Le texte est une Lettre apostolique du pape Léon XIV, datée du 8 décembre 2025, publiée à l’occasion du 60e anniversaire de deux décrets majeurs du Concile Vatican II, Optatam totius sur la formation sacerdotale, et Presbyterorum Ordinis sur le ministère et la vie des prêtres. Autrement dit, il s’agit d’un acte magistériel de portée pastorale, qui entend réactiver une mémoire conciliaire souvent citée, parfois mal comprise, et surtout orienter l’avenir du sacerdoce dans un contexte ecclésial marqué à la fois par la crise des abus, l’érosion des vocations, la solitude de nombreux prêtres, et l’approfondissement contemporain de la synodalité.Dès l’incipit, Léon XIV donne la clef herméneutique. « Une fidélité qui génère l’avenir », écrit-il, en reliant la persévérance apostolique au discernement de demain. Le pape ne propose pas une nostalgie, il propose une méthode, relire Vatican II non comme un musée, mais comme une semence.
Le passage le plus percutant, presque programmatique, survient très vite, et il mérite sa place au centre de la lecture. « Nous ne célébrons pas un anniversaire de papier ! » (n. 2). La formule est journalistiquement efficace, mais surtout théologiquement précise. Léon XIV refuse une commémoration purement documentaire, il écarte l’idée d’un Concile réduit à des archives. À la place, il insiste sur l’Église comme Peuple de Dieu en pèlerinage, et sur la vigueur durable des deux décrets, « une pierre milliaire de la réflexion » sur le ministère et la formation (n. 2).Cette ligne est conservatrice au sens noble du terme, conserver la sève, pas les vitrines. Le pape invite à « poursuivre la lecture » et « leur étude, dans les séminaires en particulier » (n. 2). Ce n’est pas une consigne abstraite, c’est une stratégie, l’avenir du sacerdoce passe par une intelligence de l’identité sacerdotale, non par des ajustements de surface.
Léon XIV définit la fidélité avec une double épaisseur, don de Dieu et chemin exigeant. Il annonce vouloir relire l’identité du ministère ordonné « à travers le prisme de la fidélité, qui est à la fois grâce de Dieu et chemin constant de conversion » (n. 4). L’expression est décisive, car elle corrige deux dérives opposées.
D’un côté, une fidélité réduite à la conservation défensive, une immobilité. Le pape la rejette explicitement, « la fidélité à l’appel n’est donc pas une immobilité ou une fermeture » (n. 8). De l’autre, une fidélité réduite à la performance, une agitation qui se justifie par l’activisme, et qui finit par perdre son âme.Le texte souligne que tout commence avant l’action. « Avant tout engagement, avant tout service, il y a la voix du Maître qui appelle : “Viens et suis-moi” » (n. 5). Cette antériorité est le noyau spirituel du document. Léon XIV ne nie pas les responsabilités pastorales, mais il les subordonne à la relation au Christ. Il rappelle que l’unité intérieure avec le Seigneur est « fondamentale et incontournable dans la vie apostolique » (n. 5). Ici, le pape tranche avec douceur mais fermeté, la crise du ministère n’est pas seulement organisationnelle, elle est aussi une crise d’unification intérieure.
Le texte bascule ensuite vers l’une de ses préoccupations les plus concrètes, la formation continue. Léon XIV cite l’intuition conciliaire, la formation « ne s’arrête pas au temps du séminaire » (n. 7). Ce point mérite d’être commenté, car il touche un nerf pastoral.Le pape ne décrit pas la formation permanente comme une simple mise à jour technique, il insiste, « avant d’être un effort intellectuel ou une mise à jour pastorale, la formation permanente reste une mémoire vivante » (n. 8). La formule a une portée spirituelle. Il ne s’agit pas seulement d’outiller le prêtre, il s’agit de protéger la source de son “oui”.
C’est aussi dans cette partie que Léon XIV regarde en face les blessures contemporaines. Il évoque la « crise de confiance dans l’Église provoquée par les abus » (n. 10), « honte » et appel à l’humilité. Le pape ne s’en sert pas comme d’un thème, mais comme d’un critère. Il en déduit l’urgence d’une formation intégrale, capable d’assurer « la croissance et la maturité humaine » et une « vie spirituelle riche et solide » (n. 10). Cette articulation est importante, car elle refuse deux simplifications, réduire la crise à une question disciplinaire seulement, ou la réduire à une question psychologique seulement. Le texte assume que la sainteté sacerdotale n’est pas une décoration, elle est une protection pour le peuple.
Le document aborde également la réalité des départs du ministère, « cette douloureuse réalité » (n. 11). Léon XIV demande de ne pas la lire « uniquement sous l’angle juridique », mais avec « attention et compassion » (n. 11). Là encore, il y a un conservatisme pastoral, tenir la doctrine, sans perdre la charité concrète, et chercher dans la formation un remède de fond.
Un des passages les plus forts, parce qu’il engage la personne entière, est celui qui décrit le séminaire. « Le séminaire… devrait être une école des affections » (n. 12). Léon XIV ne fait pas de poésie, il pose un diagnostic, sans conversion des désirs, des peurs, des motivations, la formation risque de produire des profils fonctionnels mais fragiles.
Il appelle les séminaristes à ce travail intérieur, « Rien en vous ne doit être écarté, en effet, tout doit être assumé et transfiguré » (n. 12). Le vocabulaire est traditionnel, transfigurer, pas simplement gérer. Et la finalité est explicitement pastorale, former des prêtres “ponts” et non obstacles, « des “ponts” et non des obstacles à la rencontre avec le Christ » (n. 12). Ici, l’ecclésiologie rejoint la morale, la fécondité missionnaire dépend d’une intégration humaine et spirituelle.Le texte relie enfin cette maturité à la crédibilité, « Seuls… humainement mûres et spirituellement solides… peuvent assumer l’engagement du célibat et annoncer de manière crédible l’Évangile » (n. 12). L’affirmation est nette, et elle évite un angélisme dangereux. Le pape ne dit pas que le prêtre doit être parfait, il dit qu’il doit être unifié, capable de relations authentiques. La note est prudente, et profondément pastorale.
