caricature et le mépris est le signe d’un malaise plus profond.Un prêtre, qui préfère garder l’anonymat, confie d’ailleurs avec amertume : « Avec La Croix, l’Église n’a pas besoin d’ennemis. Tout ce qui ne rentre pas dans leur filtre idéologique est aussitôt frappé d’anathème. » Le mot est fort, mais juste. Car La Croix ne se contente plus de commenter l’Église, elle en définit désormais les contours du » catholiquement respectable ».
mais La Croix est bien mal placée pour s’ériger en arbitre du bon usage de la foi. À longueur de colonnes, le quotidien défend un catholicisme progressiste dans l’esprit, européiste dans la sensibilité et sociologiquement conforme aux valeurs dominantes. Le ton “équilibré” qu’il revendique n’est qu’un masque : celui d’une bienpensance religieuse qui se croit objective parce qu’elle a renoncé à tout ce qui dérange.La Croix condamne tout ce qui dépasse son cadre idéologique : un catholicisme enraciné dans la doctrine de l’Église devient “identitaire”, une défense de la foi et des valeurs chrétiennes devient suspecte politiquement. Pendant ce temps, le journal politise à sa manière et introduit lentement mais sûrement toutes les idéologies possibles et inimaginables qui n’ont plus rien à voir avec l’Évangile.
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Loup Besmond de Senneville reproche à Éric Zemmour de réduire le christianisme à une culture. Mais en niant tout lien entre foi et civilisation, La Croix défend une foi désincarnée, sans mémoire ni lieu, une foi hors-sol. Or le catholicisme, pour être universel, n’en est pas moins historique : il s’est enraciné dans des peuples, des langues et des terres.
Pierre et Paul ne sont pas partis pour Rio ni pour Abidjan, mais pour Rome : centre du monde antique, lieu d’où la catholicité s’est répandue. Oui, la foi se vit aujourd’hui dans les favelas et les villages d’Afrique, mais elle s’y vit différemment. Et c’est bien l’Europe, avec ses saints, ses moines et ses martyrs, qui a porté la lumière du Christ au monde et défini la doctrine chrétienne . Rappeler cette réalité n’est pas du nationalisme spirituel ; c’est reconnaître la source d’un rayonnement qui a changé l’histoire.
Effacer cet enracinement au nom d’un universalisme abstrait, c’est priver la foi de sa chair. L’Église n’est pas une idée : elle est une incarnation. L’ouverture chrétienne authentique n’est pas un renoncement à son histoire , c’est une radicalité d’amour : elle accueille sans se renier, elle dépasse toute loi et toute pensée humaine. Quand La Croix transforme cette universalité en simple humanisme, elle oublie que la miséricorde n’a de sens que si elle appelle à la conversion en Jésus Christ, et que la charité sans vérité n’est qu’une émotion du moment.
Le vrai catholicisme paralysé n’est pas celui d’Éric Zemmour ni de quelque personnalité politique que ce soit, mais celui d’un journal qui a troqué la foi catholique contre une idéologie morale, et la grandeur de l’Évangile contre un discours d’inclusivité biaisé. Sous prétexte d’évolution de la doctrine, La Croix pratique un véritable saccage intellectuel du message chrétien : elle réduit la Parole de Dieu à une éthique sociale, le mystère du salut à une convenance culturelle.
Cette paralysie est une reddition intellectuelle en tant que catholique. Et comme le disait une campagne du journal parue en 2016, “Notre indépendance s’achète” : une formule qui sonnait alors comme un slogan publicitaire pour l’achat en kiosque, mais qui résonne aujourd’hui comme l’aveu d’une soumission idéologique.
								

