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Léon XIV : « Migrants, missionnaires d’espérance » ? Une analogie avec le peuple d’Israël qui interroge le sens biblique de l’errance

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Ce parallèle, appuyé sur deux extraits des Psaumes, soulève de sérieuses interrogations, tant sur le plan biblique que sur les réalités culturelles, religieuses et sociales vécues aujourd’hui en Europe

Le message publié à l’occasion de la 111e Journée mondiale du migrant et du réfugié présente les migrants comme des témoins de l’espérance, capables d’insuffler une vitalité nouvelle aux sociétés occidentales. Le pape va jusqu’à écrire que « l’expérience itinérante du peuple d’Israël se renouvelle en eux ». Une telle déclaration ne peut être comprise sans rappeler ce que représente, dans la tradition biblique, cette errance fondatrice du peuple hébreu.

Dans l’Ancien Testament, le peuple d’Israël est libéré d’Égypte, conduit par Moïse, guidé par la nuée, nourri miraculeusement par la manne tombée du ciel, signe de la sollicitude de Dieu envers son peuple destiné à la terre promise. Cette manne à la fois nourriture terrestre et spirituelle faisait d’eux de vrais porteurs d’Espérance avec ce pain comme signe de l’amour divin.

Cette traversée du désert est encadrée par une promesse divine, rythmée par l’alliance, et habitée par une foi structurée guidée par la colonne de feu signe de la présence de Dieu. Le pape cite à ce sujet le Psaume 68, où l’on lit : « Ô Dieu, quand tu sortis à la face de ton peuple, quand tu foulas le désert, la terre trembla, les cieux mêmes fondirent en face de Dieu, en face de Dieu, le Dieu d’Israël. Tu répandis, ô Dieu, une pluie de largesses, ton héritage exténué, toi, tu l’affermis ; ta famille trouva un séjour, celui-là qu’en ta bonté, ô Dieu, tu préparais au pauvre » (Ps 68, 8-11).

Appliquer ces versets aux migrants d’aujourd’hui revient à conférer une dimension théologique à des déplacements qui relèvent souvent de situations de détresse, de violence, d’instabilité économique ou climatique. Il ne s’agit pas d’un peuple unique répondant à un appel de Dieu, mais de groupes très divers, souvent désorganisés, parfois instrumentalisés. Nombre de ces migrants ne fuient pas une Égypte symbolique pour atteindre une terre promise, mais tentent de survivre ou de saisir des opportunités dans des pays plus riches.Le pape cite également un second extrait, cette fois du Psaume 91, pour illustrer la confiance de ceux qui quittent leur terre dans la douleur : « C’est lui qui t’arrache au filet de l’oiseleur qui s’affaire à détruire, il te couvre de ses ailes, tu as sous son pennage un abri. Armure et bouclier, sa vérité. Tu ne craindras ni les terreurs de la nuit, ni la flèche qui vole de jour, ni la peste qui marche en la ténèbre, ni le fléau qui dévaste à midi » (Ps 91, 3-6).Ce psaume, souvent récité dans la tradition juive et chrétienne comme prière de protection, évoque un refuge spirituel face aux épreuves. Mais de nouveau, la transposition au phénomène migratoire contemporain pose problème et interroge.

Car il ne s’agit pas ici d’une communauté d’hommes et de femmes unie par une même foi affrontant l’adversité selon des plans voulus par Dieu Lui-même , mais de mouvements de populations sans lien avec la tradition biblique et simplement victimes de guerres et de la corruption de leur pays d’origine.Un point essentiel est d’ailleurs absent du message du pape : le fait que la majorité des migrants qui arrivent aujourd’hui en Europe sont originaires de pays à majorité musulmane. Il ne s’agit pas d’un jugement, mais d’un constat démographique largement documenté.