Lire aussi
Léon XIV insiste ensuite sur une dimension que beaucoup évoquent, mais que peu structurent. Il affirme que la fraternité presbytérale est « un don inhérent à la grâce de l’ordination » (n. 14). Cette phrase déplace le débat, il ne s’agit pas d’un supplément optionnel pour prêtres sociables, c’est une donnée sacramentelle à accueillir et à faire fructifier.
Le pape met en garde contre « la tentation de l’individualisme » (n. 15). Et il martèle une évidence oubliée, « aucun pasteur n’existe seul » (n. 15). Puis il nomme des réalités très concrètes, la péréquation économique entre paroisses pauvres et riches, la prévoyance maladie et vieillesse, l’attention aux prêtres isolés (n. 16). Ce réalisme est significatif. Léon XIV ne spiritualise pas la fraternité, il la traduit en devoirs de justice et d’organisation. On peut lire là une volonté de protéger le ministère contre l’usure silencieuse qui abîme les âmes.Dans les contextes occidentaux, il décrit l’effet de la mobilité et de la fragmentation sociale, la solitude peut « éteindre l’élan apostolique » et provoquer « un triste repli sur soi » (n. 17). D’où son souhait de promouvoir « des formes possibles de vie commune » pour que les prêtres puissent « éviter les dangers que peut entraîner la solitude » (n. 17). C’est une proposition simple, presque ancienne, mais qui redevient prophétique dans un clergé dispersé.
La section sur la synodalité est l’une des plus sensibles, car elle peut prêter à malentendus. Le pape y avance sur une ligne de crête. Il rappelle trois coordonnées de l’identité sacerdotale, la relation à l’évêque, la fraternité sacerdotale, la relation aux laïcs, avec l’appel à discerner « les charismes des laïcs » (n. 20).
Puis, il pose une exigence de style. Les prêtres sont appelés à « une attitude de proximité, d’accueil et d’écoute » et à « s’ouvrant à un style synodal » (n. 22). Le point décisif est le refus d’un modèle de « leadership exclusif » qui centralise tout sur le prêtre (n. 22). Léon XIV ne relativise pas la potestas sacramentelle, il corrige la confusion entre pouvoir et grâce, en s’appuyant sur Evangelii gaudium, « la configuration… n’entraîne pas une exaltation qui le place au-dessus de tout le reste » (n. 22).Pour une lecture catholique conservatrice, l’intérêt est clair, le pape ne propose pas une dilution du sacerdoce, il propose une purification de son exercice. Il veut une autorité sacerdotale plus lisible parce que plus évangélique, plus paternelle parce que moins autoréférentielle.La mission est présentée comme un antidote à l’introspection stérile. Léon XIV cite une formule incisive, « sors de toi-même » (n. 23), et avertit, « Si tu ne sors pas de toi-même, l’huile devient rance » (n. 23). Le choix de l’image est fort, l’onction est faite pour être donnée. Cela ne signifie pas faire plus, cela signifie aimer plus justement.
Le pape identifie ensuite deux tentations typiques du présent. D’abord l’obsession d’efficacité, « la valeur… se mesure à ses performances » (n. 24), ensuite le repli défaitiste, une forme de « quiétisme » (n. 24). Entre ces deux pièges, Léon XIV propose une unification, la charité pastorale, avec saint Jean-Paul II, comme principe d’équilibre et de discernement (n. 24).L’un des passages les plus utiles pour notre époque médiatique est celui-ci, « l’exposition médiatique, l’utilisation des réseaux sociaux… doivent toujours être évalués avec sagesse » (n. 25). Le pape ne diabolise pas, il soumet aux critères de l’évangélisation, et il rappelle une règle évangélique de sobriété, « Tout m’est permis mais tout n’est pas bon » (n. 25). Cette phrase, appliquée au monde numérique, sonne comme une prudence paternelle, et comme une défense de la dignité sacerdotale contre la tentation de se mettre en scène.
Cette Lettre apostolique ne cherche pas à réinventer le sacerdoce, elle cherche à le rendre à sa source, pour qu’il soit à nouveau lisible, aimable, et missionnaire.
En répétant que la fidélité « génère l’avenir », Léon XIV rappelle au clergé et au peuple chrétien que l’avenir n’est pas d’abord une question de structures, mais d’âmes, et que la fécondité dépend d’une conversion régulière, humble, concrète.
Le pape parle d’une « Pentecôte vocationnelle renouvelée » (n. 27). Le mot n’est pas décoratif. Il signifie que la crise des vocations ne se résoudra pas par la nostalgie ni par l’innovation perpétuelle, mais par un retour persévérant à la sainteté ordinaire, celle qui unit prière, formation, fraternité, et service des pauvres. Et il ajoute, avec réalisme, qu’il faut des « propositions fortes et libératrices » faites aux jeunes (n. 28), c’est-à-dire une parole claire sur la grandeur du don, et une vie sacerdotale suffisamment évangélique pour que ce don paraisse désirable.
Enfin, la dernière citation, empruntée au Curé d’Ars, donne au document une tonalité simple et brûlante, « Le sacerdoce, c’est l’amour du cœur de Jésus » (n. 29). On peut y lire l’ultime critère. Si le prêtre, demain, est davantage un homme de communion que de performance, davantage un frère qu’un isolé, davantage un serviteur qu’un gestionnaire anxieux, alors la fidélité aura réellement « généré l’avenir ». Et l’Église pourra offrir au monde non un discours de plus, mais un signe visible, discret, obstiné, celui d’un amour eucharistique qui, selon les mots mêmes de Léon XIV, « dissipe les nuages de l’habitude, du découragement et de la solitude ».
