Suite aux récentes nuits d’émeutes qui ont secoué la France en réaction à la mort du jeune Nahel , l’évêque de Nanterre , Monseigneur Rougé, a partagé un message d’espoir lors de son homélie dominicale du 2 juillet.
« Frères et sœurs, En ces jours d’épreuve, de violence et d’incertitudes, comme il est précieux d’entendre l’appel de Jésus à contempler sa croix pour en vivre : « Celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas n’est pas digne de moi » ! Alors que toute notre société s’interroge sur son inflammabilité et que tous se demandent comment frayer le chemin d’une paix sociale durable, nous sommes appelés à redécouvrir le mystère de la Croix comme la clef qui permet de déchiffrer la profondeur du présent pour ouvrir un avenir de paix.
La Croix, c’est le jusqu’au bout de l’amour, qui donne et qui pardonne, qui « endure tout », qui « espère tout ». La Croix, c’est la révélation de l’amour comme fondement, but et condition de possibilité de la vie humaine, personnelle et collective.
Face à l’engrenage de la haine, face au cercle vicieux de la colère et de la violence, nous sommes appelés à donner avec Jésus mort et ressuscité le témoignage de la victoire toujours possible de l’amour.
Cet amour s’incarne pour nous aujourd’hui dans notre compassion pour Nahel (qui a grandi dans ce quartier), sa mère et sa famille : toute mort violente porte atteinte à la dignité humaine en général. Cet amour s’incarne aussi dans notre solidarité, spirituelle et bien concrète, avec tous ceux qui viennent de passer plusieurs nuits de terreur, qui ont perdu leur voiture, leur lieu ou leur instrument de travail, ceux qui, engagés dans les forces de l’ordre ou les services de l’Etat, en faveur du bien commun, ont subi des attaques extrêmement violentes. Cet amour s’incarne dans notre détermination à ne pas mettre d’huile sur le feu, si ce n’est le baume apaisant de l’Esprit Consolateur.
La Croix, c’est le jusqu’au bout de l’amour mais c’est aussi l’amour en vérité, l’amour de la vérité, de la vérité parfois douloureuse mais qui rend libre. Pourquoi notre société peut-elle basculer si vite dans la violence autodestructrice ? A longueur de plateaux, de nombreux commentaires en restent à la surface chiffrée des choses. Parfois, un regard unilatéralement négatif sur les quartiers difficiles semble mettre de côté ce qui s’y vit aussi de profondément humain et fraternel. La vérité sur l’inflammabilité de notre société n’est pas facile à mettre en lumière.
Elle réside sans doute, pour une part, dans le nombre de familles monoparentales où des mères extraordinairement courageuses réussissent parfois des exploits éducatifs mais peuvent aussi être dépassées par la coïncidence des influences malfaisantes ; elle procède également de la violence des inégalités éducatives et sociales et de l’abandon de certains territoires au règne délétère des trafics ; elle découle plus profondément encore de notre rapport abîmé à la dignité humaine :
l’enchaînement des transgressions éthiques entraîne immanquablement de la violence sociale. Le Christ en croix, dans son extrême fragilité, ne cesse d’être le révélateur de cette dignité humaine blessée.
La Croix, c’est le jusqu’au bout de l’amour, c’est l’amour de la vérité et c’est plus radicalement encore l’amour des frères porté par l’amour du Père. C’est l’axe vertical de l’adoration qui porte le déploiement horizontal de la fraternité. J’ai été très heureux qu’en quelques minutes, jeudi dernier, tous les responsables religieux de la ville de Nanterre se mettent d’accord sans difficulté pour un appel commun au refus de toute violence. Cet appel a pris quelques heures plus tard une ampleur nationale grâce à l’engagement de tous les responsables religieux français, comme si le sens de Dieu apparaissait en cette circonstance comme le fondement ultime d’un véritable sens de l’homme. La violence est toujours, d’une manière ou d’une autre, une question spirituelle, l’expression du mal-être et de la désespérance de ceux qui ne perçoivent pas le sens profond de leur existence et comment elle peut s’inscrire dans l’aventure collective de notre société. C’est avant tout en regardant le ciel qu’on peut contribuer à la paix sur terre.
Contempler la Croix, ce n’est pas s’enfermer dans l’échec ou le découragement. Comme le proclame saint Paul avec force en ce jour, « ressuscité d’entre les morts, le Christ ne meurt plus ; la mort n’a plus de pouvoir sur lui ». La Croix, gibet d’un condamné à mort, est devenue le trône de celui dont l’amour a vaincu la mort. Voilà l’espérance que nous avons à cultiver pour qu’elle porte des fruits de charité. Les chrétiens, aujourd’hui, dans notre cité violentée, ne peuvent pas se lamenter en boucle avec d’autres sur la dureté des temps. Ils ont à être plus que jamais des témoins de l’espérance offerte par le Christ ressuscité. Si l’absence de perspectives fait le lit de la violence, l’espérance cultivée ouvre le chemin de la paix. »