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Or cette donnée a des conséquences concrètes, dans la vie quotidienne des pays d’accueil. Les différences culturelles, éducatives, juridiques et religieuses sont réelles. Dans de nombreuses villes, l’installation durable de communautés issues de l’immigration récente a entraîné des tensions, des incompréhensions, et parfois des oppositions marquées. L’accueil ne peut faire abstraction de ces réalités.Présenter TOUS les migrants comme des « missionnaires d’espérance », porteurs d’un renouveau pour les sociétés occidentales, suppose que leur seule présence aurait une vertu régénératrice. Or, dans les faits, de nombreuses sociétés d’accueil sont confrontées à des défis importants en matière de cohésion sociale, de respect des libertés fondamentales, ou encore de transmission des valeurs. Des désaccords profonds peuvent surgir sur la place des femmes, la liberté religieuse, la laïcité ou l’autorité parentale. Il ne suffit pas d’invoquer une analogie biblique pour les résoudre.

On comprend l’intention du message pontifical : rappeler la dignité de chaque être humain, souligner l’espérance qu’incarne toute personne qui se relève dans l’épreuve. Mais cette intention généreuse ne peut s’exonérer d’un regard lucide sur les faits. Le peuple d’Israël n’était pas une somme d’individus isolés, fuyant la guerre. C’était un peuple guidé, ordonné, unifié dans une alliance voulue par Dieu. Il semble  » imprudent » de transposer cette image à une réalité contemporaine marquée par la dispersion, l’absence de cadre commun, et parfois même l’opposition aux cultures d’accueil.

Dans ce contexte, il faut saluer un passage du message pontifical qui apporte une distinction essentielle. Léon XIV écrit : « De manière particulière, les migrants et les réfugiés catholiques peuvent devenir aujourd’hui des missionnaires d’espérance dans les pays qui les accueillent, en poursuivant de nouveaux chemins de foi là où le message de Jésus-Christ n’est pas encore arrivé ou en engageant des dialogues interreligieux faits de quotidienneté et de recherche de valeurs communes. » Sur ce point, l’analyse est parfaitement fondée.

Ce n’est pas le fait d’être migrant qui constitue en soi une source d’espérance spirituelle, mais le fait d’être porteur de l’Évangile. C’est cette appartenance au Christ, vécue dans la fidélité à la foi catholique, qui permet à certains migrants d’apporter un véritable témoignage missionnaire.

Par leur prière, leur simplicité, leur joie de croire, les migrants catholiques peuvent réveiller des communautés endormies, raviver la ferveur dans des régions sécularisées, et rappeler que l’Église est universelle.

Cette réalité doit être encouragée, car elle rejoint la vocation même de l’Église. Mais c’est justement ce qui distingue ces migrants catholiques d’une majorité de migrants aujourd’hui accueillis en Europe, qui ne sont pas chrétiens, qui ne portent pas l’Évangile, et dont les références religieuses et culturelles peuvent être profondément différentes, voire opposées à celles des sociétés chrétiennes qui les reçoivent.

Il ne s’agit pas de nier l’importance de l’hospitalité, ni de fermer les yeux sur les tragédies humaines. Mais une réflexion équilibrée doit pouvoir tenir ensemble la compassion et le discernement, l’ouverture et la prudence. L’espérance ne se décrète pas, elle se construit. Et cela suppose que les sociétés qui accueillent, comme celles qui migrent, partagent a minima un horizon de sens et un langage commun.

Intégralité du Message du Saint-Père Léon XIV pour la 111e Journée mondiale du migrant et du réfugié

25.07.2025

“Migrants, missionnaires d’espérance”

« Chers frères et sœurs,

la 111e Journée Mondiale du Migrant et du Réfugié, que mon prédécesseur a voulu faire coïncider avec le Jubilé des migrants et du monde missionnaire, nous offre l’occasion de réfléchir sur le lien entre espérance, migration et mission.