LETTRE APOSTOLIQUE
UNE FIDÉLITÉ QUI GÉNÈRE L’AVENIR
DE SA SAINTETÉ LE PAPE LÉON XIV
À L’OCCASION DU 60e ANNIVERSAIRE
DES DÉCRETS CONCILIAIRES
OPTATAM TOTIUS ET PRESBYTERORUM ORDINIS
1. Une fidélité qui génère l’avenir, voilà ce à quoi les prêtres sont appelés aujourd’hui encore, conscients que persévérer dans la mission apostolique nous offre la possibilité de nous interroger sur l’avenir du ministère et d’aider les autres à ressentir la joie de la vocation sacerdotale. Le 60e anniversaire du Concile Vatican II, en cette année jubilaire, nous donne l’occasion de contempler à nouveau le don de cette fidélité féconde, en rappelant les enseignements des Décrets Optatam totius et Presbyterorum Ordinis promulgués respectivement le 28 octobre et le 7 décembre 1965. Il s’agit de deux textes nés d’un unique élan de l’Église qui se sent appelée à être signe et instrument d’unité pour tous les peuples, et interpellée à se renouveler, consciente que « le renouveau de l’Église entière, souhaité par tous, dépend pour une grande part du ministère des prêtres animé par l’Esprit du Christ ».[1]
2. Nous ne célébrons pas un anniversaire de papier ! En effet, ces deux documents sont solidement fondés sur la compréhension de l’Église comme Peuple de Dieu en pèlerinage dans l’histoire et ils constituent une pierre milliaire de la réflexion sur la nature et la mission du ministère pastoral, et sur la préparation à celui-ci, et ils conservent au fil du temps une grande fraîcheur et une grande actualité. J’invite donc à en poursuivre la lecture au sein des communautés chrétiennes, et leur étude, dans les séminaires en particulier et dans tous les lieux de préparation et de formation au ministère ordonné.
3. Dans les Décrets Optatam totius et Presbyterorum Ordinis, bien insérés dans la Tradition doctrinale de l’Église sur le sacrement de l’Ordre, le Concile a attiré l’attention sur le sacerdoce ministériel et a fait émerger le souci des prêtres. L’intention était d’élaborer les conditions nécessaires à la formation des futures générations de prêtres selon le renouveau promu par le Concile, en conservant fermement l’identité ministérielle et en mettant en évidence de nouvelles perspectives qui intègrent la réflexion précédente, dans une optique de sain développement doctrinal.[2] Il faut donc en faire la mémoire vivante, en répondant à l’appel à saisir le mandat que ces décrets ont confié à toute l’Église : redynamiser sans cesse et chaque jour le ministère des prêtres, en puisant des forces de sa racine qui est le lien entre le Christ et l’Église, pour qu’ils soient, avec tous les fidèles et à leur service, des disciples missionnaires selon son Cœur.
4. Dans le même temps, au cours des six décennies qui se sont écoulées depuis le Concile, l’humanité a vécu et continue de vivre des changements qui exigent une vérification constante du chemin parcouru et une actualisation cohérente des enseignements conciliaires. Parallèlement, au cours de ces années, l’Église a été conduite par l’Esprit Saint à développer la doctrine du Concile sur sa nature communautaire selon la forme synodale et missionnaire.[3] C’est dans cette intention que j’adresse la présente Lettre apostolique à tout le Peuple de Dieu, afin de reconsidérer ensemble l’identité et la fonction du ministère ordonné à la lumière de ce que le Seigneur demande aujourd’hui à l’Église, en poursuivant la grande œuvre d’actualisation du Concile Vatican II. Je propose de le faire à travers le prisme de la fidélité, qui est à la fois grâce de Dieu et chemin constant de conversion pour satisfaire avec joie à l’appel du Seigneur Jésus. Je tiens tout d’abord à exprimer ma gratitude pour le témoignage et le dévouement des prêtres qui, partout dans le monde, offrent leur vie, célèbrent le sacrifice du Christ dans l’Eucharistie, annoncent la Parole, absolvent les péchés et se consacrent généreusement, jour après jour, à leurs frères et sœurs en servant la communion et l’unité et en prenant soin, en particulier, de ceux qui souffrent le plus et vivent dans le besoin.
Fidélité et service
5. Toute vocation dans l’Église naît d’une rencontre personnelle avec le Christ, « qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive ».[4] Avant tout engagement, avant toute bonne aspiration personnelle, avant tout service, il y a la voix du Maître qui appelle : « Viens et suis-moi » (Mc 1, 17). Le Seigneur de la vie nous connaît et éclaire notre cœur de son regard d’amour (cf. Mc 10, 21). Il ne s’agit pas seulement d’une voix intérieure, mais d’une impulsion spirituelle qui nous parvient souvent à travers l’exemple d’autres disciples du Seigneur et qui prend forme dans un choix de vie courageux. La fidélité à la vocation, surtout dans les moments d’épreuve et de tentation, se renforce lorsque nous n’oublions pas cette voix, lorsque nous sommes capables de nous souvenir avec passion du son de la voix du Seigneur qui nous aime, nous choisit et nous appelle, en nous confiant également à l’accompagnement indispensable de ceux qui sont experts dans la vie de l’Esprit. L’écho de cette Parole est, au fil du temps, le principe de l’unité intérieure avec le Christ qui est fondamentale et incontournable dans la vie apostolique.
6. L’appel au ministère ordonné est un don libre et gratuit de Dieu. La vocation, en effet, n’est pas une contrainte de la part du Seigneur, mais une proposition aimante d’un projet de salut et de liberté pour notre existence que nous recevons lorsque, avec la grâce de Dieu, nous reconnaissons que Jésus, le Seigneur, est au centre de notre vie. Alors, la vocation au ministère ordonné grandit comme un don de soi à Dieu et, par conséquent, à son Peuple saint. Toute l’Église prie et se réjouit de ce don avec un cœur rempli d’espérance et de gratitude, comme l’exprimait le Pape Benoît XVI à la fin de l’Année sacerdotale : « Nous voulions réveiller la joie que Dieu soit si proche de nous, et la gratitude pour le fait qu’Il se confie à notre faiblesse ; qu’Il nous guide et nous soutienne jour après jour. Nous voulions ainsi montrer à nouveau aux jeunes que cette vocation, cette communion de service pour Dieu et avec Dieu, existe – mieux encore, que Dieu attend notre “oui” ».[5]
7. Toute vocation est un don du Père qui demande à être gardé fidèlement dans une dynamique de conversion permanente. L’obéissance à l’appel se construit chaque jour à travers l’écoute de la Parole de Dieu, la célébration des sacrements – en particulier dans le Sacrifice eucharistique –, l’évangélisation, la proximité aux derniers et la fraternité presbytérale, en puisant dans la prière le lieu privilégié où rencontrer le Seigneur. Chaque jour, le prêtre est comme ramené au lac de Galilée – là où Jésus a demandé à Pierre « M’aimes-tu ? » (Jn 21, 15) – pour renouveler son “oui”.[6] En ce sens, on comprend ce qu’Optatam totius indique concernant la formation sacerdotale, en souhaitant qu’elle ne s’arrête pas au temps du séminaire (cf. n. 22), ouvrant la voie à une formation continue et permanente, de manière à constituer un dynamisme de renouveau humain, spirituel, intellectuel et pastoral constant.
