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« L’avènement de technologies nouvelles nous expose à des dangers constants »: le pape Léon XIV avertit des dérives éthiques du monde numérique

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"Dans plusieurs pays, l’Église est victime de services de renseignement qui agissent à des fins mauvaises en opprimant sa liberté"

Lors de l’audience accordée aux membres du Système d’information pour la sécurité de la République italienne, le 12 décembre 2025, le pape Léon XIV a prononcé un discours de grande portée morale et politique, dans lequel il a voulu situer l’action des services de renseignement à l’intérieur de limites juridiques et éthiques clairement définies. À l’occasion du centenaire de la naissance du service italien de renseignement, le Saint-Père a reconnu la légitimité et la nécessité de cette mission, tout en mettant en garde contre ses dérives possibles dans un contexte marqué par la révolution numérique.

Dès le début de son intervention, Léon XIV salue un travail « qui requiert compétence, transparence et ensemble discrétion », soulignant la responsabilité grave qui incombe aux services de sécurité, celle de « surveiller constamment les dangers qui pourraient surgir dans la vie de la Nation, pour contribuer surtout à la sauvegarde de la paix ». Cette reconnaissance explicite inscrit le renseignement dans une logique de service du bien commun, et non de domination ou de contrôle arbitraire.Mais cette légitimation est immédiatement encadrée par une exigence morale fondamentale.

Le pape rappelle que « l’activité de sécurité ne doit jamais perdre de vue cette dimension fondatrice » qu’est « le respect de la dignité de la personne humaine ». Il reconnaît la difficulté de cet équilibre, affirmant que « dans certaines circonstances difficiles, lorsque le bien commun à poursuivre nous semble plus nécessaire que tout le reste, on peut courir le risque d’oublier cette exigence éthique ». En citant la Commission européenne pour la démocratie par le droit, il rappelle que « les agences de sécurité souvent doivent recueillir des informations sur les individus et, pour cela, elles portent fortement atteinte aux droits individuels », soulignant ainsi le danger structurel inhérent à ce type d’activité.

C’est pourquoi Léon XIV insiste sur la nécessité de limites claires. Il appelle à ce que les actions des services soient « toujours proportionnées par rapport au bien commun à poursuivre » et à ce que « la protection de la sécurité nationale garantisse toujours et en toute circonstance les droits des personnes, leur vie privée et familiale, la liberté de conscience et d’information, le droit à un procès équitable ». Le pape relie explicitement cette exigence à l’État de droit, demandant que les activités des services soient « disciplinées par les lois », « soumises au contrôle et à la vigilance de la magistrature » et accompagnées de « contrôles publics et transparents » des budgets.Le cœur le plus actuel du discours se situe toutefois dans la réflexion sur l’éthique de la communication. Constatant que « le monde des communications a profondément changé au cours des dernières décennies », le pape observe que « la révolution numérique fait désormais partie de notre vie ». C’est dans ce contexte qu’il prononce l’avertissement central de son intervention, « l’avènement de technologies nouvelles et toujours plus avancées nous offre de plus grandes possibilités mais, en même temps, nous expose à des dangers constants ».

Léon XIV énumère ces dangers avec précision, évoquant « la distinction entre la vérité et les fake news », « l’exposition indue de la vie privée », « la manipulation des plus fragiles », « la logique du chantage », ainsi que « l’incitation à la haine et à la violence ». Il met en garde avec fermeté contre l’usage abusif des informations réservées, affirmant qu’il faut veiller « afin que les informations confidentielles ne soient pas utilisées pour intimider, manipuler, faire du chantage, discréditer » des responsables politiques, des journalistes ou des acteurs de la société civile.

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Dans un passage particulièrement fort, le pape étend cette vigilance au domaine ecclésial, rappelant que « dans plusieurs pays, l’Église est victime de services de renseignement qui agissent à des fins mauvaises en opprimant sa liberté ». Cette affirmation donne à son discours une dimension universelle, montrant que la question de l’éthique du renseignement concerne aussi la liberté religieuse et la mission de l’Église dans le monde.Enfin, Léon XIV rend hommage à ceux qui ont payé de leur vie ce service discret, rappelant que leur dévouement « n’est peut-être pas confié aux titres des journaux, mais il est vivant dans les personnes qu’ils ont aidées et dans les crises qu’ils ont contribué à résoudre ». Il conclut en encourageant les agents à demeurer « solidement ancrés à ces principes juridiques et éthiques qui placent au-dessus de tout la dignité de la personne humaine ».

Par cette intervention, le pape Léon XIV ne propose ni naïveté sécuritaire ni méfiance idéologique, mais une vision exigeante dans laquelle la technologie, le renseignement et la puissance de l’information ne trouvent leur légitimité que dans le service de la vérité, de la paix et de la dignité humaine.

Texte intégral de l’intervention du pape Léon XIV

« Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
La paix soit avec vous !

Distinguées Autorités,
frères et sœurs !

Je suis heureux de vous accueillir en cette année du centenaire de la naissance du Service chargé de l’activité de renseignement en Italie. C’était en 1925 que fut institué le Service d’information militaire et que furent posées les bases pour construire un système plus coordonné et plus efficace, en vue de la protection de la sécurité de l’État.

