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Les limites d’une compassion mal ordonnée et instrumentalisée :Réponse à Monseigneur de Kerimel

Monseigneur de Kerimel - DR
Monseigneur de Kerimel - DR
Dans un communiqué daté du 10 juillet 2025, l’archevêque de Toulouse tente de justifier la nomination du Père Dominique Spina. Loin d’un simple élan de miséricorde, cette décision révèle une instrumentalisation de la compassion pour faire accepter une nomination profondément inappropriée, au mépris du bon sens, du droit canonique et de la mémoire des victimes

Par Philippe Marie

La compassion, du latin cum patior, « je souffre avec », et du grec sym patheia, « sympathie », désigne ce mouvement par lequel on se rend solidaire de la souffrance d’autrui, poussé par l’amour, la morale ou la justice. Dans l’Évangile, elle est toujours orientée vers les plus vulnérables. C’est pourquoi il est si troublant de voir Monseigneur Guy de Kerimel faire un usage stratégique de cette notion pour justifier la réintégration d’un prêtre condamné pour viol à un poste canonique de responsabilité.

Le communiqué du 10 juillet n’est pas une confusion entre pardon et gouvernance, c’est une rhétorique maîtrisée qui vise à faire passer une décision profondément discutable sous couvert de miséricorde. Il ne s’agit pas ici d’un élan du cœur, mais d’un raisonnement orienté, qui cherche à faire admettre une mesure inacceptable sous l’apparence de la bonté évangélique.

Le Père Dominique Spina a été reconnu coupable de viol. Il a été condamné par la justice civile, a purgé sa peine, et n’a pas été renvoyé de l’état clérical. Monseigneur de Kerimel reconnaît qu’il s’agit d’un crime grave. Mais c’est précisément ce qui rend la décision si choquante. Car au lieu d’écarter prudemment un homme au passé aussi lourd des responsabilités visibles, l’archevêque choisit de le promouvoir à la chancellerie, c’est-à-dire au cœur même de l’administration diocésaine.Le poste de chancelier, contrairement à ce qu’il tente de faire croire, n’est pas un simple travail d’archives. Le Code de droit canonique, au canon 482, exige qu’il soit « de réputation intègre et au-dessus de tout soupçon ». Cette exigence ne relève pas d’un formalisme rigide, elle est fondée sur la nécessité de confiance entre les fidèles et leurs pasteurs. Dans le contexte actuel, et au regard des nombreux scandales qui ont frappé l’Église de France, ce critère devrait être plus que jamais scrupuleusement respecté.

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Au lieu de cela, Monseigneur de Kerimel choisit d’invoquer la miséricorde, la conversion, et la fidélité au Christ pour justifier ce choix. Il cite le pape François, évoque des passages de l’Évangile, et appelle les fidèles à « ne pas céder à l’émotion ». Mais ce recours constant à la miséricorde n’est pas un signe de charité, c’est une instrumentalisation du langage spirituel pour défendre une décision de gouvernance. Il ne s’agit pas ici d’un accompagnement personnel du Père Spina, mais d’un acte public qui engage toute la communauté diocésaine. La miséricorde ne justifie pas tout, et certainement pas la désignation à une fonction canonique d’un homme condamné pour viol.Le pardon, bien sûr, est un élément fondamental de la foi chrétienne. La possibilité de conversion, également. Mais le pardon ne signifie pas l’effacement des conséquences. Il est parfaitement légitime de croire à la sincérité du repentir du Père Spina. Ce qui ne l’est pas, c’est de lui confier une charge qui exige une exemplarité morale publique. Il y a mille autres formes d’engagement possibles dans l’Église pour un prêtre pénitent, mais pas celui d’être le gardien des actes juridiques et sacramentels du diocèse.

Le communiqué affirme que l’archevêque « pleure avec les victimes », mais ces paroles sont contredites par le reste du texte. Monseigneur de Kerimel passe la majorité de son message à défendre le parcours et la personnalité du prêtre condamné, à minimiser la nature du poste, à blâmer la réaction des fidèles. Il invite à « ne pas juger », alors que l’Église devrait précisément faire preuve de lucidité, de prudence, et de responsabilité dans de tels dossiers.Le plus grave est peut-être ici : au moment même où l’Église de France tente de sortir de décennies d’aveuglement, en reconnaissant les fautes, en accueillant la parole des victimes, en posant des actes de réparation, cette nomination vient semer le doute sur la sincérité de cet engagement. À l’heure où la Conférence des évêques de France vient de révéler l’existence de nouvelles victimes mineures de l’abbé Pierre, cette décision de Monseigneur de Kerimel vient entacher la volonté affichée de faire toute la clarté sur les errements des prêtres et religieux de l’Église, et de vraiment en tirer toutes les conséquences.

Non, Monseigneur, la compassion ne consiste pas à réhabiliter un homme condamné à une fonction canonique. Elle consiste d’abord à se tenir du côté de ceux qui ont souffert, sans condition ni détour. Ce n’est pas manquer de miséricorde que de refuser l’instrumentalisation de celle-ci. C’est au contraire l’honorer, en vérité.

Communiqué de Mgr Guy de Kerimel, archevêque de Toulouse, 10 juillet 2025

« Je souhaite revenir sur la nomination du chancelier du diocèse de Toulouse, car certaines personnes, touchées par cette nomination, réagissent avec émotion. Le chancelier est un homme de l’ombre, travaillant à l’archivage des actes de l’évêché. Cela ne peut en aucune manière être compris comme une promotion. Le père Dominique Spina exerçait déjà cette responsabilité depuis plusieurs années. Il a été jugé, condamné, incarcéré. Le viol est un crime. Il ne s’agit aucunement de le relativiser.

Le père Dominique Spina a purgé sa peine. Il a fait un chemin de conversion. Il a été réintégré dans le ministère presbytéral, sans responsabilité pastorale et sans contact avec les jeunes. Il exerce un service discret et essentiel à la vie du diocèse. Cette situation n’est pas unique, plusieurs diocèses ont fait des choix similaires.

L’Église croit à la conversion, au pardon, à la miséricorde. Le pape François ne cesse de le rappeler : « Dieu est Miséricorde. » La justice n’est pas incompatible avec la miséricorde. La conversion d’une personne est possible. Elle ne signifie pas l’oubli du passé, mais la possibilité d’un avenir renouvelé.

Le chancelier a un rôle technique. Son intégrité morale est nécessaire, mais il ne s’agit pas d’une fonction d’autorité ou de représentation. Le droit canonique demande que le chancelier soit « de réputation intègre et au-dessus de tout soupçon ». Cette phrase, souvent citée, ne doit pas être sortie de son contexte. Elle exprime l’exigence de probité dans la gestion des actes officiels.

Je reçois personnellement de nombreuses victimes, et je pleure avec elles. Je comprends que cette nomination puisse heurter. Mais elle s’inscrit dans un cadre juridique, pastoral et spirituel mûrement réfléchi. Le Christ est venu pour les pécheurs. Il ne les condamne pas définitivement, il les relève.

Je demande aux fidèles du diocèse de Toulouse de ne pas céder à l’émotion, de faire confiance, et de porter dans la prière tous ceux qui souffrent, qu’ils soient victimes ou pécheurs repentis. La vérité rend libre, et la miséricorde, lorsqu’elle est vécue dans la vérité, ouvre un chemin de paix.« 

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