8. C’est pourquoi tous les prêtres sont appelés à prendre soin en permanence de leur formation, afin de maintenir vivant le don de Dieu reçu par le sacrement de l’Ordre (cf. 2 Tm 1, 6). La fidélité à l’appel n’est donc pas une immobilité ou une fermeture, mais un chemin de conversion quotidienne qui confirme et fait mûrir la vocation reçue. Dans cette perspective, il convient de promouvoir des initiatives telles que le Congrès pour la formation permanente des prêtres, qui s’est tenu au Vatican du 6 au 10 février 2024 et a réuni plus de huit cents responsables de la formation permanente provenant de quatre-vingts pays. Avant d’être un effort intellectuel ou une mise à jour pastorale, la formation permanente reste une mémoire vivante et une actualisation constante de la vocation de chacun dans un cheminement partagé.
9. Dès l’appel et la première formation, la beauté et la constance du cheminement sont préservées par la sequela Christi. En effet, avant même de se consacrer à la conduite du troupeau, tout pasteur doit constamment se rappeler qu’il est lui-même disciple du Maître, avec ses frères et sœurs, car « tout au long de la vie, on est toujours “disciple”, avec le désir constant de se conformer au Christ ».[7] Seule cette relation de sequela obéissante et de disciple fidèle peut maintenir l’esprit et le cœur dans la bonne direction, malgré les bouleversements que la vie peut réserver.
10. Au cours des dernières décennies, la crise de confiance dans l’Église provoquée par les abus commis par des membres du clergé, qui nous remplissent de honte et nous appellent à l’humilité, nous a rendus davantage conscients de l’urgence d’une formation intégrale qui assure la croissance et la maturité humaine des candidats au presbytérat, ainsi qu’une vie spirituelle riche et solide.
11. Le thème de la formation s’avère également central pour faire face au phénomène de ceux qui, après quelques années, voire après des décennies, abandonnent le ministère. Cette douloureuse réalité ne doit en effet pas être interprétée uniquement sous l’angle juridique, mais exige de regarder avec attention et compassion l’histoire de ces frères et les multiples raisons qui ont pu les conduire à une telle décision. Et la réponse à apporter est avant tout un engagement renouvelé en faveur de la formation, dont l’objectif est « un cheminement de familiarité avec le Seigneur qui engage toute la personne, le cœur, l’intelligence, la liberté, et la façonne à l’image du Bon Pasteur ».[8]
12.Par conséquent, « le séminaire, quelle que soit la manière dont on l’envisage, devrait être une école des affections […], nous avons besoin d’apprendre à aimer et à le faire comme Jésus ». J’invite donc les séminaristes à un travail intérieur sur les motivations qui impliquent tous les aspects de la vie : « Rien en vous ne doit être écarté, en effet, tout doit être assumé et transfiguré dans la logique du grain de blé, afin de devenir des personnes et des prêtres heureux, des “ponts” et non des obstacles à la rencontre avec le Christ pour tous ceux qui vous côtoient ».[9] Seuls les prêtres et les personnes consacrées humainement mûres et spirituellement solides, c’est-à-dire des personnes chez lesquelles les dimensions humaine et spirituelle sont bien intégrées et qui sont donc capables d’entretenir des relations authentiques avec tout le monde, peuvent assumer l’engagement du célibat et annoncer de manière crédible l’Évangile du Ressuscité.
13. Il s’agit donc de préserver et de faire grandir la vocation dans un cheminement constant de conversion et de fidélité renouvelée, qui n’est jamais seulement un parcours individuel mais qui nous engage à prendre soin les uns des autres. Cette dynamique est toujours une œuvre de la grâce qui embrasse notre fragile humanité, la guérissant du narcissisme et de l’égocentrisme. Avec foi, espérance et charité, nous sommes appelés à entreprendre chaque jour la sequela du Seigneur en mettant toute notre confiance en Lui. La communion, la synodalité et la mission ne peuvent en effet se réaliser si, dans le cœur des prêtres, la tentation de l’autoréférentialité ne cède pas la place à la logique de l’écoute et du service. Comme l’a souligné Benoît XVI : « Le prêtre est le serviteur du Christ, au sens que son existence, configurée à Lui de manière ontologique, assume un caractère essentiellement relationnel: il est dans le Christ, pour le Christ et avec le Christ au service des hommes. Précisément parce qu’il appartient au Christ, le prêtre est radicalement au service des hommes: il est ministre de leur salut, de leur bonheur, de leur libération authentique, mûrissant, dans cette assomption progressive de la volonté du Christ, dans la prière, dans le « cœur à cœur » avec Lui ».[10]
Fidélité et fraternité
14. Le Concile Vatican II a placé le service spécifique des prêtres dans le cadre de l’égale dignité et de la fraternité entre tous les baptisés, comme en témoigne clairement le décret Presbyterorum Ordinis : « Le sacrement de l’Ordre confère aux prêtres de la Nouvelle Alliance une fonction éminente et indispensable dans et pour le Peuple de Dieu, celle de pères et de docteurs. Cependant, avec tous les chrétiens, ils sont des disciples du Seigneur que la grâce de l’appel de Dieu a fait participer à son Royaume. Au milieu de tous les baptisés, les prêtres sont des frères parmi leurs frères, membres de l’unique Corps du Christ dont l’édification a été confiée à tous ».[11] Au sein de cette fraternité fondamentale qui trouve sa racine dans le baptême et unit tout le Peuple de Dieu, le Concile met en lumière le lien fraternel particulier qui unit les ministres ordonnés, fondé sur le sacrement même de l’Ordre : « Du fait de leur ordination qui les a fait entrer dans l’ordre du presbytérat, les prêtres sont tous intimement liés entre eux par la fraternité sacramentelle ; mais, du fait de leur affectation au service d’un diocèse en dépendance de l’évêque local, ils forment tout spécialement à ce niveau un presbyterium unique. […] Chaque membre de ce presbyterium noue avec les autres des liens spéciaux de charité apostolique, de ministère et de fraternité ».[12] La fraternité presbytérale, donc, avant même d’être une tâche à accomplir, est un don inhérent à la grâce de l’ordination. Il faut reconnaître que ce don nous précède : il ne se construit pas seulement avec la bonne volonté et grâce à un effort collectif, mais il est un don de la Grâce qui nous rend participants du ministère de l’évêque et se réalise dans la communion avec lui et avec les confrères.