Le contexte mondial actuel est tristement marqué par les guerres, les violences, les injustices et les phénomènes météorologiques extrêmes qui obligent des millions de personnes à quitter leur terre d’origine pour chercher refuge ailleurs. La tendance généralisée à ne se préoccuper que des intérêts de communautés restreintes constitue une menace grave pour le partage des responsabilités, la coopération multilatérale, la réalisation du bien commun et la solidarité mondiale au profit de toute la famille humaine. La perspective d’une nouvelle course aux armements et le développement de nouvelles armes, y compris nucléaires, le peu de considération accordée aux effets néfastes de la crise climatique actuelle et les profondes inégalités économiques rendent les défis présents et futurs de plus en plus difficiles.

Face aux théories de dévastation mondiale et aux scénarios effrayants, il est important que grandisse dans le cœur de chacun le désir d’espérer un avenir de dignité et de paix pour tous les êtres humains. Un tel avenir est une partie essentielle du projet de Dieu sur l’humanité et le reste de la création. Il s’agit de l’avenir messianique annoncé par les prophètes : « Des vieux et des vieilles s’assiéront encore sur les places de Jérusalem : chacun aura son bâton à la main, à cause du nombre de ses jours. Et les places de la ville seront remplies de petits garçons et de petites filles qui joueront sur les places. […] Car sa semence sera en paix : la vigne donnera son fruit, la terre donnera ses produits et le ciel donnera sa rosée » (Za 8, 4-5.12). Et cet avenir a déjà commencé, car il a été inauguré par Jésus-Christ (cf. Mc 1, 15 et Lc 17, 21) et nous croyons et espérons en sa pleine réalisation, car le Seigneur tient toujours ses promesses.

Le Catéchisme de l’Église catholique enseigne : « La vertu d’espérance répond à l’aspiration au bonheur placée par Dieu dans le cœur de tout homme; elle assume les espoirs qui inspirent les activités des hommes » (n° 1818). Et c’est certainement la recherche du bonheur – et la perspective de le trouver ailleurs – qui est l’une des principales motivations de la mobilité humaine contemporaine.

Ce lien entre migration et espérance se révèle clairement dans de nombreuses expériences migratoires de notre temps. Beaucoup de migrants, de réfugiés et de personnes déplacées sont des témoins privilégiés de l’espérance vécue au quotidien, à travers leur confiance en Dieu et leur endurance face à l’adversité, dans la perspective d’un avenir où ils entrevoient l’approche du bonheur, du développement humain intégral. L’expérience itinérante du peuple d’Israël se renouvelle en eux : « O Dieu, quand tu sortis à la face de ton peuple, quand tu foulas le désert, la terre trembla, les cieux mêmes fondirent en face de Dieu, en face de Dieu, le Dieu d’Israël. Tu répandis, ô Dieu, une pluie de largesses, ton héritage exténué, toi, tu l’affermis ; ta famille trouva un séjour, celui-là qu’en ta bonté, ô Dieu, tu préparais au pauvre » (Ps 68, 8-11).

Dans un monde assombri par les guerres et les injustices, même là où tout semble perdu, les migrants et les réfugiés se dressent comme des messagers d’espérance. Leur courage et leur ténacité sont le témoignage héroïque d’une foi qui voit au-delà de ce que nos yeux peuvent voir, et leur donne la force de défier la mort sur les différentes routes migratoires contemporaines. On peut également trouver ici une analogie évidente avec l’expérience du peuple d’Israël errant dans le désert, qui affronte tous les dangers avec confiance dans la protection du Seigneur : « C’est lui qui t’arrache au filet de l’oiseleur qui s’affaire à détruire; il te couvre de ses ailes, tu as sous son pennage un abri. Armure et bouclier, sa vérité. Tu ne craindras ni les terreurs de la nuit, ni la flèche qui vole de jour, ni la peste qui marche en la ténèbre, ni le fléau qui dévaste à midi » (Ps 91, 3-6).