Je désire avant tout exprimer mon appréciation pour le travail que vous accomplissez, un travail qui requiert compétence, transparence et, en même temps, discrétion. Il vous confie la grave responsabilité de surveiller constamment les dangers qui pourraient surgir dans la vie de la Nation, afin de contribuer avant tout à la sauvegarde de la paix. Il s’agit d’un travail exigeant qui, en raison aussi de sa nature confidentielle, court souvent le risque d’être instrumentalisé, mais qui revêt une grande importance pour percevoir à l’avance d’éventuels scénarios dangereux pour la vie de la société.

Au cours de ces cent années, beaucoup de choses ont changé, les capacités et les instruments se sont considérablement affinés, de même que les défis auxquels nos sociétés sont appelées à faire face se sont multipliés et diversifiés. À ce propos, je voudrais vous exhorter à accomplir votre travail, outre avec professionnalisme, également avec un regard éthique tenant compte d’au moins deux aspects incontournables : le respect de la dignité de la personne humaine et l’éthique de la communication.

Avant tout, le respect de la dignité de la personne humaine. L’activité de sécurité ne doit jamais perdre de vue cette dimension fondatrice et ne peut jamais manquer au respect de la dignité et des droits de chacun. Dans certaines circonstances difficiles, lorsque le bien commun à poursuivre nous semble plus nécessaire que tout le reste, on peut courir le risque d’oublier cette exigence éthique et, par conséquent, il n’est pas toujours facile de trouver un équilibre. Comme l’a affirmé la Commission européenne pour la démocratie par le droit, les agences de sécurité doivent souvent recueillir des informations sur les individus et, de ce fait, elles portent fortement atteinte aux droits individuels.

Il est donc nécessaire que des limites soient établies, selon le critère de la dignité de la personne, et que l’on reste vigilant face aux tentations auxquelles un travail comme le vôtre vous expose. Faites en sorte que vos actions soient toujours proportionnées par rapport au bien commun à poursuivre et que la protection de la sécurité nationale garantisse toujours et en toute circonstance les droits des personnes, leur vie privée et familiale, la liberté de conscience et d’information, le droit à un procès équitable. En ce sens, il convient que les activités des Services soient régies par des lois dûment promulguées et publiées, qu’elles soient soumises au contrôle et à la vigilance de la magistrature et que les budgets fassent l’objet de contrôles publics et transparents.

Le second aspect concerne l’éthique de la communication. Le monde des communications a profondément changé au cours des dernières décennies et, aujourd’hui, la révolution numérique fait tout simplement partie de notre vie et de notre manière d’échanger des informations et d’entrer en relation. En outre, l’avènement de technologies nouvelles et toujours plus avancées nous offre de plus grandes possibilités mais, en même temps, nous expose à des dangers constants. L’échange massif et continu d’informations exige de veiller avec une conscience critique sur certaines questions d’importance vitale : la distinction entre la vérité et les fake news, l’exposition indue de la vie privée, la manipulation des plus fragiles, la logique du chantage, l’incitation à la haine et à la violence.

Il convient de veiller avec rigueur afin que les informations confidentielles ne soient pas utilisées pour intimider, manipuler, faire du chantage, discréditer, au service de politiciens, de journalistes ou d’autres acteurs de la société civile. Tout cela vaut également pour le domaine ecclésial. En effet, dans plusieurs pays, l’Église est victime de services de renseignement qui agissent à des fins mauvaises en opprimant sa liberté. Ces risques doivent toujours être évalués et exigent une haute stature morale chez ceux qui se préparent à accomplir un travail comme le vôtre et chez ceux qui l’exercent depuis longtemps.

Je suis bien conscient du rôle délicat et de la responsabilité auxquels vous êtes appelés. À ce propos, je voudrais également rappeler vos collègues qui ont perdu la vie lors de missions délicates, accomplies dans des contextes difficiles. Leur dévouement n’est peut-être pas confié aux titres des journaux, mais il est vivant dans les personnes qu’ils ont aidées et dans les crises qu’ils ont contribué à résoudre.

Enfin, je voudrais exprimer ma reconnaissance pour les efforts des services de renseignement italiens également pour garantir la sécurité du Saint-Siège et de l’État de la Cité du Vatican. Et ici, je voudrais adresser une parole de gratitude pour la collaboration avec la Gendarmerie, avec le Vatican, avec le Saint-Siège, dans de nombreux services, où cette capacité et cette possibilité de servir les autres deviennent réellement une réalité grâce à la bonne collaboration avec vous.

Je vous encourage à poursuivre votre travail en visant toujours le bien commun, en apprenant à évaluer avec discernement et équilibre les diverses situations qui se présentent devant vous, et en demeurant solidement ancrés à ces principes juridiques et éthiques qui placent au-dessus de tout la dignité de la personne humaine.

Mesdames et Messieurs, je vous félicite pour le choix de vivre ensemble le Jubilé comme communauté de travail. La grâce de Dieu ne manquera pas de porter de bons fruits au niveau personnel et, par conséquent, également dans votre activité. Tel est mon vœu, que j’accompagne de la bénédiction apostolique pour vous et pour vos familles. Je souhaite à tous un joyeux Noël ! »

Source Vatican

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