15. C’est précisément pour cette raison que les prêtres sont appelés à correspondre à la grâce de la fraternité, en manifestant et en ratifiant par leur vie ce qui est stipulé entre eux non seulement par la grâce baptismale, mais aussi par le sacrement de l’Ordre. Être fidèle à la communion c’est avant tout surmonter la tentation de l’individualisme qui s’accorde mal avec l’action missionnaire et évangélisatrice qui concerne toujours l’Église dans son ensemble. Ce n’est pas un hasard si le Concile Vatican II a presque toujours parlé des prêtres au pluriel : aucun pasteur n’existe seul ! Le Seigneur lui-même « en institua douze pour qu’ils soient avec lui et pour les envoyer proclamer la Bonne Nouvelle » (Mc 3, 14) : cela signifie qu’il ne peut y avoir de ministère détaché de la communion avec Jésus-Christ et avec son corps qui est l’Église. Rendre toujours plus visible cette dimension relationnelle et de communion du ministère ordonné, dans la conscience que l’unité de l’Église « tire son unité de l’unité du Père et du Fils et du Saint-Esprit »,[13] est l’un des principaux défis pour l’avenir, surtout dans un monde marqué par les guerres, les divisions et les discordes.
16.La fraternité presbytérale doit donc être considérée comme un élément constitutif de l’identité des ministres,[14] non seulement comme un idéal ou un slogan, mais comme un aspect sur lequel il faut s’engager avec une vigueur renouvelée. À cet égard, beaucoup a été fait en appliquant les indications de Presbyterorum Ordinis (cf. n. 8), mais il reste encore beaucoup à faire, à commencer, par exemple, par la péréquation économique entre ceux qui servent des paroisses pauvres et ceux qui exercent le ministère dans des communautés aisées. Il faut également noter que, dans plusieurs pays et diocèses, la prévoyance nécessaire en matière de maladie et de vieillesse n’est pas encore assurée. La sollicitude réciproque, en particulier l’attention portée aux confrères les plus seuls et les plus isolés, ainsi qu’aux malades et aux anciens, ne peut être considérée comme moins importante que celle envers le peuple qui nous est confié. C’est l’une des exigences fondamentales que j’ai recommandée aux prêtres à l’occasion de leur récent jubilé. « En effet, comment pourrions-nous, ministres, être des bâtisseurs de communautés vivantes, si une fraternité effective et sincère ne régnait pas d’abord entre nous ? »[15]
17. Dans de nombreux contextes, notamment occidentaux, de nouveaux défis se posent dans la vie des prêtres, liés à la mobilité actuelle et à la fragmentation du tissu social. Cela signifie que les prêtres ne sont plus intégrés dans un contexte cohérent et croyant qui soutenait leur ministère dans le passé. En conséquence, ils sont plus exposés aux dérives de la solitude qui éteint l’élan apostolique et peut provoquer un triste repli sur soi. C’est aussi pour cette raison que, suivant les indications de mes Prédécesseurs[ 16], je souhaite que dans toutes les Églises locales puisse naître un engagement renouvelé à investir et à promouvoir des formes possibles de vie commune, afin que les prêtres puissent « s’entraider pour le développement de leur vie spirituelle et intellectuelle, améliorer leur coopération dans le ministère, éviter les dangers que peut entraîner la solitude ».[17]
18. D’autre part, il faut rappeler que la communion presbytérale ne peut jamais se déterminer comme un nivellement des individus, des charismes ou des talents que le Seigneur a répandus dans la vie de chacun. Il est important que, grâce au discernement de l’évêque, les prêtres diocésains parviennent à trouver un équilibre entre la valorisation de ces dons et la sauvegarde de la communion. Dans cette perspective, l’école de la synodalité peut aider chacun à mûrir intérieurement l’accueil des différents charismes dans une synthèse qui consolide la communion du presbyterium, en fidélité à l’Évangile et aux enseignements de l’Église. En cette période de grande fragilité, tous les ministres ordonnés sont appelés à vivre la communion en revenant à l’essentiel et en se rapprochant des personnes, afin de préserver l’espérance qui prend forme dans un service humble et concret. Dans cette perspective, le ministère du diacre permanent, configuré au Christ Serviteur, est surtout signe vivant d’un amour qui ne reste pas à la surface, mais qui se penche, écoute et se donne. La beauté d’une Église faite de prêtres et de diacres qui collaborent, unis par la même passion pour l’Évangile et attentifs aux plus pauvres, devient un témoignage lumineux de communion. Selon la parole de Jésus (cf. Jn 13, 34-35), c’est de cette unit enracinée dans l’amour réciproque que l’annonce chrétienne tire sa crédibilité et sa force. C’est pourquoi le ministère diaconal, surtout lorsqu’il est vécu en communion avec sa propre famille, est un don à connaître, à valoriser et à soutenir. Le service discret mais essentiel d’hommes voués à la charité nous rappelle que la mission ne s’accomplit pas par de grands gestes, mais en étant unis par la passion pour le Royaume et par la fidélité quotidienne à l’Évangile.