Les migrants et les réfugiés rappellent à l’Église sa dimension pèlerine, perpétuellement tendue vers l’atteinte de la patrie définitive, soutenue par une espérance qui est une vertu théologale. Chaque fois que l’Église cède à la tentation de la “sédentarisation” et cesse d’être civitas peregrina – peuple de Dieu en pèlerinage vers la patrie céleste (cf. Augustin, De civitate Dei, Livre XIV-XVI), elle cesse d’être “dans le monde” et devient “du monde” (cf. Jn 15, 19). Cette tentation était déjà présente dans les premières communautés chrétiennes, à tel point que l’apôtre Paul doit rappeler à l’Église de Philippes que « notre cité se trouve dans les cieux, d’où nous attendons ardemment, comme sauveur, le Seigneur Jésus Christ, qui transfigurera notre corps de misère pour le conformer à son corps de gloire, avec cette force qu’il a de pouvoir même se soumettre toutes choses » (Ph 3, 20-21).

Dans ce contexte, il faut saluer un passage du message pontifical qui apporte une distinction essentielle. Léon XIV écrit : « De manière particulière, les migrants et les réfugiés catholiques peuvent devenir aujourd’hui des missionnaires d’espérance dans les pays qui les accueillent, en poursuivant de nouveaux chemins de foi là où le message de Jésus-Christ n’est pas encore arrivé ou en engageant des dialogues interreligieux faits de quotidienneté et de recherche de valeurs communes. » Sur ce point, l’analyse est parfaitement fondée. Ce n’est pas le fait d’être migrant qui constitue en soi une source d’espérance spirituelle, mais le fait d’être porteur de l’Évangile. C’est cette appartenance au Christ, vécue dans la fidélité à la foi catholique, qui permet à certains migrants d’apporter un véritable témoignage missionnaire. Par leur prière, leur simplicité, leur joie de croire, les migrants catholiques peuvent réveiller des communautés endormies, raviver la ferveur dans des régions sécularisées, et rappeler que l’Église est universelle. Cette réalité doit être encouragée, car elle rejoint la vocation même de l’Église. Mais c’est justement ce qui distingue ces migrants catholiques d’une majorité de migrants aujourd’hui accueillis en Europe, qui ne sont pas chrétiens, qui ne portent pas l’Évangile, et dont les références religieuses et culturelles peuvent être profondément différentes, voire opposées à celles des sociétés chrétiennes qui les reçoivent.

Le premier élément de l’évangélisation, comme le soulignait saint Paul VI, est généralement le témoignage : « tous les chrétiens sont appelés et peuvent être, sous cet aspect, de véritables évangélisateurs. Nous pensons spécialement à la responsabilité qui revient aux migrants dans les pays qui les reçoivent » (Evangelii nuntiandi, n. 21). Il s’agit d’une véritable missio migrantium – mission réalisée par les migrants – pour laquelle une préparation adéquate et un soutien continu, fruits d’une coopération inter-ecclésiale efficace, doivent être assurés.D’autre part, les communautés qui les accueillent peuvent également être un témoignage vivant d’espérance. Espérance comprise comme promesse d’un présent et d’un avenir où la dignité de tous en tant qu’enfants de Dieu est reconnue. Ainsi, les migrants et les réfugiés sont reconnus comme des frères et sœurs, membres d’une famille où ils peuvent exprimer leurs talents et participer pleinement à la vie communautaire.

À l’occasion de cette journée jubilaire où l’Église prie pour tous les migrants et les réfugiés, je voudrais confier tous ceux qui sont en chemin, ainsi que ceux qui se dépensent pour les accompagner, à la protection maternelle de la Vierge Marie, réconfort des migrants, afin qu’elle garde vivante dans leur cœur l’espérance et les soutienne dans leur engagement à construire un monde qui ressemble toujours plus au Royaume de Dieu, la véritable patrie qui nous attend à la fin de notre voyage.

Du Vatican, le 25 juillet 2025, fête de saint Jacques Apôtre « 

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