Pour la première fois, le Mexique figure dans le rapport Liberté religieuse dans le monde 2025 publié par Aide à l’Église en Détresse (AED). Ce document tire un signal d’alarme : les communautés religieuses vivent une persécution croissante dans les zones où l’État a perdu le contrôle au profit du crime organisé. « Le crime organisé agit comme agent de persécution dans les zones où l’État est faible ou a perdu le contrôle », indique le rapport.Selon Marcela Szymanski, experte en liberté religieuse à l’AED, la mission de l’Église dérange directement les intérêts des cartels. « L’Église, avec son devoir de donner des opportunités et du réconfort à une population qui souffre de pauvreté et d’insécurité, offre des cours, des emplois, des refuges pour les femmes battues et pour les migrants. Mais sans le savoir, elle empiète sur les affaires des seigneurs du crime organisé », explique-t-elle . Ces œuvres de charité privent les mafias de leurs profits. « En 2024, il y a eu 2,1 millions de migrants interceptés à la frontière. Si la moitié d’entre eux n’a pas payé mille dollars aux cartels, c’est un milliard de dollars qu’ils ont perdu. Voilà pourquoi l’Église devient une cible. Elle leur vole leur clientèle, et c’est pour cela qu’on les tue », ajoute-t-elle.
Sur le terrain, la violence ne cesse d’augmenter. « Ils vont tuer le prêtre qui organise des cours pour les pauvres, là-haut dans la sierra. Les prêtres sont complètement sans défense », déplore Marcela Szymanski. Les dispositifs de protection internationaux se révèlent dérisoires. « On impose parfois des montres avec un bouton d’urgence à des prêtres menacés. Mais s’ils sont dans la montagne, on les tue avant que la police n’arrive », témoigne-t-elle. Le 24 octobre 2024, le Père Marcelo Pérez, défenseur des communautés indigènes de San Cristóbal de las Casas, a été assassiné. « Il portait l’une de ces montres, raconte Szymanski, mais quand l’aide est arrivée, il était déjà mort. » Même les évêques n’échappent pas à la terreur : « Six évêques ont essayé de servir de médiateurs entre les groupes pour qu’ils cessent de se battre pour le territoire, mais ils ont été enlevés », confie l’experte.
Face à cette vague de violence, certains responsables ont évoqué la possibilité de dialoguer avec les chefs criminels pour tenter d’obtenir des trêves locales. Mais la Conférence de l’épiscopat mexicain s’y oppose fermement.
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Une polémique a d’ailleurs éclaté après un atelier organisé par la Université pontificale du Mexique, destiné à renforcer les capacités de négociation des prêtres et agents pastoraux dans les zones de conflit. Les médias ont laissé entendre que l’Église formait ses prêtres à négocier avec les cartels, ce que la hiérarchie dément catégoriquement. « Peut-être que l’archevêque Garfias a cet intérêt de médiation, mais ce n’est pas la position officielle de l’Église », a précisé le théologien Jorge Atilano, coordinateur exécutif du Diálogo Nacional por la Paz.Ce Dialogue national pour la paix, lancé il y a trois ans, rassemble universités, mouvements sociaux et institutions religieuses pour échanger des expériences locales de réconciliation, sans jamais franchir la ligne rouge d’un dialogue avec les criminels. « Il ne s’agit pas de négocier avec les groupes délictueux, mais de renforcer la paix depuis le terrain », souligne Atilano. L’archevêque de Morelia, Mgr Carlos Garfias Merlos, a plaidé pour s’inspirer de l’expérience colombienne, mais la Conférence épiscopale a tenu à préciser qu’il s’agissait uniquement de médiation sociale, non de négociations avec les narcos. « Nous partageons des méthodologies locales, avec la police, les écoles, les universités, les municipalités. Nous avons déjà identifié 300 pratiques de paix à diffuser », a ajouté Atilano.
La question de la violence a également ravivé les tensions entre l’Église et l’État. En 2024, la hiérarchie catholique avait soumis un document pour la paix aux deux candidates présidentielles, dont Claudia Sheinbaum, aujourd’hui présidente, évoquant la militarisation du pays et la responsabilité de l’État face au crime. Sheinbaum a signé le texte, tout en exprimant son désaccord sur sa formulation. Depuis son arrivée au pouvoir, elle a cherché à resserrer les liens avec l’épiscopat, allant jusqu’à associer l’Église à sa campagne de désarmement civil, menée symboliquement dans la basilique de Guadalupe, sanctuaire le plus vénéré du pays.Selon Jorge Atilano, le dialogue avec le gouvernement actuel reste « fluide », avec des rencontres régulières avec la Secrétairerie de la Gouvernance et celle de la Sécurité publique pour la création de conseils de paix et de justice civique.
La mission de l’Église au Mexique est ancienne : défendre la vie, la dignité et la paix dans un pays où les armes ont remplacé la loi. Son engagement dans les villages isolés et les périphéries urbaines l’a placée en première ligne. En juin 2022, deux jésuites et un guide touristique ont été abattus dans une église de la Sierra Tarahumara, après avoir offert refuge à un homme traqué. Ce drame a marqué un tournant dans les relations entre le gouvernement et l’Église, dénonçant l’inaction du pouvoir face à la barbarie. « Pendant ce temps, disparaissent les ressources et les tribunaux vers lesquels on pourrait se tourner », rappelle Marcela Szymanski.Dans ce contexte de peur et d’impunité, l’Église mexicaine refuse de céder. Elle continue d’enseigner, de soigner, de prêcher la paix et de défendre la vérité, au prix du sang de ses prêtres. « Même si cela paraît petit, chaque geste de solidarité construit une muraille contre la peur », conclut Szymanski.