19. Une icône heureuse et éloquente de la fidélité à la communion est sans aucun doute celle que présente saint Ignace d’Antioche dans sa Lettre aux Éphésiens : « Il convient de marcher d’accord avec la pensée de votre évêque, ce que d’ailleurs vous faites. Votre presbyterium justement réputé, digne de Dieu, est accordé à l’évêque, comme les cordes à la cithare. Ainsi, dans l’accord de vos sentiments et l’harmonie de votre charité, vous chantez Jésus-Christ. […] Il est donc utile pour vous d’être dans une inséparable unité, afin de participer toujours à Dieu ».[18]
Fidélité et synodalité
20. J’en arrive à un point qui me tient particulièrement à cœur. En parlant de l’identité des prêtres, le Décret Presbyterorum Ordinis met tout d’abord en évidence le lien avec le sacerdoce et la mission de Jésus-Christ (cf. n. 2) et il indique ensuite trois coordonnées fondamentales : la relation avec l’évêque qui trouve dans les prêtres « des auxiliaires et des conseillers indispensables », avec lesquels il entretient une relation fraternelle et amicale (cf. n. 7) ; la communion sacramentelle et la fraternité avec les autres prêtres, afin qu’ensemble ils contribuent « à la même œuvre » et exercent un «ministère unique », travaillant tous « pour la même cause » même s’ils s’occupent de tâches différentes (n. 8) ; la relation avec les fidèles laïcs au milieu desquels les prêtres, avec leur tâche spécifique, sont des frères parmi les frères, partageant la même dignité baptismale, unissant « leurs efforts à ceux des fidèles laïcs » et tirant parti « de leur expérience et de leur compétence dans les différents domaines de l’activité humaine, pour pouvoir avec eux discerner les signes des temps ». Au lieu de dominer ou de concentrer toutes les tâches sur eux-mêmes, « ils découvriront et discerneront dans la foi les charismes des laïcs sous toutes leurs formes, des plus modestes aux plus éminents » (n. 9).
21. Il reste encore beaucoup à faire dans ce domaine. L’élan donné par le processus synodal est une invitation forte du Saint-Esprit à faire des pas décisifs dans cette direction. Je réitère donc mon souhait « d’inviter les prêtres […] à ouvrir en quelque sorte leur cœur et à prendre part à ces processus »[19] que nous vivons. En ce sens, la deuxième session de la 16e Assemblée synodale a proposé dans son Document final une conversion des relations et des processus.[20] Il semble fondamental que des initiatives appropriées soient prises dans toutes les Églises particulières afin que les prêtres puissent se familiariser avec les lignes directrices de ce document et faire l’expérience de la fécondité d’un style synodal d’Église.
22. Tout cela exige un engagement de formation à tous les niveaux, en particulier dans le domaine de la formation initiale et permanente des prêtres. Dans une Église toujours plus synodale et missionnaire, le ministère sacerdotal ne perd rien de son importance et de son actualité ; au contraire, il pourra se concentrer davantage sur ses tâches particulières et spécifiques. Le défi de la synodalité – qui n’élimine pas les différences, mais les valorise – reste l’une des principales opportunités pour les prêtres de demain. Comme le rappelle le Document final cité, « les prêtres sont appelés à vivre leur service dans une attitude de proximité, d’accueil et d’écoute de tous, en s’ouvrant à un style synodal » (n° 72). Pour mettre en œuvre toujours mieux une ecclésiologie de communion, il convient que le ministère du prêtre dépasse le modèle d’un leadership exclusif qui détermine la centralisation de la vie pastorale et la charge de toutes les responsabilités confiées à lui seul, en tendant vers une conduite toujours plus collégiale dans la coopération entre les prêtres, les diacres et tout le Peuple de Dieu, dans cet enrichissement mutuel qui est le fruit de la diversité des charismes suscités par l’Esprit Saint. Comme nous le rappelle Evangelii gaudium, le sacerdoce ministériel et la configuration au Christ Époux ne doivent pas nous conduire à identifier la potestas sacramentelle avec le pouvoir, car « la configuration du prêtre au Christ Tête – c’est-à-dire comme source principale de la grâce – n’entraîne pas une exaltation qui le place au-dessus de tout le reste ».[21]
Fidélité et mision
23. L’identité des prêtres se construit autour de leur être pour et est indissociable de leur mission. En effet, celui qui « prétend trouver l’identité sacerdotale en la recherchant introspectivement dans sa propre intériorité ne trouve peut-être rien d’autre que des panneaux qui disent “sortie” : sors de toi-même, sors à la recherche de Dieu dans l’adoration, sors et donne à ton peuple ce qui t’a été confié, et ton peuple aura soin de te faire sentir et goûter qui tu es, comment tu t’appelles, quelle est ton identité et il te fera te réjouir avec le cent pour un que le Seigneur a promis à ses serviteurs. Si tu ne sors pas de toi-même, l’huile devient rance, et l’onction ne peut être féconde ».[22] Comme l’enseignait Saint Jean-Paul II, « dans l’Église et pour l’Église, les prêtres représentent sacramentellement Jésus-Christ Tête et Pasteur, ils proclament authentiquement la Parole, ils répètent ses gestes de pardon et d’offrande du salut, surtout par le Baptême, la Pénitence et l’Eucharistie, ils exercent sa sollicitude pleine d’amour, jusqu’au don total de soi-même, pour le troupeau qu’ils rassemblent dans l’unité et conduisent au Père par le Christ dans l’Esprit ».[23] Ainsi, la vocation sacerdotale se déploie entre les joies et les peines d’un service humble des frères, que le monde ignore souvent mais dont il a profondément soif. Rencontrer des témoins croyants et crédibles de l’Amour de Dieu, fidèle et miséricordieux, constitue une voie primordiale d’évangélisation.
