L’initiative du cardinal Matteo Zuppi, archevêque de Bologne et président de la Conférence épiscopale italienne, relance le débat sur l’engagement politique de l’Église. Réuni avec trente et un maires de son territoire, il a lancé un parcours qui doit aboutir en juin 2026 à la signature d’un « Manifeste pour le bonheur public ».Issu de la Communauté de Sant’Egidio, le cardinal Zuppi, qui fêtera ses 70 ans le 10 octobre prochain, s’est progressivement imposé comme une figure influente de l’épiscopat italien. Ancien proche du pape François, il incarne une Église tournée vers le dialogue et l’ouverture, quitte à flirter avec le relativisme. Souvent qualifié de progressiste, il est apprécié pour sa proximité humaine mais critiqué pour son manque de clarté doctrinale et son penchant pour le compromis. Son projet de « bonheur public » illustre cette orientation : généreuse dans l’intention, mais risquant de confondre le bien commun avec une quête subjective de bien-être terrestre.
On se souvient de l’ancien premier ministre italien Romano Prodi, qui en 2006 promettait d’« organiser un peu de bonheur » aux Italiens. Ce « messianisme politique » s’était révélé illusoire. L’initiative actuelle, portée par un cardinal, court le même risque : vouloir donner au politique une mission qui dépasse ses capacités, au prix d’une confusion entre mission spirituelle et gestion des émotions collectives.
Rappelons que le cardinal Zuppi s’est déjà illustré par d’autres prises de position controversées. Au Giffoni Film Festival, il a évoqué positivement le concept de « famille queer », affirmant que l’essentiel était « de se vouloir du bien ». Une telle réduction du mariage chrétien à une simple relation d’affection, sans cadre sacramentel ni ouverture à la vie, contredit la doctrine constante de l’Église sur la famille comme institution divine.Il a également surpris par un message aux « frères et sœurs croyants dans l’islam » où il établissait un parallèle direct entre Carême et Ramadan. L’équation « Carême-Ramadan », en mettant sur le même plan le jeûne chrétien ordonné à la Résurrection du Christ et le jeûne musulman, a été jugée troublante. En gommant la singularité du Christ Sauveur, ce rapprochement interreligieux a semblé diluer l’identité chrétienne dans un relativisme spirituel.
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À cela s’ajoute son intervention au festival Repubblica delle idee, où il a laissé transparaître une nostalgie de François et une distance à l’égard du pape Léon XIV. Interrogé par le journaliste Francesco Merlo, qui déclarait : « Nous sommes ceux à qui François manque. Le nouveau pape ? Il est froid », le cardinal a répondu : « Oui, François nous manque à tous. » Pendant près de trois quarts d’heure, il multiplia les références aux thèmes chers à François, sans jamais citer le nom du nouveau pape. Ce silence en disait long sur le malaise d’un cardinal face à un pontificat plus sobre et enraciné dans la tradition.Le parcours de Son Éminence témoigne d’une volonté sincère de dialogue, mais aussi d’une Église qui risque la dispersion : accueillir indistinctement toutes les sensibilités sans condition sans exigence , même celles contraires à l’anthropologie chrétienne, au risque de fragiliser le témoignage évangélique.Le vrai défi reste celui-ci : comment concilier le souci d’améliorer la vie sur terre avec l’annonce de l’Évangile, qui oriente vers la béatitude éternelle ? Quand l’accent se déplace trop sur le bonheur terrestre, la promesse du Royaume de Dieu passe au second plan.
L’initiative du cardinal Zuppi illustre ainsi une tension de fond : jusqu’où un pasteur peut-il se faire homme politique et médiatique sans perdre de vue sa mission première, celle de conduire les âmes au salut ? Dans une société avide de solutions rapides et d’inclusion à tout prix, l’Église doit rappeler que le vrai bonheur ne se trouve pas dans une utopie terrestre, mais uniquement en Dieu, source de la véritable joie, qui s’accomplit dans l’espérance du ciel.