C’est un véritable événement révélant une dynamique ecclésiale profonde et durable.Un rapport publié le 20 novembre dernier , intitulé Convert Clergy in the Catholic Church in Britain, révèle qu’environ 700 clercs et religieux issus de l’Église d’Angleterre, de l’Église du pays de Galles et de l’Église épiscopale écossaise ont été reçus dans l’Église catholique depuis 1992. Parmi eux figurent seize anciens évêques anglicans. Rapporté à l’ensemble des ordinations sacerdotales catholiques en Angleterre et au pays de Galles sur cette période, ce chiffre représente près d’un tiers des prêtres récemment ordonnés.
L’ampleur de ce phénomène a surpris jusqu’aux auteurs de l’étude. Stephen Bullivant, professeur de théologie et de sociologie de la religion à la St. Mary’s Catholic University, souligne que ces chiffres sont bien plus élevés que ce que l’on imaginait généralement. Il décrit ce flux continu d’anciens clercs anglicans comme une source majeure de vocations pour l’Église catholique, tant par leur nombre que par leur expérience pastorale.Le rapport identifie deux événements majeurs ayant favorisé ces conversions.
Le premier est la décision prise en 1992 par le synode général de l’Église d’Angleterre d’autoriser l’ordination des femmes. Ce tournant doctrinal a provoqué une vague immédiate de conversions, avec plus de 150 clercs anglicans reçus dans l’Église catholique dès 1994.
Le second événement est la visite du pape Benoît XVI au Royaume Uni en 2010, précédée par la publication de la constitution apostolique Anglicanorum Coetibus, qui a permis la création d’ordinariats personnels destinés aux anglicans souhaitant entrer collectivement en pleine communion avec Rome. L’année suivante, lors de la mise en place officielle du Personal Ordinariate of Our Lady of Walsingham, plus de 80 clercs ont franchi le pas.
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Selon Stephen Bullivant, ces moments de clarification ont contraint de nombreux prêtres à prendre une décision longtemps différée. La dimension collective de ces démarches a joué un rôle déterminant, rendant un choix difficile plus envisageable lorsqu’il était partagé par d’autres. Les témoignages recueillis montrent toutefois que ces conversions ne sont pas vécues comme un rejet de l’héritage anglican. Beaucoup expriment au contraire une profonde gratitude pour leur parcours antérieur, perçu comme une étape essentielle de leur cheminement chrétien.
Cette interprétation est reprise par le cardinal Vincent Nichols, président de la Conférence des évêques catholiques d’Angleterre et du pays de Galles. Il souligne que l’entrée d’anglicans dans l’Église catholique relève moins d’un abandon que d’un appel intérieur à entrer dans la pleine communion visible de l’Église catholique, en union avec le Siège de Pierre, tout en reconnaissant la valeur de leur héritage spirituel.Certains itinéraires personnels illustrent de manière particulièrement éloquente cette dynamique. Celui de John Ford en est un exemple significatif. Ancien aumônier de la reine Élisabeth II, il a exercé des responsabilités de premier plan au sein de l’anglicanisme, notamment comme évêque anglican de Plymouth de 2005 à 2013, puis comme évêque anglican de Murray en Australie de 2013 à 2019. Après ce long parcours au sommet de la hiérarchie anglicane, marqué par une proximité avec les plus hautes sphères religieuses et institutionnelles, il a choisi de devenir catholique. Sa démarche confirme que ce mouvement concerne aussi des figures centrales de l’épiscopat anglican.
Ce mouvement pourrait ne pas être freiné par l’actualité récente de l’Église d’Angleterre. La nomination contestée de Sarah Mullally comme future archevêque de Cantorbéry, déjà fragilisée par de graves accusations portant sur sa gestion de dossiers d’abus lorsqu’elle était évêque de Londres, intervient dans un climat de défiance institutionnelle accrue. Pour de nombreux observateurs, ces turbulences au sommet de la hiérarchie anglicane ne sont pas de nature à restaurer la confiance, ni à enrayer les départs d’un clergé déjà profondément éprouvé.
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Le rapport met également en lumière le rôle déterminant de la St. Barnabas Society, organisme chargé d’accompagner matériellement et pastoralement les anciens clercs d’autres confessions. De nombreux témoignages soulignent que sans ce soutien concret, la transition vers l’Église catholique aurait été difficilement envisageable. Les conversions sont souvent décrites comme un pas dans l’inconnu, impliquant des renoncements importants, mais vécues dans une continuité spirituelle assumée.Trente ans après les premières vagues de conversions, l’étude conclut à la contribution durable de ces prêtres et religieux à la vie de l’Église catholique en Angleterre. Leur double expérience ecclésiale éclaire les mutations du christianisme britannique contemporain et met en évidence, sans triomphalisme, les tensions doctrinales et ecclésiologiques qui traversent aujourd’hui l’anglicanisme.