24. Dans notre monde contemporain, caractérisé par des rythmes effrénés et l’angoisse d’être hyper connectés qui nous rend souvent frénétiques et nous pousse à l’activisme, au moins deux tentations s’insinuent contre la fidélité à cette mission. La première consiste en une mentalité axée sur l’efficacité selon laquelle la valeur de chacun se mesure à ses performances, c’est-à-dire à la quantité d’activités et de projets réalisés. Selon cette façon de penser, ce que l’on fait passe avant ce que l’on est, inversant la véritable hiérarchie de l’identité spirituelle. La deuxième tentation, à l’opposé, se qualifie comme une sorte de quiétisme : effrayé par le contexte, on se replie sur soi-même en refusant le défi de l’évangélisation et en adoptant une approche paresseuse et défaitiste. Au contraire, un ministère joyeux et passionné – malgré toutes les faiblesses humaines – peut et doit assumer avec ardeur la tâche d’évangéliser toutes les dimensions de notre société, en particulier la culture, l’économie et la politique, afin que tout soit récapitulé dans le Christ (cf. Ep 1, 10). Pour vaincre ces deux tentations et vivre un ministère joyeux et fécond, chaque prêtre doit rester fidèle à la mission qu’il a reçue, c’est-à-dire au don de grâce transmis par l’évêque lors de l’ordination sacerdotale. Être fidèle à la mission c’est adopter le paradigme que nous a transmis saint Jean-Paul II lorsqu’il a rappelé à tous que la charité pastorale est le principe qui unifie la vie du prêtre.[24] C’est précisément en maintenant vivant le feu de la charité pastorale, c’est-à-dire l’amour du Bon Pasteur, que chaque prêtre peut trouver un équilibre dans sa vie quotidienne et savoir discerner ce qui est bon et ce qui est le proprium du ministère, selon les indications de l’Église.
25. L’harmonie entre contemplation et action ne doit pas être recherchée à travers l’adoption précipitée de schémas de fonctionnement ou par un simple équilibre des activités, mais en plaçant la dimension pascale au centre du ministère. Se donner sans réserve, en tout cas, ne peut et ne doit pas impliquer le renoncement à la prière, à l’étude, à la fraternité sacerdotale, mais au contraire devenir l’horizon dans lequel tout est orienté vers le Seigneur Jésus, mort et ressuscité pour le salut du monde. C’est ainsi que s’actualise également les promesses faites à l’ordination qui, avec le détachement des biens matériels, réalisent dans le cœur du prêtre une recherche et une adhésion persévérantes à la volonté de Dieu, faisant ainsi transparaître le Christ dans chacune de ses actions. C’est le cas, par exemple, lorsque l’on fuit tout personnalisme et toute célébration de soi malgré l’exposition publique à laquelle le rôle peut parfois contraindre. Éduqué par le mystère qu’il célèbre dans la sainte liturgie, le prêtre doit « disparaître pour que le Christ demeure, se faire petit pour qu’Il soit connu et glorifié (cf. Jn 3, 30), se dépenser jusqu’au bout pour que personne ne manque l’occasion de Le connaître et de L’aimer ».[25] C’est pourquoi l’exposition médiatique, l’utilisation des réseaux sociaux et de tous les outils disponibles aujourd’hui doivent toujours être évalués avec sagesse, en prenant comme paradigme de discernement celui du service de l’évangélisation. Tout m’est permis mais tout n’est pas bon (cf. 1 Co 6, 12).
26. En toute situation, les prêtres sont appelés, par le témoignage d’une vie sobre et chaste, à apporter une réponse efficace à la grande soif de relations authentiques et sincères qui se manifeste dans la société contemporaine, en témoignant d’une Église qui soit « le levain qui agit dans les liens, les relations et la fraternité de la famille humaine », « capable de nourrir les relations avec le Seigneur, entre hommes et femmes, dans les familles, dans les communautés, entre tous les chrétiens, entre les groupes sociaux et les religions ».[26] À cette fin, il est nécessaire que les prêtres et les laïcs – tous ensemble – opèrent une véritable conversion missionnaire qui oriente les communautés chrétiennes, sous la conduite de leurs pasteurs, « au service de la mission que les fidèles accomplissent dans la société, dans la vie familiale et professionnelle ». Comme l’a observé le Synode, « il apparaîtra ainsi plus clairement que la paroisse n’est pas centrée sur elle-même, mais qu’elle est orientée vers la mission et appelée à soutenir l’engagement de tant de personnes qui, de différentes manières, vivent et témoignent de leur foi dans leur profession et dans l’activité sociale, culturelle et politique ».[27]
Fidélité et avenir
27. Je souhaite que la célébration de l’anniversaire des deux décrets conciliaires, ainsi que le chemin que nous sommes appelés à partager pour les concrétiser et les actualiser, puissent se traduire par une Pentecôte vocationnelle renouvelée dans l’Église, suscitant des vocations saintes, nombreuses et persévérantes au sacerdoce ministériel, afin que les ouvriers ne manquent jamais pour la moisson du Seigneur. Et puisse se réveiller en chacun de nous la volonté de nous engager pleinement dans la promotion des vocations et dans la prière constante au Maître de la moisson (cf. Mt 9, 37-38).
28. Cependant, outre la prière, le manque de vocations sacerdotales – surtout dans certaines régions du monde – exige de chacun une vérification de la fécondité des pratiques pastorales de l’Église. Il est vrai que les raisons de cette crise peuvent être diverses et multiples, et dépendre en particulier du contexte socioculturel, mais nous devons en même temps avoir le courage de faire aux jeunes des propositions fortes et libératrices et de faire en sorte que, dans les Églises particulières, se développent « des environnements et des formes de pastorale des jeunes imprégnés de l’Évangile, où les vocations au don total de soi puissent se manifester et mûrir ».[28] Dans la certitude que le Seigneur ne cesse jamais d’appeler (cf. Jn 11, 28), il est nécessaire de toujours garder à l’esprit la perspective vocationnelle dans tous les domaines pastoraux, en particulier ceux de la jeunesse et de la famille. Rappelons-le : il n’y a pas d’avenir sans le souci de toutes les vocations !
