C’est une première depuis 1999 : le président algérien Abdelmadjid Tebboune sera reçu ce jeudi 24 juillet au Vatican par le pape Léon XIV. Une audience privée hautement symbolique, alors que le dernier président algérien à avoir rencontré un souverain pontife fut Abdelaziz Bouteflika. Cette visite intervient sur fond de tensions persistantes entre Alger et Paris, mais s’inscrit dans une volonté affirmée de renforcer les liens bilatéraux avec l’Italie, illustrée par le cinquième sommet intergouvernemental qui se tient à Rome.
Avant son entrée au Vatican, le président Tebboune aura déjà été reçu par le président italien Sergio Mattarella, ainsi que par la présidente du Conseil Giorgia Meloni. Cette dernière a salué la signature de plus de 40 accords de coopération, notamment dans l’énergie, les infrastructures et l’innovation, réaffirmant l’ambition italienne de devenir un hub énergétique pour l’Europe grâce au partenariat stratégique avec Alger.
Mais c’est la visite au pape Léon XIV, premier pontife issu de l’ordre de saint Augustin, qui donne à ce déplacement une portée spirituelle et mémorielle particulière. Né à Tagaste, actuelle Souk Ahras, et évêque d’Hippone, aujourd’hui Annaba, Augustin est l’une des figures majeures de la chrétienté. Il faut toutefois rappeler que l’Algérie contemporaine n’existait pas à son époque : cette région appartenait alors à la province romaine d’Afrique du Nord, un territoire profondément chrétien, doté de centaines de diocèses. Carthage, Cirta, Hippone furent des centres florissants de la pensée théologique latine, d’où émergèrent Tertullien, Cyprien, Augustin et bien d’autres.
Aujourd’hui, le contraste est saisissant. Alors que le président Tebboune pourrait inviter officiellement le pape à visiter l’Algérie, et que les deux pays projettent une candidature conjointe à l’UNESCO pour valoriser les sites augustiniens, l’actualité religieuse algérienne est marquée par une répression sans précédent des communautés chrétiennes, en particulier protestantes.Dans son index mondial 2025 publié en janvier dernier, l’ONG Portes Ouvertes a tiré la sonnette d’alarme : toutes les églises protestantes évangéliques du pays sont désormais fermées. Alors qu’il en restait encore quatre ouvertes en mai 2024, le gouvernement les a toutes contraintes à la fermeture. Il s’agissait de lieux fréquentés majoritairement par des Algériens convertis, désormais contraints à la clandestinité. L’ordonnance 06-03 de 2006 interdit en effet tout culte non-musulman dans un lieu non agréé, et criminalise toute action susceptible d’ébranler la foi d’un musulman. Si les quatre diocèses catholiques demeurent tolérés, les protestants sont désormais totalement réduits au silence.
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En mai 2024, la Cour d’appel de Tizi Ouzou a confirmé la condamnation à un an de prison ferme du pasteur Youssef Ourahmane, vice-président de l’Église protestante d’Algérie, pour avoir organisé une retraite spirituelle sur un site abritant une chapelle fermée par les autorités. Selon Portes Ouvertes, les 47 églises protestantes recensées dans le pays ne peuvent plus fonctionner, et les convertis, environ 60 000 évangéliques et 42 900 pentecôtistes, se réunissent désormais en secret. Une vingtaine de chrétiens sont actuellement poursuivis en justice.
Portes Ouvertes parle de la fin d’une exception dans la région, soulignant que l’Algérie était jusqu’à récemment le seul pays maghrébin où des convertis locaux pouvaient se rassembler librement. L’Église catholique, quant à elle, a vu son service humanitaire Caritas fermé en septembre 2022, après plus de soixante ans de présence.
L’Algérie figure à la 19e place du classement mondial des persécutions établi par Portes Ouvertes, et elle est inscrite depuis 2021 sur la liste de surveillance de la Commission américaine sur la liberté religieuse internationale. Le discours officiel, qui invoque l’ordre public ou la lutte contre les ingérences étrangères, ne masque pas la réalité d’une politique antichrétienne systémique.Dans ce contexte, la visite du président Tebboune au Vatican soulève une question essentielle : comment célébrer la mémoire d’un géant de la foi chrétienne, tout en maintenant dans l’ombre ceux qui, aujourd’hui encore, suivent le Christ dans cette même terre d’Afrique du Nord ? Le pape Léon XIV, fils spirituel de saint Augustin, osera-t-il porter leur voix devant celui qui dirige un pays où la foi chrétienne n’a plus droit de cité ?