29. En conclusion, je rends grâce au Seigneur qui est toujours proche de son Peuple et qui marche avec nous, remplissant nos cœurs d’espérance et de paix, à porter à tous. « Cela frères et sœurs, je voudrais que ce soit notre premier grand désir : une Église unie, signe d’unité et de communion, qui devienne ferment pour un monde réconcilié ».[29] Et je vous remercie tous, pasteurs et fidèles laïcs, qui ouvrez l’esprit et le cœur au message prophétique des Décrets conciliaires Presbyterorum Ordinis et Optatam totius et qui vous disposez, ensemble, à en tirer nourriture et stimulation pour le cheminement de l’Église. Je confie tous les séminaristes, les diacres et les prêtres à l’intercession de la Vierge Immaculée, Mère du Bon Conseil, et à saint Jean-Marie Vianney, patron des curés et modèle de tous les prêtres. Comme le disait le Curé d’Ars : « Le sacerdoce, c’est l’amour du cœur de Jésus ».[30] Un amour si fort qu’il dissipe les nuages de l’habitude, du découragement et de la solitude, un amour total qui nous est donné en plénitude dans l’Eucharistie. Amour eucharistique, amour sacerdotal.
Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 8 décembre, solennité de l’Immaculée Conception de la Bienheureuse Vierge Marie, de l’année jubilaire 2025, première de mon pontificat.
LEON PP. XIV
__________________
[1] Conc. œcum. Vat. II, Décret Optatam totius sur la formation sacerdotale, Préambule.
[2] Cf. S. J.H. Newman, An Essay on the Development of Christian Doctrine, Notre Dame 2024. En ce sens, je rappelle l’appel d’Optatam totius, 16, au renouveau et à la promotion des études ecclésiastiques, toujours en cours.
[3] Cf. Synode des évêques, Pour une Église synodale : communion, participation, mission, Document préparatoire (2021), 1 ; François, Discours pour la commémoration du 50e anniversaire de l’institution du Synode des évêques (17 octobre 2015).
[4] Benoît XVI, Lett. enc. Deus caritas est (25 décembre 2005), 1.
[5] Benoît XVI, Homélie lors de la messe de clôture de l’Année sacerdotale (11 juin 2010).
[6] « En demandant à Pierre s’il l’aimait, il posait la question non parce qu’il avait besoin de connaître l’attachement de son disciple, mais pour montrer l’excès de son propre amour » (Saint Jean Chrysostome, De Sacerdotio II : SCh 272, Paris 1980, 104, 48-51).
[7] Congrégation pour le clergé, Le don de la vocation presbytérale. Ratio Fundamentalis Institutionis Sacerdotalis (8 décembre 2016), 57.
[8] Discours aux participants à la rencontre internationale « Prêtres heureux – « Je vous ai appelés amis » (Jn 15, 15) » organisée par le Dicastère pour le Clergé à l’occasion du Jubilé des Prêtres et des Séminaristes(26 juin 2025).
[9] Méditation à l’occasion du Jubilé des séminaristes (24 juin 2025).
[10] Benoît XVI, Catéchèse (24 juin 2009).
[11] Conc. œcum. Vat. II, Décret Presbyterorum Ordinis sur le ministère et la vie des prêtres, 9.
[12] Ibid., 8.
[13] S. Cyprien, De oratione Domini, 23 : CCSL 3A, Turnhout 1976, 105. Le texte dit littéralement : Le plus grand sacrifice à Dieu est notre paix et notre concorde fraternelle, ainsi qu’un peuple rassemblé dans l’unité du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
[14] Cf. Congrégation pour le clergé, Le don de la vocation presbytérale. Ratio Fundamentalis Institutionis Sacerdotalis (8 décembre 2016), nn. 87-88.
[15] Discours aux participants à la rencontre internationale « Prêtres heureux – « Je vous ai appelés amis » (Jn 15, 15) » organisée par le Dicastère pour le Clergé à l’occasion du Jubilé des prêtres et des séminaristes(26 juin 2025).
[16] Cf. Saint Jean-Paul II, Exhort. ap. post-synodale Pastores dabo vobis (25 mars 1992), 61 ; Benoît XVI, Lett. ap. sous forme de motu proprio Ministrorum institutio (16 janvier 2013).
[17] Conc. œcum. Vatican II, Décr. Presbyterorum Ordinis (7 décembre 1965), 8.
[18] Saint Ignace d’Antioche, Ad Ephesios, 4, 1-2: SCh 10, Paris 19694, 72.
[19] Aux participants au Jubilé des équipes synodales et des organismes de participation (24 octobre 2025).
[20] Synode des évêques, Document final de la deuxième session de la 16e Assemblée générale ordinaire « Pour une Église synodale : communion, participation, mission » (26 octobre 2024).
[21] François, Exhort. ap. Evangelii gaudium (24 novembre 2013), 104.
[22] Id., Homélie lors de la messe chrismale (17 avril 2014).
[23] Saint Jean-Paul II, Exhort. ap. post-synodale Pastores dabo vobis (25 mars 1992), 15.
[24] Cf. ibid., 23.
[25] Homélie lors de la messe pro Ecclesia (9 mai 2025).
[26] Synode des évêques, Document final de la deuxième session de la 16e Assemblée générale ordinaire « Pour une Église synodale : communion, participation, mission » (26 octobre 2024), 20 ; 50.
[27] Ibid., 59 ; 117.
[28] Discours aux participants à la rencontre internationale « Prêtres heureux, je vous ai appelés amis » (Jn 15, 15) organisée par le Dicastère pour le Clergé à l’occasion du Jubilé des prêtres et des séminaristes (26 juin 2025).
[29] Homélie pour le début du ministère pétrinien de l’évêque de Rome (18 mai 2025).
[30] «Le Sacerdoce, c’est l’amour du cœur de Jésus», dans Bernard Nodet, Le curé d’Ars. Sa pensée, son cœur, Paris 1995, 98.
[01832-FR.01] [Texte original: Italien]


